Le Fonds monétaire international publie ce jeudi 28 avril un rapport régional sur les perspectives économiques en Afrique subsaharienne. Selon l’institution, la croissance devrait être moins rapide que prévue en 2022. Les conséquences de la guerre en Ukraine et celle de la pandémie sont en cause. Résumé en cinq point sur qu’il faut retenir de ces projections, avec l’éclairage de l’économiste Papa N’Diaye qui les a dirigées.
1. Des projections pessimistes : la croissance devrait être plus faible que prévue, et l’inflation plus élevée
Papa N’Diaye, chef de la division des études régionales au département Afrique du FMI, évoque pour commencer une « baisse significative » de la croissance projetée en Afrique. En effet, elle vient d’être réévalué par le FMI de 4,5% à 3,8%. De plus, « l’inflation dans la région devrait rester élevée en 2022, à 12,2 %, puis redescendre progressivement à 9,6 % en 2023 ».
D’après le rapport, cette baisse de la croissance prévue « compromet » les bons résultats du sous-continent en 2021, et porte un « coup d’arrêt à la dynamique de croissance positive » du second semestre 2021.
3,8% de croissance : le chiffre peut sembler conséquent, mais selon Papa N’Diaye, qui a dirigé ce rapport, il est largement insuffisant pour rattraper ce qui a été perdu les années précédentes, et « créer tous les emplois nécessaires pour absorber l’entrée des jeunes sur le marché du travail ».
L’institution redoute surtout les conséquences pour les groupes les plus vulnérables. Ils seront ceux à subir le plus violemment les « tensions inflationnistes ». Par ailleurs, les inquiétudes se développent quant à l’insécurité alimentaire et la hausse du taux de pauvreté, après des périodes d’amélioration. Ces problématiques pourraient aussi conduire à une augmentation des tensions sociales, en creusant les inégalités.
Les prévisions pour 2023 sont toutefois plus optimistes, avec une croissance à 4%, même si encore trop faible selon le FMI. Ainsi, « le fossé entre la région et les économies avancées, creusé par la crise du COVID-19, devrait persister ».
Rapport sur les perspectives économiques en Afrique subsaharienne du FMI
2. Crise sanitaire puis guerre en Ukraine : une région mise à rude épreuve
Car ce sont bien la pandémie de coronavirus, suivie de la guerre en Ukraine, qui expliquent cette dégradation. Le FMI évoque à propos du conflit un « nouveau choc » pour l’économie de la région, faisant augmenter le prix des matières premières, des énergies, des denrées alimentaires et de la production agricole, à un moment où elle essaye de se rétablir à la sortie de la crise sanitaire.
Les prix des denrées avaient déjà connus des augmentations avant la guerre, mais la situation s’est depuis empirée. En particulier, le rapport rappelle que « l’Afrique subsaharienne importe environ 85 % de son blé et certains pays s’approvisionnent directement en Russie ou en Ukraine pour une grande partie de leurs importations ».
La pandémie a de son côté perturbé le marché du travail, entraînant des répercussions terribles sur le niveau de pauvreté. « La tendance à long terme de diminution de la pauvreté qui s’était installée dans la région s’est inversée, et 39 millions de personnes supplémentaires sont tombées dans l’extrême pauvreté en 2020 et 2021 », déplore le FMI.
Le tourisme est aussi particulièrement touché par les conséquences de la crise : les chiffres ne sont toujours pas retournés à leur niveau d’avant la pandémie, et cela pèse sur les performances économiques de beaucoup de pays du sous-continent. Certains, comme le Cap-Vert ou Maurice, « sont confrontés à des pertes de revenus persistantes pouvant atteindre 15 % du PIB ».
Alors que seulement 12% de la population est entièrement vaccinée, le FMI insiste donc sur la nécessité d’accélérer la campagne de vaccination pour contrer ces retombées, et éviter d’exposer la région à de nouveaux variants. Il pointe des initiatives positives, comme la production locale de vaccins au Sénégal ou en Afrique du Sud.
Papa N’Diaye, chef de la division des études régionales au département Afrique du FMI.
3. Pourquoi l’Afrique est-elle particulièrement touchée ?
Toutes les régions ont subi les conséquences de ces deux crises. Mais l’Afrique subsaharienne est particulièrement vulnérable, notamment en raison de sa dépendance aux échanges de denrées alimentaires, et la prévalence de l’insécurité alimentaire. De plus, le durcissement monétaire dans les autres régions du monde, aux États-Unis, en Europe ou en Chine notamment, se répercutent spécifiquement sur le continent. À cela s’ajoutent le taux élevé de pauvreté, le chômage, les chocs climatiques, la « dégradation de la situation sécuritaire » à travers divers conflits, dont l’impact économique est évalué.
