Le groupe de communication va accélérer ses capacités dans l’intelligence artificielle. Et construire une base unique de données accumulées depuis des années pour devenir une «entreprise à système intelligent».
Entre promesses, peurs et réalités, l’intelligence artificielle (IA) était sur les lèvres de tous les dirigeants mondiaux à Davos. Revenu des hauteurs de Suisse il y a quelques jours, le président du directoire de Publicis, Arthur Sadoun, lance son offensive pour accélérer dans l’IA. Il va mettre sur la table 300 millions d’euros sur trois ans. «L’IA n’est pas née avec ChatGPT, elle était déjà au cœur de nos savoir-faire depuis de nombreuses années», explique le dirigeant au Figaro. «Après avoir fait tomber nos silos, l’IA va nous permettre de passer à une ’entreprise de système intelligent’ avec une architecture unique et simplifiée», ajoute-t-il.
Concrètement, le groupe de communication français, numéro un mondial du secteur en termes de valorisation boursière, s’attelle depuis quelques mois à la construction d’une base unique où seront mises en commun toutes les données accumulées au fil des années. Soit 2,3 milliards de profils d’utilisateurs dans le monde, des trillions de points de données analysant la performance commerciale de campagnes, les contenus de sa plateforme Marcel… Mais aussi plusieurs décennies de données de transformation commerciale et de lignes de code détenues par Sapient, son entité spécialisée dans la technologie et le conseil, rachetée 3,7 milliards de dollars il y a dix ans. «Je crois qu’une entreprise ne pourra pas tirer tous les fruits et bénéficier de l’IA sans avoir transformé, comme Publicis l’a fait ces six dernières années, son modèle avec des données propriétaires au centre», glisse Arthur Sadoun.
Une course contre ses rivaux
Dans la course contre le Britannique WPP , numéro un mondial du secteur en termes de revenus, et l’Américain Omnicom, Publicis veut renforcer les capacités de ses 100.000 collaborateurs en leur donnant tous accès aux mêmes ressources. «Avec notre nouvelle base IA, chaque employé pourra devenir un expert de la donnée et coder comme un ingénieur», affirme-t-il. De quoi bousculer les équilibres de hiérarchie pyramidale et les principes de formation et de transmission des savoirs entre les profils seniors et juniors…
L’investissement de cent millions d’euros prévu pour 2024 sera réparti entre la formation, le recrutement des équipes, et la technologie à travers l’achat de licences, de logiciels informatiques et d’infrastructures Cloud. C’est Sapient, qui aide notamment le géant Nvidia à concevoir les puces utilisées pour l’entraînement des grands modèles de langage, qui construit la base IA de Publicis.
À l’approche de son centenaire, le groupe espère démultiplier ses capacités sur cinq grands champs : de la recherche à l’élaboration des plans médias, en passant par la création de films publicitaires ultra-personnalisés, l’élaboration de nouveaux logiciels ou l’amélioration des processus internes. En guise d’exemple, Arthur Sadoun évoque le potentiel besoin pour un constructeur automobile de vendre en une année 40.000 véhicules électriques SUV aux États-Unis. «Au lieu d’une recherche de plusieurs semaines, nos collaborateurs pourront obtenir en quelques secondes une analyse des grandes tendances du marché, les audiences clés à cibler dans les médias, avec des systèmes qui permettent de voir à la seconde si une campagne est efficace et de changer la stratégie si besoin. Par exemple, les régions aux États-Unis qui manquent de voitures ou encore la perception du produit sur les réseaux sociaux», précise-t-il.
Sur les appels d’offres, l’ambition est de pouvoir monter un dossier en quelques heures au lieu de plusieurs jours. L’offensive de Publicis intervient dans un contexte où plusieurs hauts responsables du secteur et analystes ont averti, ces derniers mois, que l’intelligence artificielle générative pourrait remettre en question la position dominante des groupes de communication établis. Car elle offrirait la possibilité à leurs clients annonceurs de réaliser leurs propres activités marketing et créations publicitaires. De leur côté, les géants de la tech pourraient également en profiter pour proposer des services concurrents.
Publicis, qui réalise la moitié de ses revenus aux États-Unis, annonce une croissance organique de 6,3% pour l’année 2023. Au CAC 40, il affiche une capitalisation de 22,2 milliards d’euros ce jeudi matin. Alors que le groupe compte dans ses équipes plus de 40.000 ingénieurs et experts de la donnée, et que son activité médias ne représente plus qu’un tiers de ses revenus, il se défend de se muer en une entreprise technologique. «Nous ne sommes pas une entreprise tech, mais une entreprise qui a de la donnée et la technologie au cœur de son modèle, au même titre que Tesla est un constructeur d’automobiles ou Amazon un distributeur», justifie Arthur Sadoun. «Ce qui est sûr, c’est que nous sommes passés d’un groupe de communication à un partenaire privilégié de nos clients dans leur transformation», conclut-il.