Si la coalition des droites italiennes l’emporte ce dimanche, c’est elle qui dirigera l’Italie. À 45 ans, Giorgia Meloni serait la première femme cheffe de gouvernement. La première aussi issue des mouvements néofascistes.
Faut-il craindre le retour du fascisme en Italie ? La réponse est non, la démocratie italienne est bien plus solide qu’il n’y paraît. Giorgia Meloni a-t-elle pour autant répudié ses origines de jeune militante adulant Benito Mussolini ? Pas totalement. Et c’est bien là que demeure une forme d’ambiguïté qui, à la veille des élections italiennes, alimente les inquiétudes. Dans le pays et en Europe.
Comment mesurer cette ambiguïté ? Il suffit d’assister à certains meetings électoraux de la candidate de Fratelli d’Italie, le parti qu’elle a fondé il y a dix ans. Comme celui tenu le 24 août, à Ancône, dans les Marches, où son parti engrange de bons scores. Vous vous souvenez…
, dit-elle alors en levant le bras, puis en s’interrompant brutalement. Houla ! Faut que je fasse attention !
, en référence implicite au salut fasciste. Comme pour tourner en dérision ceux qui lui rappellent son propre passé, tout en ranimant la flamme des nostalgiques purs et durs.
Tout Meloni est là. Ne plus prononcer le mot fascisme, mais ne pas se renier. Il n’y a pas si longtemps, en 2015, elle tweetait encore en hommage à Giorgio Almirante, le leader historique du Mouvement Social Italien, héritier direct du Parti fasciste dont il fut un membre actif. Les idées ne meurent jamais
, écrivait alors Giorgia Meloni. Et il y a quelques jours à peine, durant un autre meeting, elle exaltait l’orgueil blessé et l’honneur de tous ceux qui ont dû se taire durant tant d’années, sans prononcer, là non plus, le mot fatidique.
Jeunesse militante
Néofasciste, Giorgia Meloni l’a pourtant bien été. À 15 ans, elle commence, avec l’énergie qui la distingue, son travail de jeune militante dans le quartier où elle a grandi, la Garbatella. Un quartier populaire de Rome, qui figure d’ailleurs dans la fresque romaine de Nanni Moretti dans Caro Diario. Elle en a gardé un accent romain à couper au couteau. Une gouaille populaire qui comporte un risque en politique, celui de paraître trop provinciale
, mais qui est aussi un atout redoutable en période de populisme : le parler vrai.
Giorgia manie ce registre depuis toujours. Le côté popu, direct, qui ose dire tout haut ce que les autres pensent tout bas, ne l’a jamais quittée. Ses origines familiales ne sont pas modestes, en réalité, mais le divorce de ses parents et le départ définitif de son père ont marqué à jamais la vie de la jeune militante. Le MSI est devenu un peu une deuxième famille.
Elle a été socialisée dans les organisations fascistes et dans son livre autobiographique, elle dit qu’elle a tout appris dans cette socialisation politique
, explique Marc Lazar, professeur émérite à Sciences Po, et fin connaisseur de l’histoire italienne. Ne nous y trompons pas. Meloni est une politique pure, formée par un parti. Pas une leader occasionnelle, poussée sous les feux de la rampe par la vague populiste.
« L’ambiguïté demeure aussi parce qu’elle est fière », dit-elle, de la flamme tricolore, qui est l’emblème de son parti et qui apparaîtra sur les bulletins électoraux. Or, cette flamme, on la retrouve sur la tombe de Mussolini, à Predapio. Et puis, parce qu’on sait que dans son entourage, parmi les militants, il y a des nostalgiques du fascisme .
Promue par Berlusconi
Peu lui importe. Elle trace son sillon. À 21 ans, elle devient Conseillère de la Province de Rome. Elle prend en charge les jeunes au sein du parti qui évolue alors, sous la férule de Gianfranco Fini, qui troque le vieux MSI pour une façade plus présentable, « Alliance Nationale ». À l’époque, Fini rêve de couper définitivement les amarres du post-fascisme pour fonder, ce qui manque en Italie, un grand parti populaire de droite, inspiré du gaullisme. Gianfranco Fini cherche une respectabilité européenne, et fera d’ailleurs parti des membres italiens de la Convention mise sur pied par Valéry Giscard d’Estaing, en 2004, pour élaborer une nouvelle constitution européenne.
Giorgia Meloni accompagne cette mue du parti, mais reste « canal historique ». Elle en profite surtout pour monter en grade. En 2006, à 29 ans, elle devient députée à Rome. Deux ans plus tard, Silvio Berlusconi l’appelle au gouvernement, comme ministre des Sports. La voilà parmi les notables de l’Alliance Nationale, même si elle récuse déjà les tenants d’un aggiornamento total. Sollicitée sur l’héritage du fascisme, elle déclare alors : Basta avec cette histoire de fascisme et d’antifascisme. Nous sommes nés au tournant des années 1980 et 1990, on est tous projetés sur le nouveau millénaire, nous défendrons les valeurs sur lesquelles se fonde la constitution
.
En 2012, lasse des différends qui ont brouillé Silvio Berlusconi et Gianfranco Fini, et refusant de n’être qu’un courant du grand mouvement, le peuple des libertés, dessiné par Berlusconi, elle crée son propre parti, avec quelques militants de vieille souche. Fratelli d’Italia est né. Ce sont les premiers mots de l’hymne italien. C’est là, la fibre nationale, voire nationaliste, la part de l’héritage historique qu’elle peut brandir sans rougir, sans se renier.
