La vague de chaleur qui touche une nouvelle fois l’Europe du Sud rappelle le constat dressé il y a mois par l’Organisation météorologique mondiale : l’Europe se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne. Mais pourquoi ?
- La semaine sera encore rude pour une large partie de l’Europe méditerranéenne, avec des chaleurs qui pourraient battre de nouveaux records.
- Si la Terre a gagné 1,15 °C, en moyenne, par rapport à l’ère préindustrielle, l’Europe est, elle, sur une trajectoire de réchauffement deux fois plus rapide, rappelait l’Organisation météorologique mondiale et le programme européen Copernicus le 19 juin.
- Comment l’expliquer ? D’abord parce que les mers et océans font chuter la moyenne de réchauffement planétaire. Mais les climatologues Olivier Boucher et Christophe Cassou invoquent d’autres facteurs.
Jusqu’où grimpera le mercure dans les prochains jours en Europe du sud ? Sans doute très haut alors qu’une nouvelle semaine de canicule est attendue dans plusieurs régions de l’hémisphère nord. Si à l’exception des Alpes-Maritimes, la France devrait être relativement épargnée, jusqu’à 48 °C sont attendus en Sardaigne. A Rome, on se prépare à atteindre 42 °C mardi, record absolu pour la capitale. On suffoque aussi en Grèce et en Espagne, particulièrement en Andalousie, où l’on pourrait dépasser les 44 °C.
Pour expliquer cette nouvelle vague de chaleur, l’excuse «el niño» – dont un nouvel épisode vient de commencer – ne tient pas. Ce phénomène climatique, qui se caractérise par des températures anormalement élevées de l’eau dans l’est du Pacifique, tend en effet à augmenter les températures mondiales. « On n’est qu’au tout début de ce phénomène [qui dure habituellement un an] et l’Europe est de toute façon très peu affectée en été, voire pas du tout », explique Olivier Boucher, chercheur à l’institut Pierre-Simon Laplace(CNRS).
Un rythme deux fois plus rapide en Europe
Le climatologue inscrit bien plus cette nouvelle vague de chaleur dans la lignée des hausses globales de températures constatées ces dernières années en lien avec le changement climatique. Sur la décennie 2012-2023, la température moyenne à l’échelle de la planète a augmenté de 1,15 °C par rapport à la période 1850-1900, prise comme référence par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat(Glec) et correspondant à l’ère préindustrielle.
Mais en Europe, ce réchauffement est encore plus important. Depuis les années 1980, la région s’est réchauffée à un rythme de 0,5 degré par décennie, soit deux fois plus que la moyenne mondiale, calculaient l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et Copernicus, le programme européen de surveillance de la Terre, dans un rapport publié le 19 juin. En 2022 d’ailleurs, la température européenne moyenne a été supérieure d’environ 2,3 °C à la moyenne préindustrielle (1850-1900). Et 2023 ne devrait pas faire descendre le thermomètre.
