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AFRIQUE: Quel bilan pour l’Union africaine, 20 ans après sa création ?

L’Union africaine a 20 ans. Créée à l’initiative de plusieurs chefs d’États africains, elle compte aujourd’hui 55 membres. Terrorisme et djihadisme au Sahel, coups d’État sur le continent ou encore guerre russo-ukrainienne : l’Union africaine doit faire face à de nombreux défis. Quelle bilan pour l’Union africaine ? Réponse avec le journaliste Seidik Abba.

Lors de sa création il y a vingt ans, l’Union africaine, née en 2002 des vestiges de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), devait permettre aux États africains de s’unir durablement afin de peser sur la scène internationale. Mais les conflits qui ont éclaté sur le continent ont poussé l’organisation à se réorganiser progressivement. En quelques années, elle a fini par devenir un acteur majeur dans la résolution des crises politiques, sociales et économiques sur le continent africain.

Journaliste et écrivain, Seidik Abba a été rédacteur en chef central de l’hebdomadiare Jeune Afrique. Durant sa carrière, il a principalement travaillé sur le bassin du Sahel et sur le groupe terroriste Boko Haram.

Dans son dernier ouvrage« Mali-Sahel, notre Afghanistan« , l’observateur a notamment analysé l’action de l’Union africaine dans la résolution du conflit sahélien. Il en dresse aujourd’hui le bilan.

 L’Union africaine a 20 ans. Vous suivez le dossier de près depuis toutes ces années. Quel est, selon vous, le bilan de cette institution ? Comment pourrait-on le qualifier ? 

Seidik Abba : À mon avis, le bilan part d’un constat. Les choses sont lentes mais elles avancent. Il y a beaucoup de résultats qui ont été obtenus depuis que l’Union africaine a remplacé l’organisation de l’unité africaine en 2002.

Notamment sur le plan de l’intégration des communautés économiques régionales, de la volonté politique des états membres. Donc ça prend du temps, parfois même tout est bloqué, notamment au Maghreb avec le conflit entre l’Algérie et le Maroc sur le Sahara occidental. Les choses avancent, peut-être pas au rythme auquel on aurait voulu, mais je pense que l’espoir est encore permis.

 Quelle a été son action sur la résolution des conflits armés notamment au Sahel, en RDC ? 

S.A : Il y a eu beaucoup de progrès et il en reste encore à faire.  Il est évident que l’Afrique doit être mieux présente et  mieux investie dans la résolution des conflits. L’Union africaine a encore beaucoup de chantiers qu’elle doit mener. Mais son bilan n’est pas négatif. Je pense qu’il y a surtout beaucoup d’impatience de la part des Africains.

Peut-être aussi de l’incompréhension concernant certaines positions de l’UA notamment dans le conflit sahélien. J’entends parfois que la solidarité africaine n’est pas à la hauteur. Ce n’est pas faux, mais contrairement à ce que certains pourraient dire sur l’Union africaine, je pense que l’Union africaine agit.

Si vous demandez aux Roumains ou à d’autres Européens ce qu’ils pensent de l’Union européenne, vous risquez d’entendre les mêmes critiques.
Seidik Abba, journaliste 

 Quelles sont les critiques qui visent l’Union africaine ? Qui les formule ?

S.A : Les critiques, vous les trouvez dans l’opinion africaine elle-même. C’est là que les critiques sont assez sévères vis-à-vis de l’UA. On dit par exemple que c’est un “syndicat de chefs d’États” qui protège les uns et les autres. Mais je pense que c’est tout à fait normal. Si vous demandez aux Roumains ou à d’autres Européens ce qu’ils pensent de l’Union européenne, vous risquez d’entendre les mêmes critiques.

Certaines choses sont critiquables, il peut y avoir de la frustration sur certains dossiers. Mais il faut aussi signaler les améliorations, les progrès et les avancées et je pense que l’Union africaine est un cadre qu’il faut garder parce que ça permet d’avoir des positions communes.

L’Ethiopie accueille à partir du 5 février le sommet de l’Union Africaine. C’est la toute première réunion de l’UA en présentiel depuis le début de la pandémie de COVID 19. Notre envoyé spécial à Addis Abeba, Ousmane Ndiaye.
Ousmane Ndiaye

 Sur quels points l’Union africaine a réellement progressé et avancé ces dernières années ? 

