Passé par al-Qaïda et contre l’idée de perpétrer des attentats en Occident, Abou Mohammed al-Jolani reste un personnage à part dans les mouvements islamistes. Le leader du groupe Hayat Tahrir al-Shamvient de mener la coalition rebelle à Damas.
Son évolution reflète celle du mouvement rebelle en Syrie, passant de la violence et des divisions au consensus pour faire tomber le dictateur. Abou Mohammad al-Jolani, le chef de la coalition rebelle à l’origine d’une offensive fulgurante en Syrie qui a provoqué selon ses combattants la chute dimanche du président Bachar al -Assad, est passé d’un vocabulaire fondamentaliste à une parole qui se veut modérée pour parvenir à ses fins.
Le leader de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ex-branche d’al-Qaïda en Syrie, s’était fixé comme objectif de renverser le président Assad, au pouvoir depuis 2000. Dimanche, les rebelles sont entrés dans la capitale et ont proclamé « la ville de Damas libre» . Grand, bien charpenté, une barbe noire et l’œil vif, Abou Mohammad al-Jolani a abandonné progressivement le turban des djihadistes dont il se coiffait au début de la guerre en 2011 pour un uniforme militaire et parfois pour un costume civil.
De l’engagement à la rupture avec al-Qaïda
Né en 1982, Ahmed al-Chareh, vrai nom de Jolani, a grandi à Mazzé, un quartier cossu de Damas, dans une famille aisée. En 2021, il a expliqué dans une interview à la chaîne publique américaine PBS, que son nom de guerre, Abou Mohammed al-Jolani, était une référence à ses origines familiales dans les hauteurs du Golan. Selon lui, son grand-père a été déplacé du Golan après la conquête en 1967 par Israël d’une grande partie de ce plateau syrien.
Après l’invasion américaine de l’Irak en 2003, il part combattre dans ce pays voisin de la Syrie, où il rejoint le groupe al-Qaïda en Irak d’Abou Moussab al-Zarqawi avant d’être emprisonné durant cinq ans. Après le début de la révolte contre Bachar al-Assad en 2011, il rejoint son pays natal pour y fonder le Front al-Nosra, qui deviendra HTS. En 2013, il refuse d’être adoubé par Abou Bakr al Baghdadi, futur chef de l’EI, et lui préfère l’émir d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri
Depuis la rupture avec al-Qaïda en 2016, il tente de lisser son image et de présenter un visage plus modéré, sans trop convaincre les analystes ou encore les chancelleries occidentales qui classent HTS comme un groupe terroriste. « C’est un radical pragmatique », déclare à l’AFP Thomas Pierret, un spécialiste de l’Islamiste en Syrie. « En 2014, il a été au sommet de sa radicalité pour s’imposer face à la frange radicale de la rébellion et de l’organisation Etat islamique, pour ensuite modérer ses propos », explique ce chercheur au CNRS.
En 2017, il impose aux rebelles radicaux du nord de la Syrie, une fusion au sein de HTS. Il met en place une administration civile et multiplie les gestes envers les chrétiens dans la province d’Idleb que son groupe contrôle depuis deux ans. C’est là où HTS avait été accusé par des habitants, des proches de détenus et des défenseurs des droits humains, d’exactions qui s’apparentent selon l’ONU à des crimes de guerre, provoquant des manifestations il y a quelques mois.
Après l’offensive, al-Jolani a cherché à rassurer les habitants d’Alep, ville qui compte une importante communauté chrétienne. Et il a appelé ses combattants à préserver « la sécurité dans les régions libérées ». « Je pense que c’est avant tout une question de bonne politique. Moins les Syriens et la communauté internationale auront peur, plus Jolani apparaîtra comme un acteur responsable plutôt que comme un extrémiste djihadiste toxique, et plus sa tâche sera facile », assure le chercheur Aron Lund. « Est-ce totalement sincère ? Certainement pas. Ce type vient d’une tradition fondamentaliste religieuse très dure. Mais ce qu’il fait, c’est la chose intelligente à dire et à faire en ce moment », conclut Aron Lund.