Cinq hommes accusés d’avoir voulu attaquer le palais de l’Elysée comparaissent à partir de lundi devant la cour d’assises des mineurs spécialement composée.
- Cinq hommes sont jugés à Paris, jusqu’au 19 avril, devant la cour d’assises des mineurs spécialement composée pour « association de malfaiteurs terroriste en vue de préparer des crimes d’atteinte aux personnes ». Ils encourent trente ans de prison.
- Trois d’entre eux sont suspectés d’avoir projeté, en 2019, un attentat djihadiste aux abords du palais de l’Elysée. Deux autres personnes, soupçonnées de les avoir aidés, comparaissent à leurs côtés, dont l’une pour « pour non-dénonciation de crime constituant un acte de terrorisme ».
- Deux agents du Siat et de la DGSI avaient infiltré cette cellule terroriste qui préparait son projet en utilisant la messagerie cryptée Telegram.
Les quatre hommes sont prudents. Pour échapper à la surveillance des services de renseignement, ils éteignent leurs téléphones qu’ils posent sur un banc et s’en éloignent. Ce 4 avril 2019, à Chelles, en Seines-et-Marne, le quatuor discute des formalités pratiques de l’attentat qu’il projette de commettre avant la fin du ramadan. Ils se diviseront en deux groupes et ouvriront le feu sur les policiers en faction devant le palais de l’Elysée.
Chaque membre est invité à trouver l’argent nécessaire pour acheter des armes. Le soir, ils poursuivent leur conversation sur un groupe Telegram. « Il nous faut un grand nombre de munitions pour faire du sale, pas juste deux chargeurs », lance à ses complices Alexandre B., 39 ans, l’initiateur du projet. Il l’ignore encore. Mais l’un d’eux, surnommé « Abou Bakr », est en réalité un agent ayant infiltré cette cellule qui sera démantelée quelques jours après.
Quatre ans plus tard, Alexandre B., Karim B., 42 ans, et Mohamed C., 21 ans, sont jugés, à partir de lundi, jusqu’au 19 avril, à Paris, devant la cour d’assises des mineurs spécialement composée, pour association de malfaiteurs terroriste en vue de préparer des crimes d’atteinte aux personnes. Deux autres personnes, suspectées de les avoir aidés, comparaissent à leurs côtés, dont l’une pour « non-dénonciation de crime constituant un acte de terrorisme ». Ils encourent trente ans de réclusion.
« Vous pouvez être armés de votre côté ? »
L’affaire commence en février 2019. Les agents de la DGSIrepèrent des messages inquiétants postés par un internaute dont le pseudonyme est « Bill Bening ». Partisan du djihad armé, il partage sur Telegram des vidéos de propagande de Daesh montrant des scènes de décapitations et d’égorgements. La section antiterroriste du parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire.
Les enquêteurs ne tardent pas à identifier le suspect : il s’agit d’Alexandre B., un gardien de stade parisien, originaire de la Guadeloupe. Cet homme, converti à l’islam en 2002, fait savoir qu’il recherche des armes pour commettre un attentat et ainsi « laisser une trace de son passage ».
Les enquêteurs de la DGSI sont autorisés à mener une enquête sous pseudonyme pour entrer en contact avec le suspect. « Abou Mohamed » entre en scène. Ce cyber-patrouilleur parvient à infiltrer un groupe de discussion sur Telegram et à gagner la confiance d’Alexandre B. Ce dernier ne cache pas son envie d’attaquer des forces de l’ordre. « Vous pouvez être armés de votre côté ? », demande-t-il aux autres membres du groupe le 19 février 2019.
Première cible envisagée, le commissariat d’Aulnay-sous-Bois
« Abou Mohamed » ne peut pas réaliser d’infiltration physique. Afin d’obtenir davantage d’informations sur ce projet d’attaque, la justice fait alors appel au Siat, le service interministériel d’assistance technique. Dépendant de la direction centrale de la police judiciaire, il est chargé de préparer et de réaliser des opérations d’infiltrations sensibles.
C’est un agent « spécialement formé et habilité » qui est choisi pour réaliser cette mission délicate, notent les juges d’instruction dans leur ordonnance de mise en accusation. Son pseudonyme : « Khalil ». Le premier agent, « Abou Mohamed », commence par l’inviter sur la discussion Telegram. Pour les autres membres, il sera le djihadiste « Abou Bakr ».