Des océans qui font chuter la moyenne mondiale
Comment expliquer ce réchauffement plus rapide ? Olivier Boucher commence par rappeler que cette moyenne de +1,15 °C au niveau planétaire serait bien plus élevée si on ne tenait pas compte des mers et océans. « Ils ont la capacité d’absorber la chaleur et de l’enfouir dans leurs profondeurs. Puisqu’ils recouvrent 70 % de la surface du globe, ils font ainsi chuter la moyenne mondiale », explique-t-il. « Toujours sur cette décennie 2012-2023 comparée à la période 1850-1900, les océans se sont « seulement » réchauffés de 0,93 °C, confirme Christophe Cassou, climatologue, coauteur du Giec et directeur de recherche au Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique( Cerfacs). Si on ne prend que les continents, on est sur + 1,65 °C. »
Avec ses + 2,3 °C, l’Europe reste au-dessus de la moyenne. Christophe Cassou évoque une première raison qui peut paraître paradoxale. « Le niveau de pollution atmosphérique aux particules( aérosols) – qu’émettent nos industries, nos voitures – a beaucoup diminué en Europe et en Amérique du Nord sur les trois dernières décennies quand il a augmenté bien souvent ailleurs, notamment en Asie du sud-est. C’est une bonne chose, les enjeux sanitaires liés à cette pollution étant très forts. Il n’empêche, cette concentration d’aérosol a un pouvoir refroidissant qui a autrefois masqué le réchauffement climatique lié à l’augmentation des gaz à effet de serre. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. »
Une baisse de l’humidité des sols sur le pourtour méditerranéen
Christophe Cassou évoque un autre facteur qui affecte plus particulièrement l’Europe méditerranéenne, où le réchauffement est plus accentué que sur le reste du continent. « C’est l’assèchement des sols, pointe le climatologue. Une atmosphère plus chaude entraîne une évaporation plus efficace de l’eau contenue dans les sols et les plantes. » Là encore, cette évaporation a un effet refroidissant. Mais à mesure qu’elle aspire toute l’humidité dans le sol, elle s’amenuise. « C’est sûrement le processus dominant qui explique les fortes canicules sur le pourtour méditerranéen ces dernières années et en ce moment, reprend Christophe Cassou. Cette diminution de l’évaporation, qui normalement se fait surtout la nuit, empêche les températures nocturnes de baisser. Si bien que le jour se lève avec un capital chaleur déjà très grand. Et tout cela s’accumule de jour en jour, jusqu’à avoir des méga canicules. »
Le climatologue du Cerfacs ajoute un troisième facteur : les circulations atmosphériques, qui « favorisent le transport d’air chaud du Maghreb et/ou du pourtour méditerranéen vers le nord de l’Europe ». « Le phénomène est assez complexe à comprendre, indique-t-il. Ces circulations sont-elles une autre facette du changement climatique, ou font-elles partie de la variabilité naturelle du climat qui fait que nous sommes dans une période où les flux se font plus du Sud vers le Nord ? On ne sait pas très bien répondre. »
Un réchauffement deux fois plus rapide… pas qu’en Europe
Quoi qu’il en soit, mis bout à bout, ces facteurs font que l’Europe se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne. Ce n’est pas la seule région. On dit aussi du Moyen-Orient, de la Californie, de la Russie ou du Canada qu’ils se réchauffent à une cadence similaire. « Pas forcément pour les mêmes raisons », indique Christophe Cassou.
Alors que l’assèchement du sol est aussi l’un des facteurs clés du réchauffement en Californie ou au Moyen-Orient, un autre phénomène entre en jeu pour le Canada et la Russie : la perte d’enneigement. « C’est une question d’albédo, précise le climatologue. La surface très blanche de la neige a un fort pouvoir réfléchissant. Elle renvoie la chaleur dans l’atmosphère. En fondant, elle met à nu des surfaces plus sombres qui, elles, vont capter la chaleur et la garder à la surface. » C’est le même phénomène qu’en Arctique avec la fonte des glaciers et banquises. Mais à un rythme encore plus effréné : l’Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que la moyenne mondiale.
Pas exagéré de se préparer à une France à + 4 °C ?
« Nous devons préparer notre pays à une évolution des températures de + 4 °C», lançait Christophe Béchu, fin mai, dans une interview au Journal du Dimanche. Le ministre de la Transition écologique présentait alors une première ébauche du plan national d’adaptation au changement climatique, qui planche sur deux scénarios de réchauffement à 2100. L’un à +2 °C, l’autre à +4 °C, qui pourrait être vu comme le scénario extrême. « Mais il reste tout à fait possible », glissent tant Olivier Boucher que Christophe Cassou, qui soulignent la nécessité de se préparer à cette éventualité. « On le voit bien, un réchauffement mondial de +1,15 °C équivaut à un réchauffement de 2,3 °C en Europe, indique le second. On sait que la trajectoire actuelle, au prenant en compte tout ce qui est mis sur la table par les pays pour atténuer le réchauffement climatique, nous conduit actuellement vers un réchauffement mondial de +3 °C d’ici à 2100. Ce qui voudrait dire à peu près +4 °C pour l’Europe. »