C’est inédit. Au lendemain d’un premier tour disputé dimanche 14 mai, la Turquie va pour la première fois de son histoire connaître un deuxième tour qui devra départager, le 28 mai, le président Recep Tayyip Erdogan et son principal rival, Kemal Kilicdaroglu.
Les résultats définitifs du scrutin présidentiel ont été annoncés ce lundi 15 mai en milieu d’après-midi : le président en exercice a recueilli 49,5 % des voix, contre 44,9 % pour son principal opposant social-démocrate.
Dimanche, les 64 millions d’électeurs turcs se sont massivement pressés aux urnes, avec un taux de participation provisoire frôlant les 90 %.
« Le président du Haut conseil électoral (YSK) Ahmet Yener : selon les résultats provisoires, M. Recep Tayyip Erdoğan a obtenu 49,51 % des voix, M. Kemal Kılıçdaroğlu 44,88 %, M. Sinan Oğan 5,17 % et M. Muharrem Ince 0,44 % ».
Que faut-il retenir de ces résultats ?
- Pas de défaite pour Erdogan, douche froide pour l’opposition
Pour Erdogan, l’issue est meilleure qu’espérée, alors que les derniers sondages le donnaient systématiquement à la traîne. Pour le camp de l’opposition, qui appelait ces dernières semaines à « en finir au premier tour » et affirmait dimanche soir être « en tête », ce résultat sonne en revanche comme une douche froide.
« Si notre nation veut un second tour, alors nous gagnerons au second tour », a toutefois assuré dans la nuit de dimanche à lundi Kemal Kiliçdaroglu, à la tête d’une large coalition de six partis d’opposition, affirmant que « la volonté de changement dans la société est supérieure à 50 % ».
Recep Tayyip Erdogan, réélu en 2018 dès le premier tour de la présidentielle, a également pris la parole dans la nuit face à une foule de partisans. « Je crois sincèrement que nous continuerons à servir notre peuple ces cinq prochaines années », a lancé le « Reis », au pouvoir depuis 2003. Il avait multiplié ces dernières semaines les promesses électorales pour tenter d’amortir la très forte inflation qui frappe le pays.
Le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) du président et ses alliés est en parallèle en bonne voie pour conserver sa majorité au Parlement monocaméral d’Ankara, après des élections législatives qui se tenaient en même temps que la présidentielle.
- Sinan Ogan, le faiseur de roi
L’issue du second tour dépendra pour partie d’un troisième homme, Sinan Ogan, qui a recueilli 5,1 % des voix environ au premier tour et n’a pas encore appelé à soutenir l’un des deux candidats – même si ses positions nationalistes et antikurdes l’éloignent, a priori, d’une coalition avec Kiliçdaroglu.
« M. Kiliçdaroglu n’a pas beaucoup d’expérience sur la politique étrangère, et M. Erdogan est un individualiste », a estimé Sinan Ogan dimanche auprès de Sky News, précisant que s’il trouvait un accord avec l’un ou l’autre des candidats, son mouvement souhaitera « faire partie du (prochain) gouvernement ».
Dans le quartier de Sishane, à Istanbul, les avis sont partagés lundi matin sur le verdict à attendre des urnes le 28 mai. Pour Betul Yilmaz, 26 ans, « Kiliçdaroglu peut l’emporter s’il fait alliance avec Sinan Ogan ». « Mais ça va être serré », prédit la jeune femme, cheveux couverts d’un voile noir.
« Tayyip Erdogan va gagner. C’est un vrai leader, les Turcs ont confiance en lui et il a une vision pour la Turquie », croit quelques mètres plus bas Hamdi Kurumahmut, 40 ans, qui travaille dans le tourisme. « Bien sûr, il y a des choses qui doivent être améliorées, sur l’économie, l’éducation ou la politique d’accueil des réfugiés. Mais nous savons qu’il est celui qui pourra régler tout ça », affirme-t-il.
- Un résultat serré jusqu’au bout
Jusque dans la nuit, les deux camps se sont livrés une bataille de chiffres, enjoignant à leurs observateurs respectifs de rester sur les lieux de dépouillement « jusqu’au bout ».
Le camp de Kemal Kiliçdaroglu a immédiatement contesté les premiers chiffres, qui donnaient une confortable avance à Recep Tayyip Erdogan, affirmant que les résultats des bureaux de vote les plus favorables au candidat de l’opposition n’avaient pas encore été comptabilisés du fait notamment de multiples recours.
Mais pour le quotidien progouvernemental Sabah lundi matin, l’arrivée en tête du président sortant au premier tour « est une formidable réussite ».