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Présidentielle en Gambie: pour les victimes de Yahya Jammeh, «le temps de la justice est venu»

Ce samedi 4 novembre 2021, la Gambie doit élire son prochain président. Six candidats sont en lice, dont l’actuel chef de l’État Adama Barrow. Il y a cinq ans, il avait créé la surprise en l’emportant face à Yahya Jammeh qui tenait le pays d’une main de fer depuis plus de deux décennies. Un régime totalitaire responsable de nombreuses victimes qui attendent toujours que la justice fasse son travail.

De notre envoyée spéciale à Banjul,

À quelques kilomètres du centre de la capitale, on trouve une maison bien différente des autres, la Memory House, la Maison de la mémoire. C’est un lieu loin d’être ordinaire, à plus d’un titre. C’est le premier et le seul endroit actuellement qui rend hommage aux victimes d’un régime qui a sévi pendant plus de 20 ans. Un hommage à ces torturés, ces morts et ces disparus que l’on appelle en Gambie « les victimes de Yahya Jammeh ».

Cette Memory House a ouvert ses portes il y a seulement un mois. Le mur d’enceinte est fraichement repeint et deux fresques représentant deux visages de femmes, réalisées par un artiste gambien, accueillent le visiteur. À sa tête, Lisa Camara. Elle est responsable plaidoyer et droits humains de l’ONG Aneked (African network against extrajudicial killings and enforced disapearrances) à l’origine du projet. Et cette Memory House lui tenait particulièrement à cœur.

« Cet endroit a été fondé par les victimes elles-mêmes, elles ont donc une connexion avec ce lieu. C’est pour nous rappeler ce qui c’est passé et surtout éduquer les jeunes générations. Il faut qu’elles sachent ce qu’a été le temps de Jammeh pour que les choses ne se répètent pas. Les gens ont besoin qu’on leur rappelle pour ne pas oublier. C’est le premier musée de ce genre initié par les victimes. »

Devant la Memory House, inaugurée fin octobre 2021 à Banjul (Gmabie).
Devant la Memory House, inaugurée fin octobre 2021 à Banjul (Gmabie). © Charlotte Idrac/RFI

« Certains n’y croient toujours pas »

Dans les différentes salles, on retrouve des portraits, des textes racontant toutes ces histoires, mais aussi et surtout des objets personnels. Des vêtements, des papiers d’identité, des photos. Pour Sawyatou Bangura, l’une des guides de la Memory House, ce sont autant de témoignages pour rendre éternelle la mémoire : « On a mis du temps à collecter tous ces objets des familles des victimes. Ils expliquent ce que nous avons vécu. Durant ces 22 ans, il y a eu tellement de violations des droits de l’homme et d’atrocités que certains n’y crois toujours pas. Donc il faut que cette maison existe pour témoigner de tout cela. Ces objets personnels montrent bien qu’il y avait une vraie personne derrière chacune de ces victimes. »

Et parmi ses objets, il y a une carte de presse. C’est celle de Deyda Hydara. Un journaliste assassiné en 2004, devenu l’un des symboles des victimes de Yahya Jammeh. À l’époque, il était l’un des rédacteurs en chef d’un journal, The Point, qui existe encore aujourd’hui et dans lequel travaille son fils Baba Hydara.

Baba Hydara est très impliqué dans le combat des victimes de l’ancien régime. Même avant le départ en exil de l’ancien chef de l’État, il tentait de mobiliser pour dénoncer toutes les exactions. Depuis l’arrivée du nouveau président Barrow, il s’est impliqué et a suivi de près les travaux de la Commission vérité et réconciliation. Cette Commission a rendu son rapport, il y a quelques jours, après quatre années de travail. « Nous sommes tous contents de ce rapport, on a beaucoup attendu. Sa remise au président a été reportée deux fois. On a hâte désormais de savoir ce que le gouvernement va faire de ce rapport. »

La criminalité du régime

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Durant les cinq années du mandat d’Adama Barrow, la Commission vérité et réconciliation a été mise sur pied, elle a fait un travail de recherche et d’audition. Elle a recueilli plusieurs centaines de témoignages qui ont donc été rendus publics et elle a levé le voile définitivement sur les atrocités du régime, selon Reed Brody, avocat et défenseur des droits humains : « Les Gambiens ont été émus par les témoignages. Peu de gens avaient apprécié la profondeur de la criminalité du régime. Cela a été vraiment un modèle de sensibilisation de tout un peuple. »

Un premier travail mais qui n’est qu’une étape pour les victimes de Yahya Jammeh. Désormais, pour elles, le temps judicaire est arrivé : « Cette commission fait de la Gambie un pays de droit, estime Baba Hydara, mais ce n’est pas terminé. C’est important que les coupables soient jugés devant un tribunal. Aujourd’hui, on a des meurtriers qui marchent dans les rues, c’est le cas de ceux qui ont tué mon père. Moi ça me rend en colère. Il faut que le président honore les recommandations de la Commission et poursuivent ces criminels. C’est devenu un sujet de cette campagne électorale. Tous les candidats à la présidentielle savent que c’est important. Le président Barrow a évoqué le sujet lors de sa candidature. On a eu Ousainou Darboe ou encore Essa Fall qui nous ont promis de faire le nécessaire s’ils étaient élus. »

Toutes les victimes attendent aujourd’hui un engagement fort, affirme Reed Brody : « Elles attendent impatiemment que justice leur soit rendue. Elles ont déjà attendues cinq ans, rien ne leur a été offert pendant ces années. Pour beaucoup de victimes, c’est déjà une déception. Le gouvernement a choisi de faire ce travail de justice par séquence. D’abord, le rapport de la Commission comme feuille de route. Dans ces quatre ans de travail, il ne s’est rien passé. On a beaucoup appris, les crimes ont été rendus publics. On a eu des éclairages crus sur les pratiques du régime. Maintenant, c’est clair, le temps de la justice est venu. »

Un engagement qui se doit d’être fort pour Baba Hydara avant que la déception ne l’emporte : « Je ne suis pas encore déçu, mais je pourrais l’être si les choses ne vont pas dans le bon sens et si le président élu samedi ne suit pas les recommandations de la commission. Pour que cette Nouvelle Gambie dont on parle beaucoup depuis cinq ans commence, il faut s’occuper du passé. Cela doit permettre de tourner la page de Jammeh. Un changement, c’est un changement, pour l’instant, cela n’a pas encore été le cas. La Constitution est la même, les institutions aussi. Et tant que tout cela restera en place, rien ne changera véritablement. »

Tous mettent en avant la nécessité d’une volonté gouvernementale pour aller vers la justice qui ne devra pas trop tarder après les élections. « Vous savez, notre rôle pendant cette campagne électorale est capital, explique Lisa, de la Memory House. Nous ne pouvons pas abandonner tant que nous n’aurons pas un soutien sans faille et des garanties. Par exemple, nous n’avons reçu aucune aide des autorités pour ce musée, mais cela ne nous a pas surpris. Le gouvernement n’est pas très impliqué dans la communauté des victimes. Les autorités ne sont même pas venues à notre inauguration. Mais maintenant, les victimes ont désormais besoin d’action de la part de l’Etat. On savait dès le départ que cela allait être un long processus, parce qu’on sait que la justice prend du temps. Maintenant, le message que l’on envoie, c’est que nous sommes prêts. »