Ancien joueur du FC Nantes (2002-2004) et d’Angers Sco (2006-2009), Delis Ahou (37 ans) a particulièrement réussi son après-carrière. Il est aujourd’hui à la tête de Mad-Up, une start-up qui vend aux meilleurs clubs du monde, de foot mais pas seulement, un outil permettant de faire travailler les muscles en minimisant l’effort physique, qu’il a lui-même imaginé. Une reconversion peu commune qui sonne pour lui comme une évidence.
Un grand bureau entouré de murs blancs, presque immaculés. Ici, un tableau, quelques dessins de ses enfants, une télé. Une imprimante posée là. Quand Delis Ahou (37 ans), reçoit dans son univers actuel, rien ne rappelle son passé de footballeur, hormis sa silhouette toujours affûtée et un calendrier de l’Euro 2020, punaisé dans la salle de pause où trône une table de ping-pong de fortune. Pas de photos ni de maillots encadrés au mur.
« Je ne veux pas cracher sur le milieu, il m’a permis de me construire en tant qu’homme, j’y ai rencontré mes amis d’aujourd’hui. Et je suis né dans un quartier difficile, issu d’une famille monoparentale… Le foot a été une branche à laquelle je me suis raccroché et grâce à laquelle je me suis développé humainement, personnellement, socialement. Mais si c’était à refaire, je crois que j’aurais basculé plus tôt. C’est là ma place », pose calmement Delis Ahou, les bras croisés derrière la tête, au milieu d’une discussion de deux heures.
Là, c’est à la tête de la société Mad-Up , start-up angevine qu’il a imaginée et développée d’abord tout seul puis avec deux anciens coéquipiers à Nantes et Angers, Milos Dimitrejevic et Guy Moussi, et l’ancien médecin du FC Nantes et de l’équipe de France, Fabrice Bryand. Leur truc à eux, c’est le Blood Flow Restriction training (BFR)*, un terme un peu barbare derrière lequel se cache, pour faire court, une machine permettant de faire de la musculation sans la contrainte physique.
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Dans des locaux angevins qui accueillent toute la chaîne de production, le natif de Nantes est dans son élément. « Ça fait sourire quand un ancien footballeur se lance dans l’innovation, mais pour moi, c’est une évidence. Petit, quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je disais chef d’entreprise, pas footballeur. » Cette deuxième vie est un épanouissement.
« Mon pauvre Délis, qu’est-ce que tu vas faire de ta vie ? »
Revenons d’abord à la première, aux origines de tout. Une enfance dans les quartiers difficiles de Nantes, une famille monoparentale, une éducation faite de peu de choses et de beaucoup d’heures passées au city stade, avec les copains. « Je courais plus vite et plus longtemps que les autres. J’aurais pu faire de l’athlé, du hand, du basket. Mais dans mon quartier, aux Dervallières, il n’y avait pas de place pour autre chose que le foot. C’est lui qui est venu à moi plus que moi qui suis allé à lui. »
Ces prédispositions lui font mettre le clignotant à droite une fois le bac passé : il prend la voie du football pro. Le centre de formation du FC Nantes, où il a joué jusqu’en CFA (ex-N2) avec la réserve puis Carquefou, le Gazélec Ajaccio et Angers, alors en National. Au Sco (2006-2009), aux heures fastes de sa carrière, il découvrira la L2. Avec en filigrane, déjà, son corps : « J’ai toujours été focus sur l’aspect athlétique. Très tôt, en formation, j’étais très à cheval sur mon alimentation, sur les moyens d’améliorer mes capacités physiques. J’étais proche des kinés, des médecins, des préparateurs physiques. J’étais dans la moyenne techniquement, mais physiquement, j’étais au-dessus. »
Pourtant, c’est un comble, son physique finira par lui jouer des tours. En 2008, une blessure à la hanche le dirige vers l’opération. Elle ne changera rien. « J’ai toujours mal et je suis l’ombre de moi-même. » La fin est inéluctable mais il se voile la face. « On est au printemps 2009, je reprends l’entraînement mais ça ne va pas, même si je ne lâche rien. On parle de l’arrêt de ma carrière, ce qui est inimaginable pour moi. Et là, je m’en souviendrai toujours, je suis entre les vestiaires et le bureau du coach et un dirigeant me dit : « Mon pauvre Délis, qu’est-ce que tu vas faire de ta vie ? » Sur le coup, je ne l’intellectualise pas vraiment. Depuis, je ne suis pas un mois sans penser à ces mots-là. »
« Je veux me révéler sous ma vraie forme »
L’après Sco n’est pas simple : s’il rencontre Clotilde, celle qui est aujourd’hui sa femme, il traverse une année de chômage, et est « au bord de la dépression ». « Je me monte une salle de musculation dans une chambre, je fais que ça. Je joue à la console jusqu’à 3 h du mat. Le cliché du footballeur au chômage. Je me coupe de mes potes, ne veux plus entendre parler du milieu du foot. Je suis dégoûté que les gens ne fassent pas attention à moi. Mais en même temps, je ne peux pas attendre des gens cela alors que moi, je ne fais pas attention à moi », raconte-t-il.
