Christophe Lutundula, ministre congolais des affaires étrangères, exige des sanctions internationales contre Kigali, qu’il accuse de soutenir le mouvement rebelle M23.
Depuis la fin de 2021, l’est de la République démocratique du Congo (RDC) subit les assauts du Mouvement, rebelle, du 23 mars (M23), soutenu par le Rwanda et son armée, selon plusieurs rapports des Nations unies (ONU). Après avoir longtemps déploré le silence de la communauté internationale face à ce que Kinshasa dénonce comme une « agression » de son voisin, le ministre des affaires étrangères de la RDC, Christophe Lutundula, salue, dans un entretien au Monde, le nouveau « frémissement » diplomatique venu des Occidentaux. Le 17 février, les Etats-Unis ont appelé Kigali à retirer ses soldats du Nord-Kivu, des termes repris par la France trois jours plus tard. Mais Kinshasa attend davantage et exige des sanctions contre le Rwanda.
Le dernier communiqué du département d’Etat américain demande clairement le retrait des troupes rwandaises présentes en République démocratique du Congo. Etes-vous satisfait de cette déclaration plus ferme que les précédentes ?
Nous constatons un engagement pour trouver une solution à la crise imposée par le Rwanda et mettre fin à cette agression ignoble. C’est un encouragement dans le combat que nous menons contre les ambitions démesurées de Paul Kagame et de son pays.
Pensez-vous que ces déclarations vont être entendues par le Rwanda, qui dément toujours être présent militairement dans l’est de la RDC ?
En dépit de toutes les pressions qui viennent du monde entier, de toutes les désapprobations, M. Kagame ne bouge pas, bien au contraire. En fait, les déclarations, c’est bien, mais il est encore plus significatif et efficace d’agir. Il faut des sanctions contre le Rwanda. Nous le demandons auprès du Conseil de sécurité depuis le début de l’éclatement de cette énième agression [l’offensive du M23, que Kinshasa accuse Kigali de soutenir] contre la RDC [en novembre 2021].
L’impunité ne peut être garantie pour les auteurs de crimes contre l’humanité, crimes de guerre ou contre la démocratie. Il faut aussi cibler les forces économiques qui participent aux trafics illicites [dans l’est de la RDC].
En Afrique, le Rwanda et son chef sont les seuls qui ont décidé d’envahir un autre Etat africain, d’envoyer des troupes, de piller ses richesses, de provoquer le déplacement de ses citoyens. Un Etat qui soutient ouvertement un mouvement terroriste pour déstabiliser un autre Etat. Tout cela viole le droit international et toutes les normes qui président aux relations entre les Etats. Il faut donc continuer le travail de sanctions.
Un protocole d’accord pour l’exploitation des minerais a été signé le 19 janvier par la Commission européenne et Kigali, ce qui semble aller dans le sens d’une coopération renforcée plus que de sanctions…
Il n’y a pas que cet accord sur ce que l’Union européenne appelle les « matières premières stratégiques ». Il y a aussi des contacts pour un accord de coopération sécuritaire et militaire. C’est une série de gestes inamicaux. L’UE se rend complice du pillage de nos ressources et de l’agression du Rwanda contre notre pays.
Nous avons dénoncé cela. Cela ne consolide pas la confiance mutuelle nécessaire dans notre partenariat avec l’Union européenne. Heureusement, il y a un certain nombre d’Etats membres qui font entendre leur voix pour se désolidariser de ce qui se passe au niveau de la Commission européenne.
La France dispose d’un certain poids à Bruxelles. Elle a aussi demandé au Rwanda de retirer ses soldats de RDC. Le gouvernement français fait-il preuve de double langage ?
La France est une locomotive déterminante de l’Union européenne et du leadership international en tant que membre du Conseil de sécurité. Mais il y a certaines ambiguïtés qui doivent être levées définitivement. Il faut passer des déclarations aux actes, à savoir les sanctions.
A quelles ambiguïtés françaises faites-vous référence ?
Au langage d’équilibriste, qui consiste à la fois à condamner le Rwanda et dans le même temps à donner l’impression que vous justifiez son agression du territoire congolais en disant que les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda] et certains officiers congolais y fomentent des actions de déstabilisation de Kigali. Nos partenaires doivent être clairs dans leur condamnation et dans leurs actions.
Qu’attendez-vous désormais du processus de paix de Luanda, qui est en train d’être relancé avec la visite de Félix Tshisekedi en Angola, mardi 27 février ? Qu’acceptez-vous de négocier avec le Rwanda ?
Nous sommes dans un blocage de la mise en œuvre des processus de Luanda et de Nairobi acceptés par l’Union africaine et appuyés par les Nations unies. Le blocage est que le Rwanda ne retire pas ses troupes de la RDC et que le M23 ne fait pas de précantonnement de ses hommes, ce qui devait ouvrir la voie à la mise en œuvre du programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation.
Nous comptons donc sur les talents de négociateur du président angolais [et médiateur nommé par l’UA], Joao Lourenço, pour obtenir du président Kagame un agenda précis et sincère de retrait. Nous sommes agressés, nos populations souffrent. Ce sont nos richesses qui sont volées.
Il faut que M. Kagame dise exactement quels sont les problèmes à régler. Pourquoi est-il au Congo ? Jusqu’à aujourd’hui, c’est le flou artistique. Nous attendons aussi de Luanda une plus grande mobilisation internationale sur les plans diplomatique et financier pour traiter la question humanitaire. Sinon, sans solution diplomatique, nous sommes déterminés à défendre l’intégrité territoriale de notre pays.
Comment ? Pour l’instant, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ne sont pas en mesure de repousser les assauts du M23…
La guerre et les incursions rwandaises durent depuis trente ans et pendant tout ce temps notre pays n’a pas eu assez de forces pour recréer toute la chaîne sécuritaire.
Le secrétaire général adjoint des Nations unies a reconnu que le M23 a des armes plus sophistiquées que celles de la Monusco [les casques bleus déployés au Congo]. Tout le monde sait que l’armée rwandaise est hyperéquipée.
Quant à la participation de la force régionale [de la SADC, qui est en train d’être déployée], elle est encadrée par les traités de sécurité mutuelle et automatique. Nous ne sommes pas le premier pays au monde à utiliser ce genre d’instruments.
Les experts des Nations unies ont montré que les FARDC s’appuient également sur des groupes armés non étatiques commandés, pour certains, par des hommes soupçonnés de crimes de guerre. Vous ne craignez pas d’être redevables de ce soutien ?
Je ne connais pas de groupes armés non étatiques engagés auprès des FARDC. Le seul groupe que nous connaissons, ce sont les « wazalendo » (les « patriotes » en swahili ; miliciens). Des Congolais qui rejettent l’agression rwandaise. Des Congolais qui subissent dans leur chair et leurs biens les ravages de l’armée rwandaise. C’est leur droit et même leur obligation constitutionnelle. L’Etat congolais a décrété la mobilisation générale.