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Israël : qui est Arik Ascherman, le rabbin qui défend les fermiers palestiniens ?

L’homme n’hésite pas à s’interposer physiquement entre les paysans palestiniens et les colons israéliens qui les attaquent. Portrait.

Sur sa page Facebook, des lives en cascade le montrent aux prises avec des colons israéliens, s’interposant dans les champs palestiniens envahis, se barricadant dans des maisons dont se font expulser des familles arabes, documentant, smartphone au poing, les abus des forces israéliennes dans les territoires occupés ou les sit-in militants à Jérusalem. Pour les juifs nationalistes d’Israël, Arik Ascherman est un traître. Le 12 novembre, il prend ainsi la défense de paysans palestiniens venus récolter leurs olives et attaqués par des colons. Il en ressort avec des blessures au visage.

“Une petite minorité des juifs qui veulent la fin des colonies se mobilise ainsi : quelques centaines de militants qui vont protéger de leurs corps les Palestiniens. Hélas ils ont aujourd’hui beaucoup moins de poids qu’ils n’en avaient dans les années 1990 et 2000 sur la scène politique, les opinions et même la diplomatie internationale”, explique Michel Warshavsky, intellectuel israélien anti-sioniste qui dirige l’Alternative Information Center.

LES RELIGIEUX FORMENT UNE TOUTE PETITE MINORITÉ DE LA MINORITÉ JUIVE MOBILISÉE

Engagé pour la défense des droits des Palestiniens depuis les années 1990, Ascherman a connu sa plus éclatante victoire quand, en 2006, la Haute cour de justice qu’il avait saisie a déclaré que les forces de sécurité ont le devoir d’assurer l’accès des fermiers palestiniens à leurs terres en Cisjordanie.

Dès lors, il ne cesse d’alerter et de rappeler à la loi les forces de sécurité israéliennes et n’hésite pas à s’interposer entre colons et fermiers palestiniens, une position risquée. En avril 2021, une vidéo a fait des vagues dans les médias locaux : l’activiste, venu demander aux colons propriétaires d’un troupeau de mener celui-ci hors du champ palestinien qu’il piétinait, se fait frapper à coup de gourdin par un colon cagoulé.

« Idolâtrie »

Mais le film qui a le plus marqué les esprits a été tourné en 2015 : lors d’une autre scène d’interposition, un colon encagoulé le brutalise violemment, faisant tournoyer une lame qu’il fait le geste de planter dans le dos du militant à terre. “Nous ne devrions jamais, pas même une fois, oppresser comme nous le faisons. Nous utilisons maintenant notre puissance pour déposséder les autres. La Misdrah [exégèse, NDLR] enseigne que la main qui frappe un non-juif finira par frapper aussi le juif”, écrit-il suite à cette quasi tentative de meurtre dans Haaretz, citant l’Exode.

Car Arik Ascherman est aussi rabbin. “Les religieux forment une toute petite minorité de la minorité juive mobilisée. La grande majorité du corps rabbinique, qui est à droite, les considère au mieux comme des clowns, au pire comme des mécréants”, commente Warshavsky.

IL ASSUME UNE POSITION SIONISTE ET PATRIOTIQUE, VOYANT LA COLONISATION COMME UNE FAUTE

Américain de naissance, Arik Asherman, 62 ans aujourd’hui, a grandi en Pennsylvanie et fait ses études à Harvard, mais l’appel de Dieu l’attire mieux que la réussite à l’américaine. Trop vert pour le séminaire rabbinique, il se rend en Terre promise de 1981 à 1983 avec l’ONG Interns for Peace, qui œuvre à rapprocher Juifs et Arabes en Israël. S’il rentre aux États-Unis pour y devenir rabbin, il retourne s’installer en Israël en 1994.

Dès lors il n’aura de cesse de défendre les droits des Palestiniens, et est rejoint par Rabbis for Human Rights (RHR), association fondée en 1988 par une poignée de rabbins défenseurs des droits de l’homme. Homme de Dieu au service de la justice, Ascherman ne cesse de se référer aux Écritures voyant ainsi dans les colons et leurs suppôts “ceux qui ont fait de notre croyance partagée en la sacralité de la Terre d’Israël une idolâtrie en la plaçant au-dessus de toutes les autres valeurs”.

Car, contrairement à une frange de la gauche révolutionnaire engagée contre la colonisation de la Palestine et la judaïsation de l’État d’Israël mais aussi à certains ultra-orthodoxes messianistes comme les Neturei Karta, Ascherman n’est pas anti-sioniste, explique Warshavsky : »Il assume une position sioniste et patriotique, voyant la colonisation comme une faute et un danger pour l’avenir d’Israël. »

Harcèlement de la police

À l’épreuve de la violence, le rabbin engagé a dû aussi subir les harcèlements de la police et les assauts de la justice : plusieurs fois arrêté, il est condamné pour désobéissance civile en 2005 après avoir fait barrage à un bulldozer qui allait détruire des maison palestiniennes, et il est à nouveau accusé, en 2008,  “d’inciter les Palestiniens à s’opposer à la police”.

Mais, avec RHR, la justice lui donne davantage raison qu’elle ne le condamne, comme lors de la décision de la Haute Cour de 2006. En 2016, suite à un “différend organisationnel”, Ascherman quitte l’association qu’il a transformée et dont il a été directeur exécutif de 1995 à 2010, quand a été créé pour lui le poste de président.

En 21 ans, il est parvenu à transformer la petite ONG de deux employés à mi-temps et fonctionnant avec moins de 30 000 dollars de budget en une structure comptant 40 employés et 1,5 million de dollars de budget.

Humaniste par la foi, il a aussi étendu les activités d’association à la défense des villages bédouins en Israël qui, non reconnus, sont régulièrement détruits ainsi qu’à la défense des demandeurs d’asile, africains au premier rang. À la tête de Torat Tzedek – Torah de Justice – qu’il a créé en 2017, le rabbin Ascherman poursuit les mêmes combats, smartphone au poing et sans craindre les coups.