Il tente un retour à Vitré, en CFA, mais l’aventure tourne court. À l’été 2011, il range les crampons. C’est un nouveau départ, dans l’inconnu : « Je repars de 0, voire de -10 ». Mais avec une grosse motivation : « Je veux me révéler sous ma vraie forme, montrer de quoi je suis capable, d’autant que j’ai quand même de l’ego. Je veux me former, bosser, même aller chez McDo s’il le faut ». Pourtant, les premières aventures dans le monde de l’entreprise, dans une banque, comme vendeur en téléphonie mobile ou dans un magasin d’équipements sportifs, ne sont pas de franches réussites. Il y a bien quelques mois passionnants comme coordinateur sportif de la Fédération du Niger de football, avec qui il a connu plusieurs sélections comme joueur, mais là aussi, le projet ne fait pas long feu.
« Comme pendant ma carrière de footballeur, j’ai du mal à vivre dans le cadre qu’on m’impose. J’ai besoin de construire mon propre cadre. Ce n’est pas parce que je me considère mieux ou moins bien que qui que ce soit, c’est que j’ai mon propre fonctionnement. C’était pareil à l’école : c’est mon éducation, je ne sais pas m’arrêter à ce qu’il y a devant moi. »
Pourtant, en 2016, sur le plan professionnel, devant lui, il n’y a pas grand-chose… « Je recommence à aller beaucoup à la salle de musculation, mais je stagne. On me parle des protéines pour continuer ma progression mais je ne suis pas chaud. Et là, en sortant de la salle, il se passe la même chose que dans les dessins animés des années 1990, quand quelqu’un avait une idée, c’était un oiseau qui passait au-dessus de sa tête qui lui apportait. Ça s’est passé exactement comme ça. J’ai levé la tête, et je me suis souvenu de cette méthode de l’entraînement avec un garrot (le fameux BFR) qu’un pote bodybuilder m’avait fait découvrir il y a une quinzaine d’années. »
C’est la révélation. « Je rentre chez moi et je me lance dans mes recherches, je tape sur Google : « entraînement garrot ». Et c’est en effet un truc de malade, je le vois comme un truc dangereux, mais au Japon et aux USA, c’est déjà le futur. Les bénéfices sont énormes, mais la mise en pratique est dangereuse. Forbes en parle comme de la méthode de demain, quand ce sera bien sécurisé. »
Le docteur Bryand, la caution médicale du projet
Pendant des vacances à Montréal avec sa femme, Delis Ahou en profite pour découvrir où en est là méthode de l’autre côté de l’Atlantique. « Ils n’ont pas d’appareil pour faire ça de manière sécurisée. Ils le font avec des garrots de chirurgie, des tensiomètres, des poids et c’est n’importe quoi. Et là, je me dis : il y a un p… de truc à jouer. »
L’ancien joueur du Sco se lance dans l’aventure, pose son projet noir sur blanc et rencontre les dirigeants d’Angers Technopole : ils sont emballés et l’incubation est très rapide. Il échange avec des spécialistes du CHU d’Angers et d’ailleurs : « J’ai directement été pris au sérieux. Les mecs se sont dit : « il n’a pas du tout le background mais il a une vraie d’énergie ». Ma force, c’est d’avoir la capacité de faire en sorte que les gens se greffent à mon projet. »
Le premier, et non des moindres, sera donc le doc Bryand. « Il a tout de suite compris le concept et m’a dit : « On y va ». Après avoir été malade, lui aussi était en mode renaissance. Et c’est parti comme ça. C’est la caution médico-scientifique du projet. Quand il se déplace, ça fait sens. Je peux avoir le même discours que lui. »
Ingénieur dans l’âme, Ahou imagine lui-même le prototype. « J’aurais aimé être ingénieur, confie-t-il. Si j’avais les diplômes, je ne sortirais jamais de mon garage. Je suis hyperactif, j’ai besoin de ça. J’ai du mal à dormir. J’ai des idées toutes les heures. Attention, elles ne sont pas toutes bonnes, certaines sont merdiques. Mais c’est une frustration de ne pas pouvoir les mettre en pratique. »
