L’assemblée générale de TotalEnergies se tient ce vendredi 26 mai 2023 à Paris. Les actionnaires de la compagnie ont été invités par le conseil d’administration à voter contre une résolution visant à renforcer ses engagements climatiques. Des activistes appellent au blocage de cette réunion.
« L’assemblée générale de Total n’aura pas lieu », promettent depuis un mois les activistes climatiques. Des premières échauffourées entre manifestants et policiers ont été constatées près de la salle Pleyel à Paris, ce vendredi matin 26 mai 2023, alors que les actionnaires de la compagnie doivent se réunir dans la matinée pour se prononcer sur une résolution climatique portée par un groupe d’actionnaires, nommé Follow This. Celle-ci propose d’aligner davantage les objectifs de TotalEnergies sur l’accord de Paris pour 2030, visant à contenir le réchauffement climatique sous les 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
La coalition Follow This réunit 17 investisseurs, dont La Banque postale AM, Tocqueville Finance, Edmond de Rothschild AM, La Financière de l’Echiquier, Mandarine Gestion, Ofi Invest AM ou encore Sycomore AM.
Ils détiennent à eux tous « moins de 1,4 % du capital » de TotalEnergies, insistait la compagnie dans un communiqué fin avril. Dans ce même communiqué, elle « recommande » aux actionnaires de voter contre la résolution de Follow This. Ouest-France vous explique le débat qui agite le géant pétrolier français et les acteurs du climat.
Les émissions indirectes de Total visées
La résolution de Follow This concerne principalement le scope 3 de TotalEnergies. Les scopes 1, 2 et 3 permettent de comptabiliser les gaz à effet de serre produits par une organisation selon le protocole Greenhouse Gas. Le scope 1 désigne les émissions directes de l’organisation. Le scope 2 les émissions indirectes liées aux consommations énergétiques. Et le scope 3 les autres émissions indirectes qui ne sont pas contrôlées par l’organisation, comme le recyclage du produit en fin de vie. Par exemple, le scope 3 d’une compagnie pétrolière inclut les émissions liées à la consommation du kérosène – vendu par cette compagnie – par les avions.
« Étant donné que les objectifs actuels de [TotalEnergies] pour 2030 concernant son scope 3 ne sont pas alignés avec l’accord de Paris, nous souhaitons apporter tout notre soutien à l’entreprise pour qu’elle fasse progresser ces objectifs », indique Follow This dans sa résolution, disponible sur son site aux côtés des autres résolutions qu’elle porte en 2023, chez ExxonMobil ou encore Shell.
« Il est primordial de fixer des objectifs alignés sur les objectifs de l’accord de Paris pour le scope 3, car celui-ci représente plus de 90 % des émissions totales couvertes par les scope 1, 2 et 3 de TotalEnergies », insiste encore Follow This dans cet exposé.
Une résolution consultative uniquement
En 2020, la coalition avait déjà porté une résolution climatique devant TotalEnergies. Elle avait recueilli 17 % de « pour » parmi les actionnaires. « En 2022, des résolutions similaires soumises au vote par Follow This ont obtenu jusqu’à 39 % de soutien dans d’autres majors pétrolières. La même année, le conseil d’administration de TotalEnergies a empêché qu’une seconde résolution contraignante, rédigée dans les mêmes termes que la première, soit soumise au vote des actionnaires », regrette la coalition.
C’est donc une résolution consultative qui a été soumise cette année au conseil d’administration de TotalEnergies. Elle « n’engage dès lors pas la société ni son conseil d’administration », décrypte Follow This, mais les investisseurs qui votent pour « expriment leur souhait » que TotalEnergies s’engage dans le sens de cette résolution.
Résultat : TotalEnergies indiquait dans un communiqué fin avril que « le conseil d’administration a décidé d’inscrire ce projet de résolution à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale [vendredi 26 mai 2023] dans l’intérêt du dialogue actionnarial », sans toutefois y adhérer.
