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Chine-Afrique : au Focac de Dakar, Macky Sall et Xi Jinping affichent leur unité

Compliqué par le Covid-19 et plusieurs fois reporté, le Forum sur la coopération sino-africaine de Dakar était annoncé comme une « petite édition ». Coorganisateurs de l’événement, les présidents sénégalais et chinois s’emploient à donner le sentiment contraire.

Le Forum pour la coopération sino-africaine, ou Focac, existe depuis l’an 2000 et se tient tous les trois ans, alternativement en Chine et en Afrique. Lorsque l’on interroge les habitués sur les éditions particulièrement marquantes, la plupart évoque les éditions de 2015, à Johannesburg, et de 2018, à Pékin. À la veille de la huitième édition organisée ces 28, 29 et 30 novembre à Dakar, bien peu pariaient qu’elle resterait dans les annales. Entre reports de date et participation de la plupart des intervenants en visioconférence pour cause de Covid, ce Focac sénégalais alimentait peu d’espoirs, d’autant qu’il n’est censé être qu’une simple « conférence ministérielle ».

FRATERNITÉ INDÉFECTIBLE ET SOLIDARITÉ À TOUTE ÉPREUVE LIENT AFRICAINS ET CHINOIS

Sont également présents le Congolais Félix Tshisekedi, en sa qualité de président en exercice de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de cette même UA, ainsi que les présidents égyptien Abdel Fattah al-Sissi, comorien Azali Assoumani et sud-africain Cyril Ramaphosa.

Les promesses de Pékin

Le discours de Macky Sall est suivi par les congressistes avec une attention polie. L’hôte de l’événement égrène les priorités du sommet, placé sous le signe général du rebond post-Covid : Chinois et Africains, explique le président sénégalais, doivent s’unir pour amener le continent sur le chemin de la souveraineté pharmaceutique et médicale, moderniser l’agriculture pour en faire un « facteur d’émergence économique », renforcer l’apprentissage du numérique (l’un des autres axes forts du sommet, surtout dans sa partie économique), développer la capacité industrielle du continent en lui ouvrant le marché chinois et, objectif placé sous le double signe des Nouvelles routes de la soie voulues par la Chine et de la Zone de libre échange continentale africaine (Zlecaf) récemment créée, renforcer encore la construction de nouvelles infrastructures.

Un programme relativement attendu qui semble n’être qu’une introduction au discours de l’autre invité vedette : Xi Jinping. Après les formules d’usage sur la « fraternité indéfectible » et la « solidarité à toute épreuve » qui lient Africains et Chinois, le président de la République populaire en arrive enfin à ce que tous attendent : les promesses de ce Focac 2021.

UN MILLIARD DE DOSES DE VACCINS CONTRE LE COVID VONT ÊTRE LIVRÉES À L’AFRIQUE

En 2018, les montants d’investissements annoncés avaient impressionné. Chacun attend donc du concret, et Xi Jinping s’attache à répondre aux attentes, listant « quatre propositions » et « neuf programmes » pour la période 2022-2024.

Les « propositions », d’abord, sont avant tout de grands principes servant de cadre à la coopération renouvelée entre Pékin et le continent. Il s’agit de poursuivre la lutte solidaire contre le Covid-19, d’approfondir et d’augmenter la coopération, de promouvoir un « développement vert » soucieux de l’environnement et de « défendre l’équité et la justice », formule on ne peut plus vague que le président chinois explicite en précisant que, comme lui, ses partenaires du continent prônent un vrai multilatéralisme et s’opposent « à l’ingérence, à la discrimination raciale et aux sanctions unilatérales ».

Les programmes sont beaucoup plus concrets, et là encore Xi Jinping place la lutte contre le Covid au premier plan, annonçant la livraison de un milliard de doses de vaccins à l’Afrique, dont 600 millions sous forme de don et 400 millions « sous d’autres formes ».

