Deux généraux à l’origine du putsch de 2021, le leader des Forces de soutien rapide et le chef de l’armée, s’opposent désormais. L’armée accuse les paramilitaires d’avoir attaqué des bases dans tout le pays.
La tension était latente depuis des semaines. La rivalité entre les deux généraux à l’origine du putsch au Soudan en octobre 2021 a explosé, samedi 15 avril, à Khartoum, qui s’est réveillé au son des explosions et des combats, tuant au moins 56 personnes. L’armée soudanaise a envoyé son aviation contre les paramilitaires qui disent avoir pris le contrôle du palais présidentiel et de l’aéroport de Khartoum, dans l’épisode le plus violent de la rivalité entre ces deux hommes aux commandes du pays.
« Un premier bilan des événements regrettables de samedi (…) fait état de 27 personnes tuées », notamment dans la capitale, Khartoum, a déclaré le syndicat des médecins dans un communiqué, dénombrant aussi quelque 170 blessés dans les combats qui ont éclaté samedi et se sont poursuivis tôt dimanche.
Les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Daglo dit « Hemetti» assurent tenir l’aéroport international et le palais présidentiel et appellent la population civile, mais aussi les soldats, à se retourner contre l’armée. Hemetti a ensuite affirmé à la chaîne qatarie Al-Jazira que ses combattants « ne s’arrêteraient pas avant d’avoir pris le contrôle de l’ensemble des bases militaires », qualifiant son ancien allié et désormais rival, Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, chef de l’armée et dirigeant de facto du Soudan depuis le coup d’Etat du 25 octobre 2021, de « criminel ayant détruit le pays ».
En face, l’armée a dit que son aviation menait des « opérations » contre l’« ennemi » et dément la prise de l’aéroport mais assure que les FSR s’y sont « infiltrées et ont incendié des avions civils, dont un de la Saudia Airlines » – un incident confirmé à Riyad. Elle assure en outre avoir toujours le contrôle du QG de son état-major. Les deux camps s’affrontent également aux abords du siège des médias d’Etat, rapportent des témoins à l’Agence France-Presse.
Lors du putsch d’octobre 2021, le chef de l’armée, Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, et le patron des FSR étaient apparus ensemble, faisant front commun pour évincer les civils du pouvoir. Mais au fil du temps, Hemetti n’a cessé de dénoncer le coup d’Etat, de se ranger du côté des civils – donc contre l’armée dans les négociations politiques – et c’est désormais son différend avec le général Bourhane qui empêche toute solution de sortie de crise.
Depuis des jours, la rue bruissait de rumeurs sur une guérilla imminente entre les deux camps dans un pays pourtant déjà longtemps déchiré par la guerre et au ban des nations durant de longues années.
L’ONU appelle à cesser « immédiatement » les combats
Samedi, le bras de fer politique a gagné la rue : dans plusieurs quartiers de Khartoum, des tirs et des explosions quasi ininterrompus ont fait trembler les habitants. Les FSR appellent la population à « se rallier à elles » et affirment aux militaires qu’elles ne « les visent pas eux, mais leur état-major qui les utilise pour rester sur son trône, quitte à mettre la stabilité du pays en péril ».
« Comme tous les Soudanais, je reste à l’abri », a tweeté l’ambassadeur américain, John Godfrey. « L’escalade des tensions entre militaires jusqu’à l’affrontement direct est extrêmement dangereuse. J’appelle les hauts commandants militaires à cesser immédiatement de se battre », a-t-il encore écrit.
Washington, l’ONU, l’Union africaine et la Ligue arabe ont réclamé une cessation « immédiate » des hostilités, tandis que la Russie a appelé à des « mesures urgentes en vue d’un cessez-le-feu ». Chancelleries et forces politiques affirment s’activer à des médiations depuis plusieurs jours, jusqu’ici sans succès.
Dimanche, la Ligue arabe a annoncé une réunion d’urgence sur le Soudan, à la demande du Caire – où elle siège – et de Riyad, deux grands alliés de l’armée soudanaise, aux prises avec les paramilitaires.
« Un tournant dangereux et historique »
Les FSR se sont dites « surprises au matin par l’arrivée d’un important contingent de l’armée qui a assiégé leur camp de Soba ». De son côté, l’armée rétorque que ce sont les FSR qui ont commencé : « l’armée accomplit son devoir pour protéger la patrie », a assuré son porte-parole, le général Nabil Abdallah. Selon lui, les combats à Khartoum ont en réalité éclaté quand les FSR ont attaqué des bases de l’armée « à Khartoum et ailleurs au Soudan ».
Jeudi, l’armée dénonçait déjà un déploiement « dangereux » des paramilitaires à Khartoum et dans d’autres villes « sans l’approbation ni la moindre coordination avec le commandement des forces armées ». Elle tirait alors « la sonnette d’alarme » face à « un tournant dangereux et historique ».
Car depuis des jours, alors que les civils et la communauté internationale étaient forcés d’accepter un nouveau report de la signature d’un accord politique censé sortir le pays de l’impasse – à cause des divergences entre les deux généraux –, des vidéos ne cessaient de montrer à partir de différents quartiers, l’arrivée de très nombreux blindés et d’hommes, notamment à Khartoum. L’avenir des paramilitaires est désormais la principale question au Soudan : tout retour à la transition démocratique est suspendu à leur intégration au sein des troupes régulières.
Si l’armée ne la refuse pas, elle veut malgré tout imposer ses conditions d’admission et limiter dans le temps l’incorporation des paramilitaires. Le général Daglo, lui, réclame une inclusion large et, surtout, sa place au sein de l’état-major. C’est ce différend qui bloque toujours le retour à la transition exigée par la communauté internationale pour reprendre son aide au Soudan, l’un des pays les plus pauvres au monde.