Pour la force française Barkhane et le dispositif européen Takuba, l’heure du grand déménagement semble arrivée. Alors que l’Union européenne invite l’Union africaine en fin de semaine à Bruxelles et que le président français a reçu mercredi 16 février ses homologues du G5-Sahel (à savoir de Mauritanie, du Tchad et du Niger mais amputé du Mali et du Burkina Faso) pour un dîner à l’Élysée, des annonces importantes sont attendues ce 17 février. Elles surviendront dans un climat de défiance exceptionnel en Afrique de l’ouest.
« Takuba signifie sabre ! Le nom n’a pas été choisi au hasard ! Les Européens cherchent à diviser le Mali !« . Le 5 février dernier, devant un parterre de diplomates, le premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga s’en prend à la force européenne Takuba, incluant la France dans sa critique.
Trois jours plus tard, l’Etat-major français annonce qu’une opération conjointe de la force européenne et de l’armée malienne, conduite entre le 1er et le 6 février (au moment des propos du premier ministre Maïga, donc) a permis d’éliminer une trentaine de djihadistes et de saisir « de nombreux équipements et composants pour la fabrication d’engins explosifs improvisés« , dans la zone des trois frontières, au confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
Mali : qu’est-ce la force Takuba ?
Ce grand écart illustre bien le contexte hautement bancal dans lequel évoluent aujourd’hui les forces françaises de Barkhane, complétées du dispositif européen Takuba, le tout alors que le Mali abrite toujours une mission onusienne de plus en plus fantomatique, la Minusma.
A cette confusion, il convient d’ajouter un « sentiment anti-français » largement relayé sur les réseaux sociaux, et un forcing de la Russie qui voit dans cet éco-système embrouillé une belle opportunité d’imposer, notamment, les paramilitaires de la compagnie Wagner, bête noire de l’Occident.
C’est ce climat politique et sécuritaire explosif que l’Europe et les régimes ouest-africains avec laquelle elle entretient encore des relations tentent cette semaine d’apurer. La manifestation très concrète et visible de ce grand ménage sera le sort réservé à la force française Barkhane et au dispositif européen Takuba.
On continuera à combattre le terrorisme à côté, avec les autres pays du Sahel qui sont tout à fait demandeurs.
Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères
Le ministre français des Affaires étrangères a confirmé le lundi 14 février au soir que l’heure de la grande réorganisation avait sonné pour Barkhane. « Si les conditions ne sont plus réunies pour qu’on puisse être en mesure d’agir au Mali, a expliqué Jean-Yves Le Drian sur la chaîne de télévision France 5, on continuera à combattre le terrorisme à côté, avec les autres pays du Sahel qui sont tout à fait demandeurs« .
De quels pays parle le ministre ? Le Niger, qui accueille déjà une partie du dispositif français, est un des alliés régionaux les plus fiables des Français, pourrait jouer un rôle central dans le nouveau dispositif. La ministre des Armées Florence Parly s’est rendue à Niamey début février pour s’entretenir avec le président nigérien Mohamed Bazoum.
Mali : la France redéploie la force Barkhane et quitte le Mali
Serval puis Barkhane
Installée en 2014, Barkhane avait succédé à l’opération française Serval dépêchée en urgence début 2013 alors que le Mali était en train de tomber aux mains des groupes djihadistes venus du nord du pays.
Si Serval avait une vocation purement malienne, Barkhane devait élargir ses interventions aux pays voisins, alors que le terrorisme dévoilait sa capacité à se démultiplier à travers le Sahel. Mais la présence française n’a pas empêché les violences de se répandre et, au fil des ans, la présence française a cristallisé toutes les critiques.
Point d’orgue ces dernières semaines avec les coups d’Etat au Mali et au Burkina Faso.
Largement soutenus par les opinions publiques des deux pays, ils ont balayé des pouvoirs jugés inefficaces contre la violence et trop liés, selon leurs instigateurs, à l’ancienne puissance coloniale.
Mali : la France aurait dû partir plus tôt
Sur le sujet, l’Agence France-Presse, qui évoque « une ambiance de fin de règne« , croit savoir ce mardi 15 février que le président Emmanuel Macron présentera son projet mercredi ou jeudi, en marge du sommet Union européenne – Union africaine à Bruxelles (Belgique).
