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ENQUETE ET REPORTAGE: Ces placements qui ont ruiné des footballeurs

Une dizaine d’anciens joueurs pros se disent victimes d’une arnaque immobilière. Selon les informations d’Ouest-France, ils ont englouti des sommes allant de 200 000 à 3 millions d’euros.

C’est clair, son salaire n’a rien à voir avec ceux de M’Bappé ou Neymar. Au plus fort de sa carrière, il franchit tout de même la barre des 20 000 € par mois. Florian, on l’appellera ainsi car il tient à son anonymat, peut alors croire aux lendemains qui chantent. Il peut se targuer d’avoir porté le maillot de l’équipe de France chez les jeunes. Il a même disputé une finale de la coupe de la Ligue au Stade de France. Tout sauf anodin dans l’imaginaire collectif des footeux. Et de ceux qui gravitent autour. Fabrice Cellier, conseiller en gestion de patrimoine, ne s’y est pas trompé. Il a toqué à sa porte. Lui a promis des investissements juteux dans la pierre, pour défiscaliser et le mettre à l’abri une fois les crampons raccrochés.

Personnes aux abois

 

Florian, 35 ans aujourd’hui, lui a fait confiance. « Il s’occupait même de mes déclarations d’impôts. » Comment ne pas croire cet homme, la quarantaine, allure bobo chic et familier du ballon rond, lui qui fut responsable des partenariats au Stade de Reims ? Un conseiller qui vous attend à la fin de l’entraînement et vous est recommandé par un partenaire, avec qui il partageait des week-ends en famille. Car Florian n’est pas le seul à avoir signé à l’aveugle des prêts immobiliers.

Un jour, la belle machine financière s’est grippée. Les mensualités, avec ces fameux taux révisables, leur ont fait boire la tasse. Plus possible de rembourser, d’autant que leur carrière, après être passée par Nantes, Lens, Lille ou le PSG, se joue désormais en Ligue 2 ou dans des championnats moins rémunérateurs. « Tous ces footballeurs se connaissent, appuie maître Bernard Solitude, du cabinet BFS. Pas un seul d’entre eux n’a tiré bénéfice de ces opérations faites à des moments différents, sur des projets différents et dans des villes différentes. » Chacun s’est tu dans son coin, honteux. Jusqu’au jour où Hortense, au fond du trou, a appelé une autre victime au secours. Elle met tout sur la table, s’arrache les cheveux. « Il nous faisait signer les papiers en prenant bien soin de ne pas rentrer dans les détails », nous confie, aujourd’hui, celle qui découvrira l’ampleur du désastre, sept ans après le premier prêt contracté, après une relance de la banque.

Après le silence, et ce fichu sentiment de culpabilité, la parole se libère. Pour encourager d’autres potentielles victimes à se déclarer. Et inverser les responsabilités en lançant une procédure judiciaire. « On peut se tromper sur un investissement, voire deux, mais quand ça se reproduit plusieurs fois de suite, ce n’est pas le hasard », affirme maître Solitude. Aujourd’hui, trois joueurs ont saisi le Tribunal de Grande Instance de Reims contre ce conseiller de gestion en patrimoine et sa société, FC Associés, pour défaut de conseil. « Devant l’urgence de la situation, plus qu’une condamnation du conseiller, la priorité est d’obtenir une indemnisation des personnes aux abois », déclare maître Codéço, avocat d’une autre victime. Car les remboursements (en moyenne 2 500 € mensuels par prêt), eux, restent actifs et plombent la vie de ces anciens footballeurs.