Le 26 février, « Abou Bakr » rencontre une première fois Alexandre B. qui lui confirme vouloir commettre un attentat « avec d’autres frères ». La cible ? Des policiers, et plus particulièrement des CRS. Le lendemain, le gardien de stade lui donne rendez-vous au commissariat d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, pour effectuer des repérages. « Je ne veux plus qu’ils dorment, je veux qu’ils soient en stress et qu’ils se demandent à chaque fois quand on va les frapper », lâche Alexandre B.
Un émir de 17 ans
Le 27 mars, une nouvelle rencontre est organisée à la gare du Nord. Alexandre B. présente à l’agent du Siat Karim B., 38 ans, un père de famille radicalisé. Surnommé « Samouraï d’Allah » sur Telegram, il rêve de mourir en martyr dans un attentat qui serait dirigé par son émir, un certain « Abou Mujahid ».
Les enquêteurs de la DGSI identifient très vite ce nouveau protagoniste : il s’agit de Mohamed C., un adolescent de 17 ans déjà connu de la justice. Il a été interpellé avec un complice, le 8 février 2017, en Allemagne, alors qu’ils tentaient de rejoindre la Syrie pour aller combattre dans les rangs de Daesh. Le jeune homme a été condamné en janvier 2019 pour association de malfaiteurs terroriste et placé dans un centre éducatif à Chelles.
Mohamed C. est à son tour ajouté au groupe Telegram. L’adolescent fanfaronne et se vante d’avoir dupé ses éducateurs en pratiquant la taqiya pour dissimuler ses convictions djihadistes. « Je ne manque pas de motivation, si je veux je passe à l’acte tout de suite mais j’attends qu’on soit ensemble pour frapper plus fort », assure-t-il d’emblée à ses complices. L’agent infiltré le rencontre le 3 avril à Chelles pour évoquer des cibles potentielles : une journaliste de Charlie Hebdo, l’ambassade de Chine, des églises, des policiers…
Abou Bakr le retrouve le lendemain, on l’a vu, en présence des deux autres membres du groupe, Karim B. et Alexandre B. Ce jour-là, Mohamed C. peine à dissimuler son impatience. « Les frères, mon souhait c’est que ça soit fait avant la fin du ramadan, c’est tout, moi je ne peux pas retarder plus. » Le jeune homme envisage même de tuer son éducateur avant de passer à l’action dans les rues de Paris avec le reste du groupe. Il souhaite également qu’une vidéo d’allégeance à Daesh soit postée, et filmer l’attaque avec une caméra GoPro.
« Le projet, c’était de mourir en martyr »
Dans les jours qui suivent, l’agent du Siat propose au groupe de fournir les armes. Ils lui remettent l’argent nécessaire à leur achat le 19 avril. Et cinq jours plus tard, l’agent « Khalil » leur annonce avoir fait l’acquisition de deux Kalachnikov. Ces armes, qui en réalité sont démilitarisées, se trouvent, dit-il, dans une planque rue de Lancry, dans le 10e arrondissement de la capitale.
Il leur donne rendez-vous deux jours après dans cet appartement truffé de micros et de caméras miniatures pour qu’ils puissent les tester et s’entraîner à les manipuler. Mais lorsqu’ils sortent de l’immeuble vers 18h15, ce 24 avril 2019, Karim B. et Alexandre B. sont interpellés par les agents de la DGSI qui les attendent de pied ferme dans la rue. Mohamed C., qui n’avait pu se joindre à eux, est arrêté à Chelles après avoir tenté de retirer de l’argent en vain.
En garde à vue à la DGSI, les suspects passent rapidement aux aveux. « Le projet, c’était de mourir en martyr en se faisant tirer dessus par des policiers », annonce clairement aux enquêteurs Mohamed C. « Nous voulions faire les attentats au nom de Daesh », précise-t-il, assurant néanmoins qu’il n’aurait « jamais eu le courage d’aller jusqu’au bout ». Alexandre B. finit également par reconnaître son implication dans le projet d’attentat contre l’Élysée. « Il n’y a pas mieux comme cible, c’est le symbole même de l’État. »
Les deux agents les auraient-ils poussés à commettre un attentat ? L’avocat de Mohamed C., Me Marc Bailly, estime en tout cas « que l’action conjuguée de l’agent cyberinfiltré et de l’agent physiquement infiltré a certainement eu une influence déterminante sur le projet qui leur est reproché aujourd’hui ». « La loi autorise la provocation à la preuve mais pas la provocation à l’infraction », explique-t-il à 20 Minutes. Leur rôle « va être au cœur des débats », estime l’avocat, ajoutant que son client « a à cœur de parler, de s’expliquer et de comprendre quelles sont les limites de ces mesures d’infiltration qui sont très peu encadrées par la loi ».