À ce sujet, le rapport note que le développement de ces conflits « pèse sur les finances publiques », tout comme « la perturbation des routes commerciales, les infrastructures endommagées, les personnes déplacées, les institutions affaiblies, le tourisme paralysé et un environnement commercial moins favorable ». Au total, d’après une évaluation de 2019, les conflits actifs ont tendance à peser sur la croissance des pays directement touchés à hauteur de 2,5 points de croissance par an. Les sanctions régionales ou internationales dégradent aussi les perspectives économiques.
De plus, les dettes accentuent cette vulnérabilité. « 20 pays africains se trouvent soit en situation de surendettement, soit à haut risque de surendettement. Le poids de la dette pèse beaucoup sur les bilans publics, à un moment où les besoins en termes de développement humain ou d’infrastructures sont énormes. Ça a augmenté pendant la pandémie et risque d’augmenter encore. La marge de manœuvre limitée avait déjà restreint la capacité des gouvernements à réagir. Le support fiscal était beaucoup moins élevé que dans les autres régions », développe Papa N’Diaye.
4. Une région hétérogène : certains pays bénéficient des hausses du prix du pétrole
Le rapport met l’accent sur l’hétérogénéité des économies des pays de la région, séparant notamment les pays importateurs de pétrole des pays exportateurs. Ces derniers, comme le Nigéria ou la Tanzanie, pourraient bénéficier des retombées de la guerre en Ukraine, à travers la hausse des prix de l’énergie. Cela a amené le FMI à réévaluer ses projections les concernant, alors que leur croissance est d’habitude moins rapide que celle des pays pauvres en matières premières.
« Par exemple, au dernier trimestre de 2021, la monnaie angolaise a enregistré sa plus forte progression depuis 1999, soutenue par la hausse des prix du pétrole, une amélioration de la notation du crédit et un resserrement significatif de la politique monétaire ».
Papa N’Diaye, chef de la division des études régionales au département Afrique du FMI.
D’après Papa N’Diaye, les pays exportateurs devraient exploiter cette manne financière pour avancer la diversification de leurs économies.
Toutefois, le bénéfice est limité par la qualité des infrastructures et les freins sécuritaires ou technologiques. Surtout, la majorité des pays de la région (37 sur 45) ne sont pas concernés par cet avantage.
L’économiste nuance cependant ces disparités : « tous les pays de la région, qu’ils soient importateurs ou exportateurs de pétrole, vont souffrir de la hausse des prix des denrées alimentaires ».
5. Que propose le FMI ?
Face à ces inquiétudes, que suggère l’institution ? Selon elle, les marge de manœuvres sont très limitées à court terme. La priorité concerne l’aide à apporter aux groupes vulnérables face aux hausses de prix, et les équilibres à maintenir.
Il s’agit ainsi selon le FMI de « contenir l’inflation sans mettre en péril la reprise économique », d’aider les populations sans accentuer les dettes. Il évoque pour cela des outils financiers comme des subventions ciblées, le fait de relever les taux pour les banques centrales, ou de gérer l’ajustement des taux de change.
À plus long terme, le FMI reconnaît que l’aide internationale reste indispensable. Papa N’Diaye détaille : financements à taux concessionnels (c’est-à-dire dont les taux d’intérêt sont inférieurs aux taux du marché), remises de dettes, absence de restrictions sur les exportations,…
Par ailleurs, le rapport propose à l’avenir de se concentrer sur la diversification de l’économie, l’adaptation face au changement climatique, ou l’intégration régionale, notamment à travers les zones de libre-échange continentales.
Il suggère aussi d’autres pistes de réformes à l’échelle nationale ou régionale, orientées vers le libéralisme : une plus grande « efficience » des dépenses publiques, une promotion du secteur privé, l’accélération de la digitalisation, etc.
Papa N’Diaye rappelle qu’en répondant à ces défis, la place de l’Afrique subsaharienne dans l’économie mondiale pourrait drastiquement changer selon le FMI. « Les tendances démographiques en font une région avec un potentiel énorme. Tout cela pourrait être à la fois une source de croissance au sein de la région elle-même, mais aussi un moteur pour le monde entier ».