La réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe relève de la décision de régimes qui ont tous conclu qu’elle leur bénéficierait, ou qu’elle représenterait un moindre mal pour leurs intérêts. Elle s’effectue par-dessus les peuples et constitue un brevet d’impunité.
e retour de la Syrie dans le giron arabe n’était plus qu’une question de temps. Le voilà désormais effectif, à l’initiative de l’Arabie saoudite et de son dirigeant de fait, le prince héritier Mohammed Ben Salman, soucieux d’apparaître comme le nouveau métronome du Proche-Orient.
La réintégration de Damas au sein de la Ligue arabe, annoncée le 7 mai, consacre définitivement le triomphe des contre-révolutions, après l’ébranlement des « printemps arabes » de 2011. Bachar Al-Assad avait alors montré qu’il était prêt à tout pour maintenir sa férule sur son pays, quel qu’en soit le prix. Il avait fait le choix d’une répression à outrance qui avait laminé une contestation initialement pacifique et citoyenne. Des groupes djihadistes, dont celui de l’Etat islamique, avaient prospéré dans ce chaos.
Grand bénéficiaire de l’indécision occidentale qui avait ouvert la porte en 2013 aux interventions iranienne et surtout russe, le maître de Damas avait fini par retourner la situation. Il avait écrasé sous les bombes, avec l’aide de ses alliés, les zones qui avaient échappé à son contrôle, et fait disparaître par milliers les opposants dans les géhennes que sont les prisons syriennes.
Le bilan de cette politique de la terre brûlée à l’échelle d’un pays tout entier est désormais établi. Une bonne partie de la Syrie est en ruines, privée en outre de ses forces vives contraintes à l’exil. Devenu le théâtre de conflits par procuration conduits par les principales puissances régionales, turque, iranienne et israélienne, le pays n’est plus que l’ombre de celui qui jouait en virtuose d’une rente stratégique au temps du père de l’actuel dictateur.
Ce dernier ne dispose plus désormais que de capacités de nuisance, comme l’instrumentalisation des millions de réfugiés syriens, de moins en moins acceptés dans les pays voisins, et la menace que représente une drogue de synthèse, le captagon, dont il inonde la région.
La normalisation syrienne relève de la décision de régimes qui ont tous conclu qu’elle leur bénéficierait, ou bien qu’elle représenterait un moindre mal pour leurs intérêts. Elle s’effectue par-dessus les peuples, à commencer par les Syriens eux-mêmes.
« Etat de barbarie »
Une feuille de route matérialisée par la déclaration d’Amman, en Jordanie, appelle certes à une solution politique qui mettrait officiellement un terme à l’interminable guerre civile syrienne. Elle est conforme à la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui prévoit la rédaction d’une nouvelle Constitution, l’organisation d’élections sous égide onusienne, la libération des prisonniers et le règlement du sort des disparus. Mais il s’agit en fait d’une litanie de vœux pieux voués à le rester. On voit mal en effet pourquoi Bachar Al-Assad déciderait soudainement de concéder la moindre parcelle de pouvoir, alors qu’il triomphe.
Cette réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe constitue aussi un brevet d’impunité décerné par des régimes qui attendent la même en retour de la part de leurs pairs pour pouvoir continuer de réprimer en toute quiétude. Il est heureux que d’autres pays, notamment occidentaux, refusent de se résigner aux abominations de « l’Etat de barbarie » qui règne plus que jamais à Damas, en maintenant leurs sanctions et en permettant les poursuites contre ses dignitaires. En rendant la dynastie Assad comptable de ses actes, ils font entendre ainsi une parole que cette realpolitik arabe s’efforce d’étouffer.