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Alpha Condé arrêté par des militaires putschistes : septembre 2021-septembre 2022: 1 an déjà où en est la Guinée Conakry

Points de vue. Le 5 septembre 2021, Alpha Condé, alors président de la Guinée est arrêté par des militaires putschistes qui s’emparent du pouvoir. Un an plus tard, dans quelle situation se trouve le pays ? Les autorités au pouvoir, avec à leur tête le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, travaillent pour le remettre sur les rails, mais la durée de la transition peut semer le doute.

« Nous avons décidé après avoir pris le président, qui est actuellement avec nous, de dissoudre la Constitution ». Le 5 septembre 2021, le lieutenant-colonel du Groupement des Forces spéciales guinéennes Mamady Doumbouya prononçait cette phrase, dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux. Depuis l’indépendance du pays, c’est la troisième fois que l’armée prend le pouvoir (ce fut le cas en 1984, en 2008 puis en 2021). Désormais, le colonel Doumbouya, devenu président, doit s’occuper de la transition du pays.

Lors de sa prise de pouvoir, il avait appelé « à l’unité afin de répondre aux aspirations légitimes du peuple de Guinée. » Un an après le coup d’État, a-t-il répondu à ces attentes ? Pour Ibrahim Sorel Keïta, président de la commission des Affaires étrangères du Conseil national de la transition (CNT, créé par décret présidentiel en janvier 2022 et composé de 81 membres), « il y a une dynamique de la transition qui est incontestable. » De son côté, Mariam Tendou Kamara, fondatrice et directrice de l’agence de relations publiques BAANTOU, est plus mitigée. « Ça a bien démarré avec la mise en place des organes de la transition, mais aujourd’hui on se retrouve avec des rapports de force. »

Avant le coup d’État, on était dans une véritable dictature et tout était centralisé au niveau de la présidence.
Ibrahim Sorel Keïta, président de la commission des Affaires étrangères du CNT

Une question de timing

Comment Ibrahim Sorel Keïta justifie l’adhésion de la population à ce coup d’État et à cette transition ? « Ce processus est intervenu à un moment où tout était bloqué », explique-t-il. « On était dans une véritable dictature et tout était centralisé au niveau de la présidence », poursuit-il. Selon lui, l’accueil positif de la période de transition par la population guinéenne est liée à la période difficile qui l’a précédée. « La société civile sait qu’on revient de loin et qu’il y a des sacrifices à faire », analyse-t-il. Il reconnaît toutefois que « l’enthousiasme du début n’est plus le même ». Cependant, « c’est certes un pouvoir militaire mais en réalité, ceux qui sont aux affaires sont des civils. » Il estime que ce facteur permet au pouvoir de conserver l’adhésion de la population.

Il y a aussi des points de revendication de la société civile par rapport au chronogramme et donc à la durée de la transition.Mariam Tandou Kamara, directrice de BAANTOU

Mariam Tendou reconnaît qu’il y « a eu des efforts » de réalisation de la part du Conseil national du rassemblement pour le développement (CNRD, qui réunit la junte militaire à la tête du pays). Autrement dit : ils font évoluer la Guinée. Cependant, elle constate que « l’absence d’acteurs politiques et sociaux qui étaient très impliqués avant la prise de pouvoir du CNRD crée des discordes. » D’après elle, le dialogue n’est pas assez complet et certaines voix ne sont pas entendues, voire même conviées autour de la table. Par ailleurs, « il y a aussi des points de revendication de la société civile par rapport au chronogramme et donc à la durée de la transition », explique-t-elle.  En effet, le Front national pour la défense de la constitution (FNDC) tente de manifester son mécontentement face à la gestion de la transition qu’il juge autoritaire. Cependant, ses manifestations sont systématiquement interdites et ses leaders sont emprisonnés.

Le calendrier de transition toujours flou

Au mois d’avril, le colonel Mamady Doumbouya annonçait un calendrier de transition de 39 mois. La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) conteste cette durée et plaide pour des échéances plus courtes. Le CNT a été mandaté pour travailler sur la durée de cette transition et propose désormais un calendrier de 36 mois. Celui-ci doit être validé. Le président de la commission des Affaires étrangères du CNT Ibrahim Sorel Keïta estime cette durée est justifiée par le « chronogramme d’activités indispensables au retour à un bon ordre constitutionnel. » Parmi elles, le recensement de la population, qui permet « de faire un fichier électoral incontestable. » Le CNT a estimé la durée de ce recensement à 18 mois. « Et le reste, c’est pour faire des choses essentielles : rédiger la nouvelle Constitution, faire le référendum pour la nouvelle Constitution, rédiger les lois organiques, organiser les élections… » « Ce qui compte, ce n’est pas seulement la durée, c’est ce qu’on fait dans ce laps de temps », résume-t-il.

