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Nigeria . Présidentielle 2023 : Une élection Plus Ouverte et incertaine que Jamais

L’émergence d’une troisième force politique et une pénurie de liquidités ont relancé le jeu politique avant le premier tour le 25 février.

Pour la première fois depuis le retour à la démocratie en 1999, le Nigeria pourrait connaître un scrutin à deux tours à la présidentielle. Jamais une élection de ce type n’a semblé à la fois si ouverte et si imprévisible dans le pays. Le président sortant, Muhammadu Buhari, 80 ans, achève son deuxième mandat et ne se représentera pas, en vertu de la Constitution.

Sous son administration, le géant d’Afrique de l’Ouest s’est enfoncé dans une grave crise économique. Fermeture unilatérale de ses frontières entre août 2019 et décembre 2020, restriction des importations de plusieurs produits alimentaires de base : les dernières années ont été marquées par plusieurs mesures controversées. Fin octobre 2022, la banque centrale a décidé, sans consultation, de remplacer l’intégralité des billets de banque du pays par de nouvelles coupures. Une décision qui a provoqué une gigantesque pénurie de liquidités.

Le bilan, sur le front sécuritaire, n’est pas meilleur. Dans le nord-est du Nigeria, l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) a pris le pas sur la branche historique de Boko Haram, dont certains groupes sont toujours actifs. Dans le Sud-Est, les séparatistes armés ont détruit des dizaines de bâtiments publics, bureaux de vote ou commissariats, et tué de nombreux membres des forces de sécurité. Par ailleurs, des groupes armés surnommés « bandits » sèment la terreur dans le Nord-Ouest, qui a été touché par une explosion des enlèvements contre rançons, ces deux dernières années.

Vote des jeunes scruté

Samedi 25 février, 94 millions d’électeurs sont appelés aux urnes dans près de 180 000 bureaux de vote, pour élire le successeur de Muhammadu Buhari. Le vote des jeunes sera particulièrement scruté, les moins de 35 ans représentant 39 % des inscrits sur les listes dans un pays où 65 % de la population a moins de 25 ans.

Quatre candidats se distinguent sur les dix-huit en lice, sur un échiquier dominé par le « parrainage », consistant pour les hommes politiques à se choisir des héritiers dociles, et par l’argent, qui sert notamment à acheter les voix des électeurs les plus vulnérables, dans un pays où 112 millions de personnes – plus de la moitié de la population – vivent avec moins de 1,90 dollar par jour (1,80 euro).

Les deux principaux candidats ont pour point commun d’être de richissimes septuagénaires. Parti de la majorité sortante, le Congrès des progressistes (APC) est représenté par Bola Tinubu, un ancien gouverneur de Lagos, âgé de 70 ans, et considéré comme « le faiseur de rois » de la politique nigériane. Yoruba, musulman, originaire du sud du pays, il s’appuie sur l’immense réseau qu’il a tissé au cours de ses années à la tête de la mégalopole de plus de 20 millions d’habitants.

Face à lui, Atiku Abubakar, un Haoussa musulman originaire du nord du Nigeria et âgé de 76 ans, se présente pour la sixième fois à une élection présidentielle sous les couleurs du Parti démocratique populaire (PDP), la principale formation d’opposition. Sauf que, en s’imposant à l’issue de la primaire de son parti en dépit d’un règlement qui stipulait qu’un candidat du sud du pays devait être choisi, il a provoqué deux défections remarquées : d’une part, Rabiu Kwankwaso, un ancien gouverneur de l’état musulman de Kano – le deuxième plus peuplé du Nigeria – a rompu les rangs pour rejoindre le Nouveau Parti du peuple nigérian (NNPP). De l’autre, Peter Obi, un ancien gouverneur de l’Etat d’Anambra, dans le sud-est du Nigeria, a pris ses distances pour se présenter au sein du Parti travailliste (LP).

Deux outsiders

Depuis, ces deux « outsiders » donnent du fil à retordre aux têtes d’affiche de la campagne. Particulièrement Peter Obi, qui s’est imposé comme le troisième homme de cette présidentielle et comme le héraut de la jeunesse. « Le simple fait que l’on parle encore de lui à la veille de l’élection est tout à fait exceptionnel », confirme Afolabi Adekaiyaoja, analyste pour le Centre pour la démocratie et le développement (CDD) à Abuja. Le candidat du LP a pu capitaliser sur la soif de changement des jeunes urbains de plus en plus politisée. Le mouvement #endsars contre les violences policières, qui avait mobilisé les Nigérians en octobre 2020, est « la preuve que l’engagement civique gagne du terrain dans le pays » selon Afolabi Adekaiyaoja.

La fragmentation de l’électorat le long de lignes communautaires et religieuses peut également jouer en faveur de Peter Obi. Seul candidat chrétien, il peut aussi compter dans le sud-est du Nigeria sur les votes des Ibo modérés – son groupe ethnique – en mal de représentation. « Beaucoup de Nigérians ont le sentiment que, pour survivre dans ce pays, il faut qu’ils aient quelqu’un du même groupe ethnique et religieux qu’eux au pouvoir », regrette l’analyste du CDD, qui estime que « cette dynamique s’est accentuée sous l’administration Buhari ».

Toutefois, les chances de victoire de Peter Obi pourraient bien être entamées par l’abstention, toujours très élevée au Nigeria. Celle-ci avait battu des records lors du scrutin de 2019, auquel un tiers des électeurs seulement avait pris part. L’insécurité mais aussi la grave pénurie de liquidités qui touche actuellement le pays pourraient en dissuader plus d’un de se rendre aux urnes. Or, pour gagner cette élection dès le premier tour, un candidat doit réunir la majorité des voix et obtenir 25 % des suffrages dans deux tiers des 36 Etats du pays, tout en s’assurant une victoire dans la capitale, Abuja.

Les résultats sont attendus en début de semaine prochaine et l’issue particulièrement incertaine du scrutin fait craindre des violences post-électorales. « Il est vital pour le Nigeria que le processus soit mené et conçu de manière sûre, équitable et crédible », ont affirmé dans un communiqué conjoint les Etats-Unis, l’Australie, la Norvège, le Japon, le Canada et le Royaume-Uni. Sur Twitter, le président, Muhammadu Buhari, a quant à lui exhorté les Nigérians à garder le pays « sauf, uni et pacifique ».