En Russie, ils seraient de nombreux Belges et Français à avoir décidé de rester, malgré les conseils de leurs gouvernements respectifs. Témoignages d’entrepreneurs à qui les sanctions occidentales ciblant l’économie russe ne font pas peur.
Son appartement moscovite, Heywood Gaspard ne compte pas le quitter de sitôt. Les sanctions économiques imposées par les membres de l’Union européenne et par les Américains certes assombrissent l’avenir à court et moyen terme en Russie. Mais il en faudra plus, pour faire peur à cet employé dans une grande entreprise russe de logistique.
« De toute façon, la Russie est sous le coup de sanctions depuis 2014. Après chaque vague de sanctions, la Russie en ressort plus forte. Il est vrai que cette fois-ci, ça va être un peu plus difficile, ça va durer un peu plus longtemps, mais je suis sûr et certain qu’ils peuvent arriver à se remettre dans un état encore meilleur que celui dans lequel se trouvait le pays économiquement », affirme Heywood Gaspard.
Le Belge dit n’avoir pas reçu de consignes spécifiques de la part des autorités consulaires de son pays d’origine. Jusqu’à présent, un communiqué diffusé dimanche dernier demandait simplement aux ressortissants belges d’éviter les manifestations organisées dans les grandes villes.
Dans une dernière mise à jour, l’ambassade belge en Russie déconseille cependant « tout voyage dans l’ensemble de la Fédération de Russie » et conseille à ses ressortissants de « quitter temporairement » le pays s’ils y résident et si leur présence n’est pas « nécessaire ».
« J’ai toute ma vie en Russie. J’ai acheté un appartement, monté un business, j’ai une famille et je ne vois pas pourquoi je rentrerais aujourd’hui en Belgique », explique le responsable du club francophone de Moscou.
« Ceux qui décident de partir, c’est plus par peur de ce qu’il pourrait arriver. Notamment, une guerre avec l’OTAN. C’est vraiment la peur numéro un de tout le monde ici. Principalement des étrangers, plus que des Russes », continue Heywood.
Pour d’autres, ce serait aussi la peur de représailles à l’égard des Européens. « Dimitri Medvedev un moment avait parlé de saisie des biens des étrangers, en réciprocité avec ce qu’il se passe en Europe et des biens russes saisis », détaille l’homme d’affaire installé en Russie depuis dix ans.
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Pour ce dernier, le retour en Belgique n’en vaut pas la peine, faute d’incitations et de soutiens officiels.
« Le problème, c’est qu’on ne vas pas du tout être aidé pour le retour. Aujourd’hui, un réfugié ukrainien qui arrive dans l’Union européenne va recevoir une maison ou une location, alors qu’un rapatrié n’aura absolument rien », dit-il.
Je sens vraiment un regain de patriotisme chez la majorité des Russes depuis les dernières sanctions. Heywood Gaspard, franco-russe vivant à Moscou
Le salaire de l’employé en logistique a certes baissé de « 30% », à la suite de la dévaluation du rouble. Il se dit conscient que son train de vie va être impacté. Sans pour autant s’en inquiéter.
Heywood dispose de la double nationalité belgo-russe. Il se dit « complètement assimilé » et ne ressent aucun changement de comportement des Russes à l’égard des Européens, malgré la série de sanctions impactant l’économie et les portefeuilles des habitants.
« Je n’ai aucun problème avec mes collègues russes, au contraire. Par contre, je sens vraiment un regain de patriotisme chez la majorité des Russes depuis les dernières sanctions. »
Même son de cloche pour Alexandre Stefanesco. Le père de famille de 44 ans vit depuis 14 ans en Russie et réside depuis plusieurs années à Moscou. Lui dispose de la double nationalité franco-russe. Il ne compte pas plus partir qu’Heywood et ne craint pas de rester dans le pays comme Français.
« Traditionnellement, la France a une bonne image et les Français sont bien vus et appréciés. Mais le ressenti du peuple russe contre l’Occident au sens large, ce qui pour eux inclus l’Amérique, l’Europe, etc. va effectivement être croissant. Il l’est de toute façon depuis 2008 et 2014 », explique le directeur d’un cabinet de recrutement spécialisé dans l’accompagnement des entreprises ouest-européennes et notamment françaises.
« Il y a un contre effet des sanctions qui n’arrive pas à être intégré par les politiques français et européens. Les sanctions font mal au business français. Elles ne portent pas atteinte à la popularité du pouvoir politique en place », affirme ce dernier.
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Jeudi matin, le Quai d’Orsay s’adressait aux expatriés en Russie. «Il est fortement recommandé aux ressortissants français, dont la présence et celle de leur famille n’est pas essentielle en Russie, de prendre leurs dispositions pour quitter le pays par les liaisons encore existantes».
La communication est trop floue pour le co-animateur du comité PME/PMI à la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe à Moscou.
« Le Ministère des Affaires étrangères français recommande le départ, certaines entreprises le proposent à leurs salariés mais globalement, savoir ce qu’est une présence essentielle est assez confus pour tous les Français de Russie. Ce n’est pas clair. Des sondages que nous avons pu faire sur des groupes Telegram de Français de Russie, et de la Chambre du commerce, 65 à 70% des interrogés souhaitent rester et restent actuellement dans le pays », explique Alexandre Stefanesco.
Ce père de deux enfants est même optimiste pour la suite : « Je sais que c’est dur à entendre, mais je pense qu’il faut déjà préparer l’après-guerre. Les sanctions auront un impact, mais j’imagine que derrière il y aura un rebond. Le monde d’après s’écrit à partir d’aujourd’hui. »
La France est le premier employeur étranger de Russie avec près de 160 000 collaborateurs.
Peu de grandes entreprises françaises ont annoncé leur intention d’arrêter leur activité en Russie, en dehors de fermetures « temporaires » de boutiques dans le luxe.
Mais le directeur du cabinet de recrutement à Moscou constate déjà l’effet des sanctions sur son activité.
« Ce qu’il se passe aujourd’hui du coté des entreprises, c’est un ralentissement des projets et donc des recrutements. D’ailleurs, tout le monde se demande un peu ce qu’il va se passer dans les jours qui viennent. Nous sommes dans la crainte. Le MAE communique de façon confuse, ce qui sème la panique dans les sociétés. Mais les entreprises françaises ne quittent pas la Russie. Elles mettent l’activité à l’arrêt », explique Alexandre Stefanesco.
Ma société ne part pas de Russie. J’ai des projets industriels. Ça fonctionne toujours. Les sociétés avec qui je travaille ont le cash.Stéphane, expatrié français en Russie employé chez Eiffage Énergie Systèmes
Pour Stéphane, un Français expatrié en Russie depuis 15 ans à Samara, en région, avec sa femme et ses enfants, pas question de partir non plus.
« Ma société ne part pas de Russie. J’ai des projets industriels. Ça fonctionne toujours. Les sociétés avec qui je travaille ont le cash », explique l’employé en développement d’Eiffage Énergie Systèmes.
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Lui, se sent toujours bien en Russie, malgré le contexte politique tendu causé par la guerre en Ukraine et les sanctions qui en découlent.
« Je n’ai jamais ressenti d’animosité en Russie depuis 15 ans. Quand vous dites que vous êtes français, on vous parle de littérature, d’échanges intellectuels. Avant-hier, nous avions une discussion dans un bar avec de jeunes russes et des plus âgés. Si ça s’était mal passé, on ne m’aurait pas repayé des bières », ajoute Stéphane.
En Russie, 4767 Français seraient expatriés, selon les chiffres 2021 du registre consulaire de France en Russie.