Le discours du chef de l’État a été bien accueilli à Kigali, ouvrant la voix à une réconciliation vingt-sept ans après le génocide des Tutsis.
L’exercice était solennel. Vingt-sept ans après le génocide des Tutsis, pour la première fois, un président français devait prononcer au Rwanda un discours formel sur cette tragédie. Un rappel de la mémoire et un jugement officiel sur le rôle si controversé de la France dans ces années sombres.
Emmanuel Macron a choisi de s’adresser avant tout aux victimes, dans les jardins du Mémorial de Gisozi, où reposent les dépouilles de 250.000 tués. « Seul celui qui a traversé la nuit peut la raconter », a-t-il dit. Et de rappeler « la course éperdue » des cibles des tueurs « dans la forêt ou dans les marais », « une course sans arrivée et sans espoir », le « travail » des assassins, avec ce débit de voix lent qui convient au requiem.
Une « responsabilité accablante »
Plus que sur l’évocation de ces mois sinistres, le président français n’ignorait pas que c’est sur la lecture des actions françaises en ce printemps 1994 mais aussi dans les années précédentes que ses mots étaient guettés. « En me tenant, avec humilité et respect, je viens reconnaître l’ampleur de nos responsabilités », a expliqué le président, soulignant que « la France a un rôle, une histoire (…) politique au Rwanda ». Elle a, à ses yeux, une « responsabilité accablante » quand « en s’engageant dès 1990 (…) la France n’a su entendre la voix de ceux qui l’avaient mise en garde » puis en restant malgré tout « de fait au côté d’un régime génocidaire ».
Aujourd’hui, Emmanuel Macron veut assumer cette part sombre, au nom d’un « devoir » : « Celui de regarder l’histoire en face et de reconnaître la part de souffrance qu’elle a infligée au peuple rwandais en faisant trop longtemps prévaloir le silence ». « Une exigence envers nous-mêmes. »
Pour autant, le président français a choisi, dans cet acte de contrition, de ne pas prononcer d’excuses, ni même le mot, comme des associations et des spécialistes l’y encourageaient. « Un génocide, ça ne s’excuse pas », a-t-il affirmé en guise d’explication un peu plus tard. Il a préféré espérer la venue d’un pardon, sans toutefois vraiment le demander, avec une formule étrange. « Seuls ceux qui ont traversé la nuit peuvent peut-être pardonner, nous faire le don alors de nous pardonner. » « Un pardon, cela ne s’exige pas », a-t-il analysé un peu plus tard.
La France «n’a pas été complice»
Emmanuel Macron, fidèle à sa ligne, c’est en revanche montré nettement plus clair pour réfuter les accusations de complicité de la France dans le génocide. « Elle n’a pas été complice ». « Les tueurs qui hantaient les marais, les collines, les églises n’avaient pas le visage de la France. »
Ce discours, dont chaque mot a été longtemps pesé et jusqu’au dernier instant, veut mettre un terme à « vingt-sept années de distance amère ». Il est surtout le fruit d’un long processus entamé dès le lendemain de l’élection présidentielle. Emmanuel Macron estime que la réconciliation pleine et entière avec le Rwanda est un passage obligé pour relancer les relations franco-africaines.
La première étape passe, dès 2018, par l’encouragement très direct de Paris à la candidature de Louise Mushikiwabo au poste de secrétaire générale de la Francophonie. Alors ministre des Affaires étrangères rwandaises, cette femme à poigne est aussi très proche du président rwandais, Paul Kagame. Ce soutien fait grincer des dents. Le Rwanda est le seul pays au monde à avoir remplacé l’enseignement scolaire en français par l’anglais. Mais le gouvernement insiste, et Louise Mushikiwabo est élue début 2019.
Au printemps de cette même année, Emmanuel Macron lance le second pas vers la réconciliation en chargeant l’historien Vincent Duclerc d’examiner l’ensemble des archives françaises sur le Rwanda entre 1990 et 1994, une vieille demande des associations de victimes. Le rapport, remis en avril dernier, conclut à une « responsabilité lourde et accablante » de la France, pointe l’aveuglement de l’Élysée d’alors mais écarte la notion de complicité.
En parallèle, le Rwanda fait aussi des gestes de bonne volonté. Peu après la diffusion du texte de la commission Duclerc, Kigali publie son propre rapport. Confié au cabinet américain Muse, il arrive sensiblement aux mêmes conclusions. Dans les mois précédents, Emmanuel Macron et Paul Kagame ont multiplié les rencontres. Pour finir, le chef de l’état rwandais se rend en mai à Paris, où il finalise l’annonce officielle d’une invitation chez lui. Il accepte également la nomination d’un ambassadeur de France à Kigali, un poste vacant depuis 2015. La voie est dès lors ouverte pour le discours que Macron veut historique.
Reste désormais à savoir si les mots choisis par le président français ont pansé, au moins un peu, les plaies d’un passé trouble. Paul Kagame, qui, fait inédit a qualifié d’« ami » son homologue français, semble le penser. Il y a vu « un discours puissant avec un sens profond », « un pas majeur », balayant les éventuels manques d’un revers de main. « Ces mots sont plus forts que des excuses. Ils étaient la vérité. Et la vérité est dangereuse. » Conscients des polémiques que soulève en France toute repentance, même timide, il a salué « un acte d’un énorme courage ». À la sortie du mémorial, Valérie Mukabayire, présidente des Veuves du génocide, dont la plus grande partie de la famille est morte sous les coups des tueurs, paraissait elle aussi prudemment soulagée. « Je pense que c’est un pas. Tout ne peut pas finir aujourd’hui. »
En creux, comme son président, elle réclame désormais des efforts de la justice française. « Il y a des centaines de génocidaires qui ont trouvé refuge en France et qui ont souvent aujourd’hui la nationalité française. C’est leur endroit de prédilection. Il faut un accord d’extradition pour juger ces gens », affirme Johnston Busingye, le ministre de la Justice. Pour l’heure, seuls trois Rwandais ont été condamnés en France. Emmanuel Macron, qui a reconnu qu’« il ne peut y avoir de réconciliation sans justice », a promis de débloquer les moyens et de « retoucher les textes de loi si nécessaire ». Plus que tout autre, le sort d’Agathe Habyarimana, la veuve de l’ancien président rwandais, réfugiée en banlieue parisienne depuis vingt-cinq ans, va servir de symbole de cette volonté ou de nouvelle pierre d’achoppement.