S.A : Sur l’intégration économique et la libre circulation des personnes. Mais sur ce dernier point il y a un passeport africain qui est à l’étude. Certains pays africains ont déjà supprimé les visas. Si vous êtes Africain et que vous voulez vous rendre au Rwanda ou au Bénin, vous n’avez pas besoin de visa. C’est une volonté de l’Union africaine. Donc il y a des choses qui se font.

 À l’origine, l’agenda de l’UA n’était pas dominé par les crises. Mais il était dominé par la volonté de poursuivre une intégration africaine et de lui donner une dimension nouvelle qu’elle n’avait pas pu avoir sous l’ère de l’OUA. 
Seidik Abba, journaliste 

 En 2002, l’Union africaine est créée. Quel est le contexte sécuritaire sur le continent africain ? 

S.A : À cette époque, il n’y avait de crise à proprement parler comme aujourd’hui. Au début des années 2000, il n’y avait pas de crise aussi grave que celles qu’on connaît au Sahel aujourd’hui. À ce moment précis, le défi de l’Union africaine était de tirer les leçons là où l’OUA n’avait pas pu avancer. Notamment sur le plan de l’intégration africaine. C’est pour cette raison que dès sa création, l’UA avait prévu la création d’une banque centrale africaine, un fonds monétaire africain ainsi qu’une armée africaine. Toutes ces choses devaient symboliser l’intégration africaine. À l’origine, l’agenda de l’UA n’était pas dominé par les crises. Mais il était dominé par la volonté de poursuivre une intégration africaine et de lui donner une dimension nouvelle qu’elle n’avait pas pu avoir sous l’ère de l’OUA.

Selon vous, à partir de quand l’Union africaine s’est-elle emparée des questions sécuritaires ? 

S.A : Dès que les conflits sont nés. Quand le conflit au Sahel a pris la dimension qu’on lui connaît, entre 2012-2013-2014, c’est à partir de ce moment que l’Union africaine a créé une mission permanente au Sahel. Cette mission permanente dédiée, la Misahel (Mission de l’Union africain au Sahel), est basée à Bamako. Elle est aujourd’hui dirigée par Maman Sidikou, l’ancien ministre des Affaires étrangères du Niger. Il y a cette volonté d’être présent, de participer, de s’impliquer dans la résolution de la crise au Sahel. C’est une évolution.

 

Pourquoi est-ce une évolution ? À sa création, l’Union africaine n’avait pas pour ambition de résoudre les conflits sur le continent ? 

S.A : Disons qu’à sa création, le credo de l’Union africaine était de permettre la résolution des conflits africains par les Africains. Il fallait apporter des solutions africaines aux crises africaines. Pendant très longtemps, c’était les Nations Unies, c’était l’Union européenne qui étaient les acteurs pour gérer les crises en Afrique et qui intervenaient pour y mettre fin. Et ce n’était pas le cas de l’OUA en 1963. À la différence de l’Organisation de l’Union africaine, l’Union africaine, a sa naissance, avait créé un département de sécurité pour son conseil de sécurité et pour gérer les questions de sécurité en Afrique. Elle s’est depuis, beaucoup impliquée dans la résolution du conflit au Sahel.

Objectivement dans certaines parties d’Afrique, l’Union africaine ne fait pas assez. En tout cas, pas autant qu’elle aurait pu.
Seidik Abba, journaliste

Peut-on s’attendre à des effets concrets des tentatives de l’Union africaine sur la résolution de ces conflits ? 

S.A : Je pense que ça peut toujours servir. L’Union africaine est encore utile, mais elle peut encore faire davantage. Si on prend l’exemple du conflit qui touche la CEAC, la communauté économique des États d’Afrique centrale, je crois que l’Union africaine n’a pas une grande implication dans ce qui s’y passe. Objectivement dans certaines parties d’Afrique, l’Union africaine ne fait pas assez.

En tout cas, pas autant qu’elle aurait pu. Mais par exemple, on vient d’obtenir une légère amélioration de la crise politique au Mali et ce résultat a été obtenu grâce à l’implication de l’Union africaine et de la CEDEAO. Elles ont fait en sorte que le Mali soit obligé de publier un calendrier pour la tenue d’élections. Dans certains cas, on a de vrais résultats et dans d’autres cas on peut encore faire mieux.

