L’Ukraine accuse l’armée russe d’avoir commis un « massacre » à Boutcha, une petite ville au nord-ouest de Kiev récemment reprise par les troupes ukrainiennes. De nombreux cadavres de civils étaient visibles dans les rues. Des centaines de personnes tuées. Il y aura un avant et un après Boutcha.
Des images insoutenables. À Boutcha, petite ville du nord-ouest de Kiev faisant face à Irpin, une vingtaine de corps jonchent une rue du centre-ville. Les tanks les évitent en remontant la route. « C’était l’enfer (…). Dieu nous a sauvés », témoigne un homme dans la ville. « On est resté dans la cave pendant deux semaines, sans lumière et sans chauffage » déclare un autre.
Des civils tués d’une balle dans la nuque
Boutcha, ville d’environ 37 000 habitants située à 30 km de la capitale, était occupée par les forces russes depuis le 24 février. Les bombardements n’y ont cessé que depuis le 31 mars. L’armée ukrainienne a pu y pénétrer de nouveau seulement depuis quelques jours, en y découvrant l’horreur.
Nous avons vu des corps de civils dans les rues et jetés derrière des immeubles. La plupart avec des impacts de balle à la tête. Certains avaient les mains liées dans le dos.
Simon Ostrovsky, journaliste du New York Times
Des journalistes de plusieurs médias internationaux, dont l’Agence France-Presse, ont pu se rendre sur place et constater l’ampleur du massacre. La photographie de l’alignement des vingtaines de cadavres, portant encore leurs vêtements civils, a immédiatement choqué la terre entière. L’un d’eux a été retrouvé couché près de son vélo, tandis que d’autres avaient à côté d’eux des sacs à provisions.
Si on ne peut pas dans l’immédiat déterminer la cause de la mort de ces personnes, au moins deux des victimes présentent de larges blessures à la tête. Selon le maire de Boutcha, Anatoli Fedorouk, ces personnes ont été tuées par les soldats russes d' »une balle dans la nuque ».
Une fosse commune avec 57 corps et des centaines de tués
L’horreur ne s’arrête pas là. Plus loin, les cadavres de 57 personnes sont retrouvés dans une fosse commune derrière une église. Une dizaine de cadavres étaient visibles, certains seulement partiellement inhumés, comme le témoigne Simon Ostrovsky, journaliste au New York Times et PBS NewHour qui était sur place : « L’un des charniers de Boutcha. Nous avons vu des corps de civils dans les rues et jetés derrière des immeubles. La plupart avec des impacts de balle à la tête. Certains avaient les mains liées dans le dos. Preuves de crimes de guerre qui ont eu lieu pendant l’occupation russe de la ville. »
Rapidement, le bilan de ces charniers montera à 280 personnes, selon le maire Anatoli Fedorouk puis 410 selon la procureure générale d’Ukraine Iryna Venediktova. « Chaque jour, lorsque nos combattants entrent et reprennent des territoires, vous voyez ce qu’il se passe » a déclaré le président ukrainien Volodymyr Zelensky, à la suite de la découverte de ces images. « Ce sont des crimes de guerre et ce sera reconnu par le monde comme un génocide » a-t-il renchéri.
L’armée russe a, elle, immédiatement démenti être responsable de ces exactions. Le ministère russe de la Défense assure que « pendant la période au cours de laquelle cette localité était sous le contrôle des forces armées russes, pas un seul de ses habitants n’a souffert d’actions violentes », soupçonnant même Kiev d’être à l’origine de cette « nouvelle production pour les médias occidentaux. »
Les cas que nous avons documentés témoignent d’une cruauté et d’une violence indicibles et délibérées à l’encontre des civils ukrainiens.
Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch
La communauté internationale, notamment l’Union européenne, exhorte une enquête afin de récolter les preuves de potentiels crimes de guerre de la part du Kremlin. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a déclaré être « choqué par les images obsédantes des atrocités commises par l’armée russe dans la région libérée de Kiev » et assuré que « l’UE aide l’Ukraine et des ONG à rassembler les preuves nécessaires pour des poursuites devant les cours internationales ».
Des témoignages accablants de crimes de guerre
Le même jour de la diffusion des images de Boutcha, l’organisation non gouvernementale américaine Human Rights Watch publiait une dizaine de témoignages recueillis dans les régions de Tchernihiv, Kharkiv et Kiev. L’ONG rapporte qu’à Boutcha, un témoin déclare avoir vu, le 4 mars, des soldats forcer cinq hommes à s’agenouiller au bord de la route, leur couvrant la tête à l’aide de leurs T-shirts et tirant sur l’un d’entre eux derrière la tête. « Il [s’est effondré] », a déclaré le témoin, « et les femmes [présentes sur les lieux] ont hurlé ».
Le même jour, une enseignante a témoigné avoir assisté a une exécution sommaire d’un homme dans le centre-ville. « Les cas que nous avons documentés témoignent d’une cruauté et d’une violence indicibles et délibérées à l’encontre des civils ukrainiens », a déclaré Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Les viols, meurtres et autres actes de violence contre des personnes détenues par les forces russes devraient faire l’objet d’enquêtes en tant que crimes de guerre. » soutient le directeur.
Si les découvertes macabres à Boutcha font douter le pire pour certains observateurs quant au siège actuel de Marioupol par les troupes russes et tchétchènes, Moscou rejette catégoriquement toute accusation de crimes de guerre. Les autorités russes ont même expressément demandé une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU pour statuer sur les « provocations haineuses » commises par l’Ukraine à Boutcha.