Selon nos informations, sept, au moins, et un entraîneur, seraient au mieux très endettés, au pire ruinés à la suite d’investissements immobiliers opérés entre 2005 et 2010. Des biens à Asnières, à Bayonne ou encore Auxerre. Pour les acquérir, ils ont emprunté des sommes rondelettes, de 200 000 € à près de 3 millions d’euros pour cet ancien international espoir, une centaine de matches en Ligue 1 au compteur. « Ils ont vendu leurs biens à perte, décrit maître Bernard Solitude, qui défend les intérêts de trois des victimes. Ils continuent donc de payer alors que ceux-ci ne leur appartiennent plus. »

Cet attaquant et d’autres ont été invités à investir via des programmes dits « loi Malraux », liés à la conservation du patrimoine historique. La formule, séduisante, peut devenir un gouffre financier. Notamment pour des footballeurs professionnels aux carrières incertaines, faites de contrats juteux, parfois, mais toujours précaires. « Une procédure est en cours donc je n’ai pas vocation à trop m’étendre, rétorque Fabrice Cellier. C’est in fine que l’on pourra juger des effets de ces investissements et tirer des conclusions. » Cette vie professionnelle de courte durée semble toutefois mal s’accommoder avec un mécanisme qui engage au minimum sur neuf ans. « Je peux comprendre que les intéressés essaient de faire valoir leurs droits, poursuit avec conviction le CGP. Mais on a pris tout le temps nécessaire, énormément de temps, pour qu’ils sachent sur quoi ils investissaient. »

Pendant neuf ans, l’acquéreur ne peut pas vendre, peu importe l’évolution de sa situation. Un délai parfois allongé par d’autres dispositifs, fragilisant d’autant le montage financier. « Nous ne pouvons pas vendre l’un des biens avant 2025. Mon époux, dont la carrière est déjà terminée, aura alors près de 40 ans », dénonce Hortense, engagée sur des plans de financement courant sur 15 ans. Elle renchérit : « Comment une banque a-t-elle accepté, sans n’avoir jamais pris contact avec nous et alors que je ne travaillais pas à ce moment-là, de prêter 315 246 €, seulement deux ans après un premier prêt de 246 478 € ? »

 

« Comme on achète un pin’s »

C’est l’une des questions de ce dossier. « On est passé par des opérateurs spécialistes en la matière, qui ont pignon sur rue », affirme Fabrice Cellier. Les victimes dénoncent, elles, une collusion entre ledit conseiller et certains salariés des organismes bancaires, que l’on retrouve dans de nombreux dossiers. « Un de mes clients n’a eu aucun contact avec les banques, raconte maître Solitude. Un autre ne possède aucun document. Il a acheté un bien immobilier comme on achète un pin’s. Par exemple, j’attends toujours les actes de vente du notaire. »

Il envisage une action au pénal pour escroquerie et/ou abus. Pour les avocats, si des contrats ont bien été signés, le consentement des joueurs n’était pas assez éclairé. De nombreux établissements de crédit ont été condamnés pour avoir manqué à leur devoir d’information envers leurs clients. Un public loin d’être initié. Comme Florian quand il a signé ces prêts.

Les bons conseils de Michaël Cavailles : pas de mauvais placements, de mauvais usages

Il n’y a pas de mauvais placements, mais de mauvais usages. Il revient, après audit détaillé de la situation familiale, professionnelle et personnelle d’une personne de lui proposer le placement répondant au mieux à son profil et à ses attentes. « Il faut trouver le bon compromis entre avantages fiscaux, la trésorerie (en cas de perte d’emploi) et la préparation de l’après-carrière, développe Michaël Cavailles, conseiller en investissement financier (CIF) CG Invest, à Alençon (Orne). Si le placement ne tient pas compte d’un de ses trois piliers, alors les dangers encourus sont grands. »

Si l’après-carrière est privilégiée, alors l’abaissement fiscal ne sera pas optimisé. Si la trésorerie fait défaut, un placement adapté au moment de sa souscription peut devenir un gouffre, faute d’anticipation.

« Quand une personne perçoit un salaire aussi important qu’éphémère, l’idéal est de réaliser des opérations financières courtes… Et de fonctionner comme avec un fonds de commerce, dont l’avenir est incertain, reprend Michaël Cavailles. C’est-à-dire s’engager sur un plan de financement courant sur 5 à 7 ans maximum. »

Cela permet de rembourser une grande partie du capital rapidement et de renégocier la durée du prêt en cas d’une baisse des revenus.