 Quelle a été son action dans les autres conflits qui touchent le continent ? 

S.A : On peut parler de son action en Somalie. C’est vraiment un moment important pour l’UA.  L’Union africaine est intervenue dès le début de la crise. C’était d’ailleurs la toute première fois que l’on avait une force africaine qui intervenait dans un pays africain en crise pour tenter de résoudre un conflit. ça a été une vraie expérience. Après cette intervention, la force de l’Union africaine est devenue une “force mixte”, avec à la fois l’Union africaine et les Nations Unies. Après la Somalie, l’Union africaine a pu prendre en charge d’autres dossiers comme la Libye.

Là aussi, dès que la crise est née, l’Union africaine s’est beaucoup impliquée. C’est encore le cas aujourd’hui, au Soudan et en Ethiopie. Il y a  quelques années c’est l’UA qui avait eu l’idée de réunir des chefs d’États africains qui s’étaient réunis à Nouakchott et qui devaient se rendre en Libye.

La zone d'Al-Fashaga est un contentieux frontalier vieux de plusieurs décennies autour de terres fertiles  entre le Soudan et l'Éthiopie.

La zone d’Al-Fashaga est un contentieux frontalier vieux de plusieurs décennies autour de terres fertiles  entre le Soudan et l’Éthiopie.

 Aujourd’hui, que représente la gestion des conflits en Afrique au sein de l’Union Africaine ? 

S.A : L’Union africaine a pris en charge les conflits au fur et à mesure. Elle a crée un département clé, celui de la sécurité. Il s’occupe aujourd’hui de la gestion des crises en Afrique. Il cherche des solutions comme le fait le conseil de sécurité des Nations Unies.

Il faut absolument que l’Afrique prenne en charge toutes ces crises et qu’elle soit présente dans la gestion des crises.  
Seidik Abba, journaliste

Cette action-là peut-elle avoir des conséquences réelles sur les conflits ? Ces tentatives de résolution sont-elles jugées suffisantes et efficaces ? 

S.A : Oui. Bien sûr que oui. Les résultats sont là. Il y a eu des évolutions. On ne peut pas parler d’échec. Mais gérer toutes ces crises reste très compliqué. Aujourd’hui, pour prendre un exemple d’actualité, on voit l’action de l’Union africaine sur la crise en Ethiopie. L’ancien président du Nigeria Olusegun Obasanjo a fait des médiations pour l’Union africaine avec l’organisation de réunions entre les parties.

Donc on le voit bien : il y a une volonté concrète de la part de l’Union africaine de trouver des solutions. Alors certes, ça ne peut pas marcher à tous les coups, mais ça marche souvent. On peut obtenir des résultats mais à mon avis il faut absolument que l’Afrique prenne en charge toutes ces crises et qu’elle soit présente dans la gestion des crises.

Justement, au sujet des crises en Afrique, après les coups d’État au Mali, au Burkina Faso, en Guinée, l’Union africaine a-t-elle encore des interlocuteurs au Sahel ? 

S.A : Oui. Notamment grâce au principe de la suspension d’un pays de l’Union africaine dès qu’il est en rupture avec l’ordre constitutionnel ou que des gens prennent le pouvoir par la force ou à la suite d’une rébellion. C’est automatique. Ce principe a été créé à l’origine par l’Union africaine et la CEDEAO l’applique aussi aujourd’hui. Grâce à la suspension, l’Union africaine s’attend à ce que des pressions soient exercées pour que les pays retrouvent une situation et qu’ils récupèrent leur place.

Le Niger a connu cette situation : il a été suspendu puis réintégré après des élections. Même lorsqu’un pays est sanctionné par l’Union africaine, il y a une volonté d’accompagner, d’être présent. Parce qu’un pays suspendu ne veut pas dire qu’il est exclu de l’Union africaine. Elle ne se désintéresse pas de la situation du pays. Elle aide, accompagne, tente de lui faire retrouver une situation stable.

 ​Même lorsqu’un pays est sanctionné par l’Union africaine, il y a une volonté d’accompagner, d’être présent. Parce qu’un pays suspendu ne veut pas dire qu’il est exclu de l’Union africaine. 
Seidik Abba, journaliste 

Faire partie de l’Union africaine, aujourd’hui, ça représente quoi pour un pays africain ? 

