Les Émirats Arabes Unis, où se tiendra en novembre et décembre la Cop28, ont annoncé, ce jeudi 12 janvier, la nomination à la présidence de la conférence sur le climat de Sultan Al Jaber. Ministre de l’industrie, fondateur d’un groupe d’investissement dans les énergies renouvelables et surtout PDG d’une compagnie pétrolière. Un CV étonnant pour le poste.
La rumeur bruissait depuis le début de la semaine. Mais cela semblait presque trop gros pour être vrai. Un PDG d’une compagnie pétrolière à la tête d’une conférence sur le climat ? Et pourtant, c’est bien le choix des Emirates Arabes Unis qui accueilleront du 30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubai la Cop28 .
Cela n’a au bout du compte rien de vraiment surprenant… Sultan Al Jaber dirigeait déjà la délégation émiratie lors des deux précédentes Cop, dont une délégation d’un millier de membres, la plus importante en Égypte. Tout cela en étant ministre émirati de l’Industrie et surtout PDG de la compagnie nationale pétrolière Abu Dhabi national oil company (Adnoc) depuis 2016.
Une approche « pragmatique »
Pas le profil idéal pour accélérer la sortie des énergies fossiles, indispensable pour tenir les engagements des Accords de Paris et limiter le réchauffement climatique. Déjà,la Cop 27 n’avait pas réussi à faire progresser la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Avec Sultan Al Jaber à sa présidence, on voit mal la Cop28 inverser la tendance.
D’autant que celui-ci promet de mettre en avant une « approche pragmatique, réaliste et axée sur les solutions », explique-t-il dans le communiqué officialisant sa nomination. Déjà, par le passé, il avait prévenu : « Les politiques visant à se désengager des hydrocarbures trop tôt, sans alternatives viables adéquates, sont vouées à l’échec. » Bref, ne sortons pas du pétrole sans avoir trouvé d’autres solutions.
Sultan Al Jaber y travaille. Il a fondé en 2006 Masdar, l’un des premiers investisseurs mondiaux dans les renouvelables, un groupe étroitement lié à l’État et dont l’Adnoc est actionnaire. Cela lui a d’ailleurs valu d’être désigné «champion de la Terre » par l’Onu en 2012 dans la catégorie « vision entreprenariale».
Énergies fossiles et renouvelable « en même temps »
D’un côté, les énergies fossiles, de l’autre le renouvelable. Cet « en même temps » incarné par Sultan Al Jaber représente parfaitement la politique environnementale des Émirats Arabes Unis, septième producteur mondial de pétrole qui investit massivement dans les énergies renouvelables et s’est engagé a atteindre la neutralité carbone en 2050. En misant d’abord sur des techniques encore incertaines de captage et de stockage des CO2 qu’en sortant des énergies fossiles.
Aux Émirats Arabes Unis, Al Jaber jouit d’une image de réformateur. C’est lui qui impulsé des projets liés aux énergies renouvelables dans le pays, comme Masdar City, un immense projet de ville neutre en carbone, en plein désert.
Mais, sous sa présidence, Abu Dhabi national oil company a également décidé d’augmenter sa production de bruit, de trois millions de barils par jour à cinq millions d’ici à 2030 ou encore signé avec TotalEnergies ont signé un accord pour développer la production de gaz et de pétrole aux Émirats Arabes Unis.
Les militants climatiques dénoncent « un conflit d’intérêts »
Sultan Al Jaber peut croire aux énergies renouvelables, il doit aussi certainement se souvenir d’où il vient. Celui qui aura 50 ans lors de l’ouverture de la Cop a suivi des études de chimie, de commerce et d’économie dans de prestigieuses écoles aux États-Unis et en Angleterre grâce à une bourse fournie par l’Adnoc.
Tasneem Essop, la directrice exécutive du Climate Action Network, regroupant 1 900 organisations non gouvernementales (ONG) de 130 pays, dénonce déjà « un conflit d’intérêts » et appelle à la démission d’Al Jaber. « Nous ne pouvons pas avoir une autre Cop où les intérêts des combustibles fossiles sont autorisés à sacrifier notre avenir pour gagner encore quelques années de profit », a lâché la militante ougandaise pour le climat Vanessa Nakate.
« Sur le plan symbolique, ce n’est vraiment pas terrible », euphémise Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des négociations environnementales. Elle s’étonne également que ce ne soit pas la ministre de l’Environnement des Émirats Arabes Unis mais le ministre de l’Industrie et de la « technologie avancée » qui préside la Cop28. « Cela promet une tonalité différente. »