En revanche, « encore une fois, le point le plus important, c’est l’absence de dialogue positif inclusif pour que tous les acteurs soient d’accord sur ce contenu et sur la durée » note la directrice de BAANTOU Mariam Tendou Kamara. Selon elle, les autorités de transition ne débattent pas assez des modalités de cette transition. « Ce rapport de force peut parfois être mal ressenti par certaines personnalités politiques qui s’estiment incontournables dans le dialogue comme une dérive autoritaire. »

Au CNT, nous ne permettrons pas à cette junte de trahir son serment.Ibrahim Sorel Keïta, président de la commission des Affaires étrangères du CNT

Le CNRD va-t-il s’éterniser au pouvoir ?

Ibrahim Sorel Keïta considère que « si on veut que des élections se déroulent dans de bonnes conditions, sans contestations, il faut que les conditions d’organisation de l’élection soient incontestables. » Et pour lui, pour que les conditions de l’élection soient incontestables, il faut que le chronogramme de la transition soit respecté. Par ailleurs, il se dit confiant « quant à l’engagement qu’ils ont pris de ne pas s’éterniser au pouvoir. »  Aussi, les autorités de transition se sont engagées à ne pas se présenter lors des élections qui auront lieu afin de rendre le pouvoir au peuple. « Au CNT, nous ne permettrons pas à cette junte de trahir son serment », affirme-t-il.

« Jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas de raison de ne pas leur donner une chance », analyse Mariam Tendou Kamara. Elle reconnaît aussi que « le CNRD suit une feuille de route qui est quand même assez transparente. » Mais en même temps, « une partie de la population, surtout jeune, revendique le droit de connaître la durée de la transition. » Selon la directrice de BAANTOU, cette contestation peut s’expliquer par le fait que « les populations guinéennes ne veulent pas revivre les mêmes scènes qu’ils ont vécu dans l’ancien régime, c’est à dire des manifestations, des blocages du fonctionnement de la vie publique, des grèves, etc. »

Quelles sont les chances de réussite de cette transition ?

Malgré tous ces facteurs, les autorités sauront-elles faire en sorte que cette transition se passe le mieux possible ? Ibrahim Sorel Keïta estime que « ce n’est pas la durée de la transition qui intéresse les gens, c’est de manger à leur faim, de se faire soigner, d’amener leurs enfants à l’école. » Mais en même temps, il reconnaît qu’ils « ont aussi besoin d’un retour à un ordre constitutionnel normal. » D’après lui, « ils veulent avoir des gouvernants honnêtes et qui s’intéressent aux aspirations du peuple. » Par ailleurs, il considère que la prise de pouvoir du CNRD se distingue des précédentes ingérences militaires dans la politique guinéenne par des positions affichées clairement dès le début. « Elle arrive au pouvoir et pose des actes très clairs, comme la mise en place de la CRIEF. » La cour de répression des infractions économiques et financières a pour but de lutter contre la corruption, qui s’est aggravée avant le coup d’État et « qui a entraîné le pays dans cette situation difficile qu’elle connaît. »

Nous revoyons des signes des rapports de forces qui ont existé par le passé avec des rapports de force militaire, il faudrait éviter d’en arriver là.Mariam Tandou Kamara, directrice de BAANTOU

La plus grande crainte de Mariam Tandou Kamara, c’est le doute. « Il ne faudrait pas que le doute ni les suspicions ne s’installent au sein de la population et de la classe politique », explique-t-elle. « Nous revoyons des signes des rapports de forces qui ont existé par le passé avec des rapports de force militaire, il faudrait éviter d’en arriver là », constate la directrice de BAANTOU. Cependant, elle reste optimiste et espère « que les signes d’un retour au dialogue sont là. » « Je pense que la grande revendication qui vient de la société civile, c’est qu’il y ait des mesures qui puissent permettre de veiller à ce qu’il n’y ait pas de dépassement et que les engagements soient respectés. »

Enfin, Ibrahim Sorel Keïta et Mariam Tandou Kamara ont les mêmes espoirs quant à la forme que prendra la fin de la transition. « Je rêve qu’elle ressemble à quelque chose de simple », imagine le président de la commission Affaires étrangères du CNT. Pour lui, ça se traduit par des élections « qui se passent de manière pacifique et inclusive ». La directrice de BAANTOU espère voir « des élections transparentes, libres et crédibles. » « Le but de cette transition, c’est qu’on en arrive à un point où il n’y a plus de discorde », conclut-elle.