S.A : Vous savez, le Maroc avait quitté l’organisation de l’unité africaine au moment de la reconnaissance de la République arabe sahraouie au Sahara occidental. C’était en 1984. En 2017, le Maroc a fini par réintégrer l’Union africaine. Parce que ce pays a bien vu que l’Union africaine a fait des choses et que sa place était plus au sein de l’UA qu’en dehors.

 Que peut illustrer l’exemple du Maroc ? Que si un pays africain veut peser sur le continent et sur le monde, il faut qu’il fasse partie de l’Union africaine? 

S.A : Absolument. Je crois que le Maroc a fini par comprendre cela. Il a compris que ce n’était pas dans son intérêt de se tenir à l’écart de l’Union africaine. Vous savez, dans certaines instances aujourd’hui, pour qu’un pays africain soit représenté et entendu, il faut faire partie de l’Union africaine. Si vous n’en faites pas partie, vous ne pouvez pas assister à certains sommets.

Dans certaines autres instances, comme par exemple le G7 qui vient de se tenir en Allemagne, il a été décidé que l’Union africaine puisse être représentée en tant que membre au niveau du G20. Aujourd’hui, quelle que soit sa puissance, un pays africain n’a pas intérêt à ne pas être intégré à l’Union africaine.

Personne n’aurait pensé, il y a quelques années, que l’Afrique puisse prendre une telle initiative dans un conflit qui se passe au centre de l’Europe. 
Seidik Abba, journaliste.

 Quand le président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall, se rend en Russie pour rencontrer le président russe Vladimir Poutine, quand il annonce vouloir négocier et permettre le déblocage du blé à la frontière russo-ukrainienne, à quoi peut-on s’attendre ? Est-ce que l’Union africaine peut peser dans la résolution du conflit ? 

S.A : Il est absolument important que le président du Sénégal, Macky Sall, se soit déplacé en Russie. Avant de s’y rendre, il avait téléphoné au président Poutine. C’est dire l’importance qu’il a en tant que président de l’Union africaine. Aujourd’hui Macky Sall a une légitimité, une voix qui dépassent largement le cadre du Sénégal. Il a été reçu parce que c’est le président de l’Union africaine. Donc il y a une volonté de l’Union africaine de peser dans les affaires internationales. Personne n’aurait pensé, il y a quelques années, que l’Afrique puisse prendre une telle initiative dans un conflit qui se passe au centre de l’Europe. Un conflit, qui a priori, ne la regarde pas. Cette volonté de peser sur le conflit russo ukrainien peut faire  avancer les choses, à mon avis.

Et aujourd’hui, au-delà des conflits et de leur résolution, à quoi peut servir l’Union africaine ? 

S.A : À mon avis, aider les États africains qui se battent pour la création des États unis d’Afrique. Et surtout parce que l’Afrique continue de se battre pour obtenir un siège permanent au conseil de sécurité des Nations unies. L’ordre international actuel est issu de la Seconde Guerre mondiale qui a pris fin en 1945. Mais les réalités de 1945 ne sont pas celles de 2022. Donc certains pays de l’Union africaine veulent faire une réforme du conseil de sécurité et c’est aussi ce que tente d’obtenir Macky Sall. Il veut montrer que l’Union africaine peut peser sur le nouvel ordre mondial.

On ne peut pas ne plus tenir compte d’une population qui représente presqu’un quart de la planète dans les décisions internationales.
Seidik Abba, journaliste

 L’Union africaine peut-elle prétendre à intégrer le conseil de sécurité permanent des Nations unies alors que certains pays sont en guerre ? 

S.A : Les deux peuvent se faire en même temps. Les conflits sont tellement difficiles à régler. On ne peut pas attendre qu’il y ait la paix pour faire avancer le continent et améliorer sa présence dans les instances. Dans quelques années, dans le monde, un habitant sur cinq sera Africain. C’est le continent où la démographie avance le plus. On ne peut pas ne plus tenir compte d’une population qui représente presqu’un quart de la planète dans les décisions internationales. L’Afrique a donc des revendications légitimes pour être mieux pris en compte dans les affaires internationales.