Au moins 27 migrants sont décédés ce mercredi 24 novembre dans le naufrage de leur embarcation au large de Calais. Deux rescapés sont actuellement hospitalisés. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé cinq arrestations, tandis que Boris Johnson convoque une réunion de crise de son gouvernement à Londres. Cet événement suscite une onde de choc à Paris et Londres.
Elle était partie de Dunkerque. Une embarcation avec une cinquantaine de personnes à bord a fait naufrage ce mercredi après-midi. Elles cherchaient à rejoindre les côtes anglaises. C’est un pêcheur qui a découvert les corps flottant au large de Calais, une quinzaine tout d’abord, souligne Simon Rozé du service France de RFI. Un navire de la marine nationale a été dérouté pour aller les récupérer.
Ce drame, qualifié de « tragédie » par le Premier ministre Jean Castex, est de loin le plus meurtrier depuis l’envolée en 2018 des traversées migratoires de la Manche, face au verrouillage croissant du port de Calais et d’Eurotunnel emprunté jusque-là par les migrants tentant de rallier l’Angleterre. « Mes pensées vont aux nombreux disparus et blessés, victimes de passeurs criminels qui exploitent leur détresse et leur misère », a ajouté M. Castex dans un message publié sur Twitter, en assurant suivre « la situation en temps réel ».
Le Premier ministre français Jean Castex tient ce jeudi à 8h30 une réunion interministérielle sur « les traversées de migrants dans la Manche à la suite du naufrage dramatique » survenu mercredi, ont annoncé ses services.
« La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière », a affirmé ensuite Emmanuel Macron en demandant le « renforcement immédiat des moyens de l’agence Frontex aux frontières extérieures de l’Union européenne ». Le chef d’État réclame également « une réunion d’urgence des ministres européens concernés par le défi migratoire » et assure que « tout sera mis en œuvre pour retrouver et condamner les responsables » de ce drame.
Dans la soirée, Emmanuel Macron s’est entretenu avec son homologue britannique. Ils ont convenu de l’urgence de renforcer la lutte contre les traversées illégales dans la Manche et de la nécessité de faire tout ce qui est possible pour arrêter les groupes illégaux qui mettent la vie de personnes en danger, a indiqué un porte-parole de Downing Street.
Pour sa part, la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord qualifie de « pire accident » de ce type pour des migrants tentant de joindre le Royaume-Uni. Trois hélicoptères et trois bateaux participent aux recherches, selon la préfecture. Une cinquantaine de personnes se trouvaient à bord de l’embarcation qui était partie de Dunkerque, a indiqué une source proche du dossier.
Gérald Darmanin annonce des arrestations
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui s’est rendu à Calais dans la soirée, a annoncé que quatre personnes avaient été arrêtées pour leur implication présumée dans le naufrage de l’embarcation. Une cinquième personne soupçonnée d’être un passeur a été arrêtée dans la nuit de mercredi à jeudi.
« Les premiers responsables de cette ignoble situation sont les passeurs », a martelé le ministre à Calais. « Évidemment, c’est un drame absolu, qui doit avoir des conséquences de réponses policières, de gendarmes, de justice, mais également de moyens supplémentaires qu’on doit davantage mettre… , a ajouté le ministre. Et ces moyens ne peuvent pas être mis que par les Français. Donc il est certain que c’est une réponse internationale très dure, qui doit être celle devant ce drame ignoble qui nous touche tous, pour empêcher d’autres drames ».
Le parquet de Dunkerque a annoncé à l’AFP l’ouverture d’une enquête pour « aide à l’entrée au séjour irrégulier en bande organisée » et « homicide involontaire aggravé ».
La colère des ONG
Les associations qui viennent en aide aux migrants à Calais ne partagent pas l’analyse du ministre de l’Intérieur : si les migrants prennent la mer, c’est parce que la France les maltraite, explique Juliette de Laplace, chargée de mission au Secours Catholique au micro de Marine de la Moissonnière. « Les expulsions de campements toutes les quarante-huit heures, le vol des affaires personnelles, les violences policières… Tout ça conduit les personnes à prendre des risques immenses. Nous on sait que si on avait une politique d’accueil en France et s’il y avait des voies d’accès vers le Royaume-Uni, les personnes ne prendraient pas de risques. Donc la responsabilité, là, est celle du gouvernement, qui s’est enfoncé ces dernières années dans une logique uniquement répressive ».
« Ça fait des années qu’on dénonce et alerte sur la dangerosité de la situation à la frontière », chiffrant à « plus de 300 », le nombre de migrants décédés depuis 1999 sur le littoral, a réagi Charlotte Kwantes, responsable d’Utopia56, association qui intervient auprès des exilés à Calais. « Tant que des voies de passage sûres ne seront pas mises en place entre l’Angleterre et la France, ou tant que ces personnes ne pourront pas être régularisées en France, que Darmanin vienne ou pas à Calais, il y aura des morts à la frontière », prévient-elle.
Les autorités étaient au courant de cette situation et ce drame était prévisible, dénonce de son côté François Guennoc de l’ONG l’Auberge des migrants, très active également à Calais, au micro de Marine de la Moissonnière.
Les associations organiseront en fin de journée, à Calais, une cérémonie en mémoire des migrants décédés…
La Manche, un autre cimetière pour les migrants
Avant ce naufrage, le bilan des décès depuis le début de l’année 2021 s’élevait à trois morts et quatre disparus. En 2020, six personnes avaient trouvé la mort et trois autres avaient été portées disparues. Quatre décès avaient été recensés en 2019. « Les gens meurent dans la Manche qui est en train de se transformer en cimetière à ciel ouvert, comme la Méditerranée. Tant que l’Angleterre sera en face, les gens continueront à traverser », s’est alarmé Pierre Roques, coordinateur de l’Auberge des Migrants, une association de Calais.
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Selon lui, au 20 novembre, 31 500 migrants avaient quitté les côtes depuis le début de l’année et 7 800 migrants avaient été sauvés. Une tendance, qui n’a pas baissé malgré les températures hivernales. D’après Londres, 22 000 migrants ont réussi la traversée sur les dix premiers mois de l’année.
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Londres et Paris conviennent de d’accroître leurs efforts contre les traversées
Outre-Manche, le Premier ministre britannique Boris Johnson a de son côté convoqué une réunion de crise, a annoncé Downing Street. À l’issue de cette réunion, le chef du gouvernement s’est dit « choqué, révolté et profondément attristé » par le naufrage, assurant vouloir « faire plus » avec la France pour décourager les traversées illégales. « Nous avons eu des difficultés à persuader certains de nos partenaires, en particulier les Français, d’agir à la hauteur de la situation, mais je comprends les difficultés auxquelles tous les pays sont confrontés et ce que nous voulons maintenant, c’est faire plus ensemble », a déclaré Boris Johnson sur Sky News.
Un peu plus tôt, la députée conservatrice de Douvres, Natalie Elphicke, a déploré « une tragédie absolue ». « Cela montre bien que pour sauver des vies en mer, il faut d’abord empêcher les bateaux d’entrer dans l’eau », a-t-elle déclaré, appelant à « mettre fin à ces traversées dangereuses ».
Londres et Paris sont convenus de renforcer leur coopération pour tenter de tarir ces départs après une montée de tension dans le sillage de l’arrivée le 11 novembre de 1 185 migrants sur les côtes anglaises, un record.