Total appelle à voter contre
Plus que ça, TotalEnergies démonte la résolution de Follow This, rejetant la prise en compte du scope 3 dans son plan climat. « TotalEnergies ne fabrique ni avion, ni automobile, ni ciment ou acier mais fournit des produits énergétiques qui sont utilisés ou transformés par d’autres industries pour offrir des services ou des biens. La compagnie ne peut donc pas être tenue pour responsable de la réduction des émissions liées à l’usage des produits utilisés par ses clients », défend la compagnie pétrolière.
Si TotalEnergies assure tout de même agir sur ce scope 3, en proposant par exemple à ses clients des produits énergétiques « décarbonés », une baisse drastique des émissions de scope 3 « sans que la structure globale de la demande en énergie n’évolue, conduirait à diriger cette demande vers d’autres fournisseurs, notamment des compagnies pétrolières nationales de pays producteurs », estime la compagnie pétrolière française.
« Cette stratégie n’aurait ainsi aucun effet à la baisse sur les émissions mondiales de gaz à effet de serre, donc aucun effet bénéfique pour le climat », ajoute encore TotalEnergies.
D’autres engagements soumis au vote
Total, qui estime avoir une stratégie « cohérente et efficace » pour « être un acteur majeur de la transition énergétique », soumettra à ses actionnaires vendredi, également pour consultation, son rapport d’étape 2023 « Sustainability & Climate » (en français, « Soutenabilité et climat »).
Dans ce rapport, TotalEnergies s’engage notamment à réduire de « plus de 40 % d’ici à 2030 par rapport à 2015 » ses émissions des scopes 1 et 2. D’ici à 2025, TotalEnergies s’engage à les réduire à un total de 38 millions de tonnes, contre 40 millions de tonnes en 2015, soit une baisse de deux millions de tonnes en dix ans.
Le scope 3, lui , devrait continuer à frôter les 400 millions de tonnes de CO₂ par an d’ici à 2030, contre 410 en 2015 et 389 en 2022. C’est presque autant que ce qu’émet la France toute entière.
« Si on veut limiter le réchauffement à 1,5 °C, il faut cesser tout projet pétrolier et gazier, rappelle Edina Ifticene, en charge des énergies fossiles chez Greenpeace France. Total fait l’inverse en développant de nouveaux projets. C’est un business modèle basé sur les énergies fossiles, avec près de 90 % d’énergies fossiles dans sa production d’ici à 2030. On est face à un mur. »
Des activistes mobilisés vendredi
L’organisation de défense de l’environnement participera donc à l’appel au blocage de l’assemblée générale de TotalEnergies, ce vendredi. « Cette assemblée générale, c’est le feu vert des investisseurs. BNP Paribas, Crédit agricole… Ce sont eux qui peuvent vraiment faire changer la donne, mais ils ne bougent pas du tout assez. Du coup, on bloque cette assemblée générale », justifie Edina Ifticene. Pour elle, les activistes climatiques doivent profiter de ce « grand moment de communication pour Total » pour porter leur message.
D’autres organisations seront présentes, comme Les Amis de la terre, Alternatiba, 350.org, Attac France, Extinction rebellion ou encore Action non-violente Cop21. Dans un communiqué jeudi, Scientifiques en rebellion a aussi confirmé sa présence vendredi pour « rappeler […] le consensus scientifique sur l’arrêt du financement de nouveaux gisements fossiles » ou encore « le fait que le gaz n’est pas une énergie de transition, car il contribue autant au réchauffement climatique que le charbon, en raison des fuites de méthane tout au long de la chaine de production ».
« Vouloir empêcher les actionnaires de voter, c’est vouloir décider à leur place », a réagi TotalEnergies auprès d’Ouest-France, indiquant avoir « pleinement conscience des défis énergétiques » et s’être « engagée vers la neutralité carbone en 2050 ».