Au cours de cette décennie, des Terriens vont habiter, durant quelques semaines, sur la surface de la Lune. C’est l’un des objectifs de la mission Artémis. Comment des humains vont-ils pouvoir survivre à près de 400 000 km de la Terre ? Deux astrophysiciens nous expliquent.
Des humains vivront sur la Lune « au cours de cette décennie », a assuré Howard Hu, à la tête du programme Orion de la Nasa, dans un entretien accordé à la BBC dimanche 20 novembre 2022.
Le vaisseau spatial Orion a été installé au sommet de la fusée géante SLS, qui a décollé de Floride le 16 novembre, dans le cadre de la mission Artémis. Cette dernière vise à établir une présence humaine sur la Lune pour y préparer un voyage vers Mars.
« Nous allons envoyer des gens sur la surface de la Lune et ils vont y vivre et y travailler pour la science », d’ici à 2030, a déclaré Howard Hu. Comment ce projet ambitieux est possible ? Deux astrophysiciens nous expliquent en répondant à cinq questions.
1. En quoi la mission Artémis consiste-t-elle ?
Lundi 21 novembre, la capsule Orion a effectué son premier survol de la Lune. Elle doit amerrir dans l’océan Pacifique le 11 décembre.
D’autres missions s’enchaîneront. Artémis 2 proposera un nouveau tour de la Lune avec, cette fois-ci, des êtres humains à bord. Le premier pas sur la Lune, dans le cadre d’Artémis, devrait être réalisé lors d’Artémis 3. C’est « la grande mission », explique François Forget, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) spécialisé dans l’exploration du système solaire.
En effet, les astronautes qui participeront à Artémis 3 – dont on ne connaît pas encore la nationalité – resteront six jours sur la Lune, contre trois jours maximum lors du programme Apollo (1969-72). Ils retrouveront ensuite le module Orion, resté en orbite autour de la Lune et rejoindront la Terre avec la même fusée qu’à l’aller.
Enfin, Artémis 4 verra l’installation d’humains sur la Lune. Ces astronautes auront pour objectif de préparer un vol habité vers Mars. Celui-ci pourrait avoir lieu à la fin des années 2030. Un voyage d’au moins deux ans aller-retour.
« La Nasa a un discours très explicite : la Lune pour Mars. Elle utilise la Lune comme un laboratoire », résume Francis Rocard, astrophysicien au Centre national d’études spatiales (Cnes).
2. Quand l’installation d’humains sur la Lune est-elle prévue ?
Artémis 1, déjà, a été retardée. Le lancement n’a été possible qu’au troisième essai, près de trois mois après la premiere tentative . « Artémis 2 risque aussi d’être retardée », rapporte François Forget. Elle est, pour l’heure, prévue en mai 2024.
De même, Artémis 3, prévue en 2025, devrait être décalée. « Starship Human Landing System [HLS, système de la société Space X permettant aux humains d’atterrir sur la Lune] n’a pas encore été testé, les scaphandres ne sont pas prêts non plus… Étonnamment, les appels d’offres ont été faits récemment », relève François Forget.
La « grande mission » devrait donc voir le jour « probablement au mieux en 2026, peut-être 2027, voire 2028 », estime l’astrophysicien.
Francis Rocard imagine, lui aussi, « des reports au fil de l’eau » pour cette mission Artémis 3. « Starship HLS n’a jamais volé. Space X fait des choses que personne ne pensait possibles, mais c’est un projet extrêmement ambitieux », explique-t-il. La fusée s’apparente à celle « de Tintin ». « Mais, sur la Lune, il n’y a pas de piste d’atterrissage. Le sol est mou et pas forcément plat ».
Le premier lancement de Starship HLS devrait avoir lieu « dans les semaines ou mois qui viennent ».
Artémis 4 devrait avoir lieu « six mois à un an » après la mission Artémis 3. Des humains pourraient donc vivre sur la Lune avant 2030, mais pas avant 2027. Les séjours seront, dans un premier temps, limités à 21 jours, puis à 46 jours.
3. Quels sont les éléments indispensables à la vie humaine sur la Lune ?
Les astronautes s’installeront sur le pôle sud de la Lune. « L’environnement y est plus favorable », résume Francis Rocard. Il y a, d’abord, plus de soleil en certains endroits des pôles.
Sur la Lune, la nuit dure 14 jours et, « lorsqu’il fait nuit, il fait très froid ». « L’écart de température peut être de 300 °C », rapporte l’astrophysicien.
« Au pôle sud, le soleil est rasant tout le temps », poursuit François Forget, qui note que, sur les images qui nous parviendront, « toutes les ombres seront spectaculaires ». En contrepartie, les astronautes devront se protéger des radiations du Soleil.
Le pôle sud a aussi l’avantage de présenter plus de glace de laquelle pourra être extraite de l’eau pour les astronautes. Certains cratères ne voient en effet jamais la lumière du jour. C’est là que la glace se loge. Le robot Viper sera chargé d’explorer ces cratères, notamment pour quantifier cette eau.
Cette eau ne sera de toute façon pas suffisante. Il faudra en apporter depuis la Terre. De même que la nourriture. « On a déjà fait pousser des plantes dans l’espace », rapporte toutefois Francis Rocard. Des modules consacrés à la culture de fruits et légumes pourraient être envisagés pour les missions sur Mars, plus longues que celles sur la Lune, où cela ne sera pas nécessaire.
Contrairement à la Station spatiale internationale, sur la Lune, il y a « une petite gravité », qui permettra aux astronautes de ne pas voir leurs muscles fondre trop vite.
4. Quelles installations vont permettre à l’humain de vivre sur la Lune ?
Sur la Lune, les astronautes vivront dans des modules, s’ajoutant au Starship HLS, qui comporte déjà un volume d’habitation conséquent, note Francis Rocard. Les astronautes auront besoin « d’une maison, d’un laboratoire, d’une voiture et d’une source d’énergie », énumère-t-il. Tous ces éléments seront apportés et construits au fil des missions.
« Les habitats seront de gros cylindres pressurisés puis, dans un second temps, ils seront construits avec des matériaux in situ. Par exemple, le sable lunaire sera utilisé comme du ciment », explique François Forget.
Pour se déplacer, les astronautes auront à disposition des rover pressurisé et jeep lunaire.
Enfin, pour la source d’énergie, il y aura une petite centrale nucléaire.
5. Ces installations pourraient-elles accueillir des touristes ?
Ces constructions pourraient-elles, à terme, être utilisées par des touristes, curieux de passer quelques jours sur la Lune ? « La Nasa ne se préoccupe pas des touristes. Et Elon Musk a des ambitions démesurées, mais pas celle-là », estime Francis Rocard.
Pour François Forget, « il y aura des clients pour y aller, mais il faudrait qu’ils fassent comme les astronautes, qu’ils s’entraînent… C’est envisageable ». En revanche, ce serait extrêmement coûteux, fait-il remarquer. « I l n’y aura pas assez de ressources » pour mener ce projet en plus de l’exploration de Mars. Et la Nasa devrait vite faire son choix entre les deux.