Surtout, c’est à partir de ce moment-là qu’elle commence à se forger un personnage. Dans son livre autobiographique, Io sono Giorgia (Je suis Giorgia), elle met en œuvre, au-delà du témoignage personnel, une stratégie politique de communication qui lui permet de superposer deux clivages. Le clivage droite gauche classique, et celui plus manichéen encore peuple et élites qui colle comme un gant à tous les mouvements populistes en pleine ascension.
Femme, italienne, chrétienne
Ses thèmes de prédilection ? L’immigration, les questions éthiques, l’avortement, les mariages homosexuels. Constamment, elle adopte des positions radicales et ouvertement réactionnaires. Comme elle propose, au conseil municipal de Rome, de faire ouvrir un cimetière pour les enfants avortés où seraient enterrés des fœtus contre le gré de la mère.
Et puis, il y a l’Europe. Giorgia Meloni se définit européenne, d’une certaine manière. L’Europe de Poitiers, contre les Arabes, de Lepanto contre l’Islam. L’Europe chrétienne, d’avant les Lumières. Celle que revendiquent les leaders polonais de Droit et Justice, ou qu’instrumentalise l’ancien libéral Viktor Orban, devenu le chef de file du nouveau conservatisme ultra. Son cri Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis chrétienne… Et personne ne pourra me l’ôter
, lancé en Espagne à un meeting du groupe d’extrême droite Vox a tourné en boucle sur les réseaux sociaux. Comme un spot identitaire.
Contre Draghi
Lorsqu’une nouvelle crise politique survient en 2021, après deux gouvernements de coalition rafistolés (Ligue et M5E, puis M5E et PD), Giorgia Meloni refuse de monter à bord du gouvernement d’union nationale que l’ancien gouverneur de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, vient diriger. Cela fait de Fratelli d’Italia le seul parti d’opposition. Contre les élites, contre les compromis, contre le super banquier.
Un ressort déterminant, selon Marc Lazar. À chaque élection, les Italiens ont tendance à voter pour l’alternance. Et Fratelli d’Italia est le seul qui soit resté à l’opposition au gouvernement sortant, de Mario Draghi. Son parti bénéficie de la division des oppositions. Et surtout du fait que tous les autres partis ont été associés au gouvernement Draghi, y compris la Ligue et Forza Italia de son propre camp. Donc, Giorgia Meloni peut cristalliser tous les mécontentements, dans un pays où les inégalités sociales, la pauvreté, se sont répandues et le gouvernement Draghi n’en a sans doute pas suffisamment pris la mesure
.
Comment elle a siphonné la Ligue
Et la voici donc propulsée, dans les sondages, comme première force politique du pays. Et donc en mesure de gouverner si sa coalition l’emporte dimanche. Depuis des semaines, Giorgia Meloni se veut rassurante. En février, elle a fait le bon choix : défendre l’Ukraine contre la Russie. C’est un point de divergence notable avec Marine Le Pen
, souligne Marc Lazar. Avec Orban également
. Et avec le leader de la Ligue, Matteo Salvini, aussi, son allié au sein de la coalition. Celui-là même qui, en 2018, rêvait de transformer la Ligue d’un parti autonomiste du nord en une sorte de Front national à l’italienne.
Salvini a même cru un moment pouvoir faire disparaître Meloni
, raconte Salvatore Merlo, journaliste au quotidien Il Foglio. Salvini voulait l’hégémonie absolue sur toute l’extrême droite italienne, avec même des accents un peu grotesques, comme lorsqu’il citait Mussolini
. C’était sans compter sur la capacité de résistance de Meloni. Les déboires de Salvini en 2019 et son incapacité à troquer son habit de tribun pour les méandres de la politique romaine ont fait chuter la Ligue progressivement. Un sondage, le 7 septembre, donnait même Fratelli d’Italia devant la Ligue en Vénétie. son fief, avec 30,5 % des sondages contre 14,4 %. En 2018, Fratelli d’Italia ne faisait que 4 %, il est donné aujourd’hui à plus de 25 % des intentions de vote.
L’Europe inquiète
Si les urnes confirment les sondages des six dernières semaines, Giorgia Meloni devrait donc prendre la tête d’un gouvernement de coalition des droites. Avec quelle intention ? Le premier chapitre du programme commun du centre droit réaffirme les piliers historiques de la politique étrangère italienne
, expliquait jeudi Giorgia Meloni dans un entretien au quotidien Il Tempo. l’Europe et l’Alliance atlantique
. Rassurer. Rassurer. Rassurer. Voilà la ligne. Sans trahir les vieux amis.
La Hongrie est un état démocratique
, ajoutait Meloni. Même si le modèle en Europe de l’Est est différent du fait du joug soviétique sous lequel nous les avons abandonnés
, ajoute-t-elle. Il faut œuvrer pour rapprocher les nations européennes plutôt que pour les éloigner
, conclut-elle habilement. Comme pour mieux épouser la vue américaine, en termes de stabilité, au détriment, sans le dire, des exigences de Bruxelles. Elle a une vision confédérale de l’Europe des nations, certainement pas fédérale
, résume Marc Lazar. Au point de faire sauter la table au Conseil européen ? La marge de manœuvre financière et économique sera si étroite, que c’est sur les thèmes identitaires qu’elle forcera le trait
.