La présidence française a en effet annoncé mardi 15 février la tenue d’un dîner à l’Élysée ce mercredi entre les dirigeants membres du Sahel (or Mali et Burkina Faso, suspendus des instances de l’Union africaine), des dirigeants de pays d’Afrique de l’Ouest (bordant le golfe de Guinée), mais aussi des représentants des institutions européennes.
Une question « ouverte » mais « pas tranchée »
La discussion portera essentiellement sur la présence militaire au Mali. La question du retrait des troupes et donc de la fin de l’opération Barkhane “est ouverte, mais pas tranchée” selon l’Élysée. “Toute décision sur l’avenir de notre engagement dans cette région doit être prise dans un cadre collectif”, a précisé un conseiller de l’Élysée pendant une conférence de presse, tout en précisant la volonté de rester présent au Sahel, surtout dans le sud.
Franck Paris, conseiller Afrique de l’Élysée
Pour autant, il ne s’agirait pas pour l’Élysée de calquer les opérations ailleurs au Sahel sur ce qu’a été la présence militaire au Mali. “En cas de retrait du Mali, il ne s’agirait pas de déplacer ce qui est fait au Mali pour le mettre ailleurs, mais plutôt d’amplifier le mouvement qu’on a déjà opéré au Niger et de soutenir davantage les pays du flanc sud”, explique le conseiller de l’Élysée, Franck Paris.
Une certitude, Paris a d’ores et déjà promis de continuer à lutter au Sahel et en Afrique de l’Ouest contre la propagation du djihadisme vers le golfe de Guinée. Une récente attaque dans le nord du Bénin est venue appuyer cet engagement. Trois attaques à la bombe artisanale la semaine dernière ont fait au moins 9 morts, dont un Français.
Avec Takuba, l’Union européenne impliquée
Les décisions françaises ne concernent toutefois pas seulement la France. Outre les pays sahéliens encore acceptés à la table de la diplomatie (Mali et Burkina Faso en ont été suspendus à la suite des coups d’Etat), l’Union européenne est elle aussi impliquée. En effet, depuis 2020, face à l’enlisement de Barkhane et au coût faramineux de l’opération, l’Europe a été mise à contribution à travers la « Task Force » Takuba.
Il s’agit d’un groupement de forces spéciales européennes créé en 2020 à l’initiative de la France, « en vue de partager le fardeau au Sahel« , titrait l’AFP il y a quelques semaines, au moment où le contingent danois était contraint de quitter le Mali sur demande de la junte.
Takuba opère aujourd’hui depuis les bases de Gao et Ménaka au Mali. Cette task force compte actuellement près de 800 membres des forces spéciales, dont une moitié de Français, des Estoniens, des Tchèques, ainsi que quelques Portugais, Belges et Néerlandais au sein de l’état-major. Elle a pour mission d’aider les forces armées maliennes (FAMa) à gagner en autonomie.
Mais à l’image de Barkhane, Takuba est aujourd’hui sur la sellette. Elle n’est pas qu’un dispositif européen. Elle est également un objet politique pour la France, alors que le président Emmanuel Macron a fait de l’Europe de la défense un des chevaux de bataille de son quinquennat, et, a fortiori, de sa présidence de l’Union européenne. « C’est impossible de continuer dans ces conditions, tous les autres alliés pensent la même chose« , déclare aujourd’hui dans la presse estonienne le ministre estonien de la Défense, évoquant les obstructions répétées du pouvoir malien à l’action des partenaires étrangers. Selon toutes vraisemblances, Takuba devrait connaître le même sort que Barkhane, à savoir un déménagement en bonne et due forme dans un autre pays de la région.
(Re)voir : Mali : l’Union Européenne ne va pas quitter le pays
Dès lors, au Mali, tous les regards pourront se tourner vers la Russie et la compagnie privée de paramilitaires Wagner.
Le chef de la diplomatie française affirmait lundi 14 février qu’un millier de ces hommes seraient déjà présents sur le sol malien.
(Re)voir : Mali : la présence de Wagner « ne fait aucun doute »