« La première vente, à Norwich, c’était exceptionnel »
Pour celle-ci, ce sera le cas. Avec deux nouveaux soutiens, en fin d’année 2017, alors que le premier prototype est créé : Dimitrijevic et Moussi… « Avec eux, rien n’a changé après ma carrière. Milos, c’est un ami de longue date, depuis l’enfance. Guy, quand on s’est rencontré à Angers, ça a matché direct, c’était mon témoin de mariage. » À ce moment-là, les deux, qui ont écumé l’Europe et même le monde du foot, sont sur la fin. « Je savais qu’ils étaient potentiellement en recherche de reconversion. Je leur ai expliqué qu’il me fallait des moyens humains, de l’énergie positive, des réseaux et des finances. »
Alors qu’ils devaient n’être que des investisseurs au départ, Moussi et Dimitrijevic se prennent au jeu et prêchent aujourd’hui la bonne parole de Mad-Up dans l’Europe entière, VRP de luxe, pendant qu’Ahou, actionnaire majoritaire, pilote le bateau depuis Angers. « Au début, Guy et Milos ne se connaissaient pas, mais ça a matché direct. Ils sont partis ensemble, d’abord en Angleterre, pendant trois semaines-un mois pour vendre le produit. La première vente, à Norwich, c’était exceptionnel. On était comme des enfants. »
Malgré quelques embûches, notamment le Covid, l’entreprise est aujourd’hui implantée dans les plus grands clubs européens, plébiscitée par les plus grands joueurs du monde, de foot mais pas que, comme chez les kinés de centre-ville. Fin 2021, 600 machines étaient déjà sur le terrain.
Et alors qu’une deuxième levée de fonds est dans les tuyaux, « pour répondre aux demandes de plus en plus élevées », Delis Ahou est un homme comblé : « Je n’ai jamais été autant à ma place que maintenant », dit-il le regard, au milieu de ses lunettes rondes, pointé déjà loin vers de nouveaux horizons. « Mon rêve, c’est la création d’un incubateur de projets. Je n’ai pas pu mettre au jour tous ceux que j’avais donc pourquoi pas aider les autres ? »
Il y a aussi ce qu’il appelle son : racheter un club de foot. « Guy serait directeur sportif, Milos s’occuperait du recrutement et moi président. » Ce serait alors le début d’une troisième vie.
* La question : qu’est-ce que le Blood Flow Restriction training ?
Méthode peu connue des non-initiés, le BFR était surtout utilisé « de manière un peu barbare », avance Delis Ahou, avant d’entrer dans le détail : « C’est un concept né au Japon dans les années 1970, qui consiste à coupler un exercice physique à très faible intensité avec une restriction du flux sanguin. On comprime un muscle en mouvement et on supprime la contrainte mécanique qu’on utilise quand on fait de la musculation avec des charges lourdes. Avec la compression, on limite l’oxygénation des tissus musculaires, ce qui change son pH et permet de reproduire l’effort à haute intensité sans charge additionnelle, donc sans fatigue musculaire. Cela permet de produire beaucoup d’hormones anabolisantes, propices au développement des tissus et des muscles. »
Avec Mad-Up, Delis Ahou, accompagné de spécialistes de la santé, a donc créé une machine permettant d’appliquer cette méthode de manière plus sécurisée. Outre les sportifs de haut niveau, pour limiter les risques de blessures avec la musculation, la machine est appréciée des kinés, pour la rééducation des patients.
Néanmoins, cela peut-il s’apparenter à du dopage ? « Le centre de rééducation des sportifs de Capbreton nous a posé la question. Certains clubs aussi. C’est en effet un boost physiologique, on pousse l’organisme à créer des hormones anabolisantes. Mais à aucun moment, il y a des substances autres que celles qui sont sécrétées par l’organisme naturellement. Donc non, ce n’est pas du dopage », balaie Delis Ahou.