LE FOCAC EST UN EXCELLENT EXEMPLE EN MATIÈRE DE COOPÉRATION INTERNATIONALE ET DE MULTILATÉRALISME

Sont également annoncés des projets en faveur de l’agriculture et de la réduction de la pauvreté, la promotion des échanges commerciaux via des « corridors verts » pour exporter des produits africains vers la Chine et atteindre un volume de 300 milliards de dollars en trois ans, un encouragement des entreprises privées chinoises à investir sur le continent.

Des projets concrets de soutien à l’innovation numérique, au développement vert, à la rénovation des écoles, des échanges culturels – un festival du cinéma africain en Chine et des festivals du cinéma chinois en Afrique, en particulier – et une collaboration renforcée sur le maintien de la paix et la sécurité sont également au programme, souvent accompagnés d’enveloppes se chiffrant en milliards de dollars.

Gages de soutien

La conférence ministérielle qui se réunit le 30 novembre devra en partie mettre ces grandes orientations en musique et les transformer en un programme précis, mais visiblement la générosité affichée par le leader chinois est appréciée. Également présent en visioconférence, le secrétaire général des Nations unies António Guterres félicite les partenaires pour l’existence et le dynamisme de ce forum qu’il qualifie d’ « excellent exemple » en matière de coopération internationale et de multilatéralisme.

Comme pour souligner à quel point les relations sont au beau fixe, Macky Sall, mais aussi son homologue comorien Azali Assoumani, profitent de leurs interventions pour souligner, de manière presque incongrue tant le sujet n’a aucun rapport avec les thèmes du jour, leur « attachement » au principe selon lequel il n’existe « qu’une seule Chine ». Le président Assoumani, plus précis encore dans ce gage de soutien donné à Pékin, évoque la nécessaire « réintégration » de Taiwan.

LA CHINE DOIT APPORTER SON APPUI À L’AFRIQUE AVEC LE RESPECT QUI SIED

Moins surprenant peut-être, Azali Assoumani plaide aussi pour une réforme du fonctionnement du Conseil de sécurité des Nations unies permettant à l’Afrique d’y faire enfin valoir sa voix, et remercie la Chine pour son soutien sur le sujet.

C’est finalement Félix Tshisekedi qui met fin au concert de louanges et d’amabilités en soulignant, après avoir dûment remercié la Chine pour son aide fidèle, que les « conditions du partenariat » et l’ « architecture de ce forum » gagneraient à être « rectifiés », afin notamment d’ouvrir plus largement le marché chinois aux produits africains.

Même totalité chez Cyril Ramaphosa, qui après avoir loué le soutien de la Chine, en particulier face au Covid, l’appelle à son tour à apporter son appui à l’Afrique « avec le respect qui sied ». C’est-à-dire à accentuer encore son effort en matière de construction d’infrastructures, de transfert de technologie et de rééquilibrage des échanges commerciaux.

Le poids de la dette

Une introduction parfaite pour Moussa Faki Mahamat, qui insiste quant à lui sur le problème de la dette contractée par certains pays africains auprès de Pékin ou de ses grandes institutions. Xi Jinping a certes encore annoncé l’annulation de certaines créances dues en 2021, mais le patron de la Commission de l’UA souhaite visiblement aller plus loin et, reprenant les grands projets des Nouvelles routes de la soie, appelle les partenaires à profiter du Forum pour signer des accords précis et contraignants concernant les prochains travaux d’infrastructures et les modalités de leur financement.

Des critiques qui ne doivent pas assombrir l’atmosphère d’entente cordiale affichée par tous les participants au sommet, où le mot d’ordre reste, comme lors de toutes les éditions du Focac, le développement mutuel pour une prospérité partagée et respectueuse des spécificités de chacun.

Reste tout de même la grande question de la mise en œuvre des nombreuses promesses formulées à Diamniadio. À Pékin, en 2018, la Chine avait impressionné en annonçant une enveloppe de plus de 60 milliards d’aide au développement pour le continent, classées en huit « initiatives majeures ». « Un grand nombre d’entre elles ont été achevées », a indiqué Xi Jinping aux congressistes présents à Dakar, sans entrer plus avant dans les détails. Et pour cause : le déblocage réel de ces milliards de dollars suscite encore, trois ans plus tard, beaucoup de doutes et d’interrogations.