De nombreux pays mènent des opérations de rapatriement de leurs ressortissants ou de leur personnel diplomatique au Soudan, où la guerre entre armée et paramilitaires fait rage depuis le 15 avril.
Le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a annoncé, lundi 24 avril, que les généraux rivaux dans le conflit au Soudan avaient accepté un cessez-le-feu de trois jours dans tout le pays pour tenter de mettre fin aux violences.
« Après d’intenses négociations (…), l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide [FSR] ont accepté de mettre en œuvre un cessez-le-feu dans tout le pays à compter de minuit le 24 avril, devant durer soixante-douze heures », a affirmé M. Blinken dans un communiqué. Les FSR confirment et annoncent par communiqué une « trêve dédiée à l’ouverture de couloirs humanitaires et à la facilitation du mouvement des civils ». L’armée n’a jusqu’ici rien communiqué à ce sujet.
Khaled Omar Youssef, le porte-parole des Forces de la liberté et du changement (FLC, bloc civil historique du Soudan) a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) se féliciter d’une médiation américaine pour la mise en place de cette trêve humanitaire. « Elle donnera lieu à un dialogue sur les modalités d’un cessez-le-feu définitif », précise-t-il, alors que le secrétaire d’Etat américain indique travailler avec les alliés et les partenaires des Etats-Unis en vue de la mise en place d’une « commission » chargée de négocier une cessation permanente des hostilités au Soudan. Il s’est entretenu, lundi, avec son homologue kényan du conflit au Soudan, et a multiplié dernièrement les échanges avec les généraux rivaux, ainsi qu’avec des pays de la région et l’Union africaine.
Les Nations unies (ONU) avaient réclamé plus tôt lundi l’arrêt des combats pour « éloigner le Soudan du précipice ». Et si, depuis plusieurs jours, les deux belligérants avaient déjà annoncé accepter des pauses dans les combats, à chaque fois ils se sont accusés d’avoir brisé la trêve. Cette fois, « durant cette période, les Etats-Unis s’attendent à ce que l’armée et les FSR respectent pleinement et immédiatement ce cessez-le-feu », a prévenu M. Blinken.
Plus de 420 morts et 3 700 blessés, selon l’OMS
Explosions, raids aériens et tirs n’ont pas cessé à Khartoum depuis le 15 avril, poussant à l’exode des milliers d’habitants de la capitale, plongée dans le chaos. Ceux qui ne peuvent s’enfuir tentent de survivre, privés d’eau et d’électricité, soumis aux pénuries de nourriture et aux coupures d’Internet et de téléphone. Lundi, le syndicat des médecins a lancé un appel urgent : « Plusieurs quartiers de Khartoum sont bombardés, il y a des morts civils et une cinquantaine de blessés graves, tous les médecins proches doivent s’y rendre au plus vite. »
Les combats ont déjà fait plus de 420 morts et 3 700 blessés, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les violences dans ce pays de l’est de l’Afrique, l’un des plus pauvres du monde, risquent d’« envahir toute la région et au-delà », a mis en garde le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.
De nombreux pays, dont la France, mènent des opérations de rapatriement de leurs ressortissants. Plus de 1 000 ressortissants de l’Union européenne (UE) ont ainsi été évacués. « Un premier groupe » de Chinois, plusieurs dizaines de Sud-Africains et des centaines de ressortissants de pays arabes sont aussi partis, par la route, la mer ou les airs.
La plupart des étrangers évacués sont des membres du personnel diplomatique, comme ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni. De nombreux ressortissants attendent toujours une place dans les longs convois de voitures blanches ou les bus qui partent en continu de Khartoum.
Les capitales étrangères sont parvenues à négocier des passages avec les deux belligérants : l’armée du général Abdel Fattah Al-Bourhane, dirigeant de facto du Soudan, et son adjoint devenu son rival, le général Mohammed Hamdan Daglo, qui commande les paramilitaires des FSR. Environ 700 employés internationaux de l’ONU, d’ONG et d’ambassades « ont été évacués vers Port-Soudan », a fait savoir l’ONU. Des dizaines d’autres employés humanitaires ont été évacués vers le Tchad depuis le Darfour, dans l’Ouest, la région la plus touchée par les combats avec Khartoum.
Inquiétudes sur le sort des Soudanais restés sur place
Malgré ces départs de nombreux diplomates et citoyens étrangers, Volker Perthes, le chef de la mission de l’ONU qui tente, depuis quatre ans, d’obtenir des militaires au pouvoir une transition vers la démocratie, a annoncé qu’il resterait au Soudan. Experts et humanitaires s’inquiètent maintenant du sort des Soudanais. « J’ai peur pour leur avenir », a admis l’ambassadeur norvégien, Endre Stiansen.
Les deux camps s’accusent d’avoir attaqué des prisons pour faire sortir des centaines de détenus et de piller maisons et usines. Des affrontements ont éclaté aux abords de plusieurs banques.
Dans un pays où l’inflation est déjà à trois chiffres en temps normal, le kilo de riz ou le litre d’essence s’échangent désormais à prix d’or. Or le carburant est la clé pour s’échapper vers l’Egypte, à 1 000 kilomètres au nord, ou pour rallier Port-Soudan et espérer monter dans un bateau.
« Alors que les étrangers qui le peuvent s’enfuient, l’impact des violences sur une situation humanitaire déjà critique s’aggrave », prévient l’ONU, dont les agences, comme de nombreuses organisations humanitaires, ont suspendu leurs activités.
Cinq humanitaires ont été tués et, selon le syndicat des médecins, près des trois quarts des hôpitaux sont hors service. Des Soudanais ont déjà fui en Egypte et au Soudan du Sud, un pays qui compte lui-même 800 000 réfugiés au Soudan. Parmi eux, des femmes et des enfants traversent désormais la frontière dans l’autre sens, selon l’ONU. Au moins 20 000 Soudanais se sont réfugiés au Tchad, frontalier du Darfour.
Washington préoccupé par la présence du groupe russe Wagner
Lundi encore, des témoins ont raconté à l’AFP que des milliers de personnes avaient pris la direction de la frontière tchadienne, fuyant des « combats » à Al-Geneina, au Darfour. Cette région, la plus pauvre du pays, a été ravagée dans les années 2000 par une guerre ordonnée par le dictateur Omar Al-Bachir, déchu en 2019, et menée notamment par les miliciens Janjawids, d’où sont issues les FSR.
La guerre couvait depuis des semaines entre les deux généraux rivaux, qui s’étaient alliés pour évincer les civils du pouvoir lors du putsch de 2021, mettant fin alors à la transition démocratique, mais qui ne sont pas parvenus à s’entendre sur l’intégration des FSR aux troupes régulières.