La Russie a qualifié « d’hostile » la limitation par la Lituanie du trafic ferroviaire vers l’enclave de Kaliningrad. Héritage de la Deuxième Guerre Mondiale, ce territoire de 15 000 km2, en ancienne Prusse orientale, est une véritable enclave russe entourée désormais de pays européens. Elle pourrait, via une étroite bande de terrain appelée passage de Suwalki, devenir une porte d’entrée de la Russie vers les États baltes. Comment l’ancienne ville prussienne de Königsberg est-elle devenue russe ?
Moscou a immédiatement convoqué le chef de la délégation de l’Union européenne en Russie, Markus Ederer, au ministère des Affaires étrangères.
Cette enclave stratégique et militarisée, siège de la flotte russe en mer Baltique, est entourée par la Lituanie et la Pologne, deux membres de l’Otan et de l’Union européenne qui soutiennent fermement Kiev depuis le début du conflit en Ukraine. Elle a une importance stratégique pour la Russie, mais également hautement symbolique.
L’ancienne Königsberg
La ville de Kaliningrad était une cité prussienne du nom de Königsberg jusqu’à sa conquête par l’URSS en 1945. La ville natale du philosophe Emmanuel Kant a été complètement ou presque détruite pendant la deuxième guerre mondiale.
La fin de la deuxième guerre mondiale redessine les frontières de l’Europe. Les accords de Yalta et Postdam placent sous domination soviétique la partie nord de la Prusse orientale, la partie sud revenant à la Pologne.
En obtenant ces 15 000 km2, l’URSS accédait aux ports de Pillau et Königsberg, libres de glace toute l’année à la différence de Leningrad et de Kronstadt dans le golfe de Finlande.
En 1946 elle est rattachée à la République socialiste soviétique fédérative de Russie et rebaptisée Kaliningrad, tout comme sa capitale Königsberg, en l’honneur de Mikhail Kalinine président du Soviet suprême décédé un mois plus tôt explique l’historien Franck Tétart dans un article pour la revue d’histoire Hérodote.
Les populations allemandes furent expulsées en 1948. Les Russes effacèrent toute trace de ce passé allemand commencé il y a plusieurs siècles avec l’arrivée des chevaliers teutoniques.
La ville a été profondément redessinée et transformée en modèle soviétique.
Fenêtre sur l’Occident
Quelques années après la chute de l’empire soviétique, en 1995, les trois États baltes ont tous demandé à adhérer à l’Union européenne. Ils font partie de la Communauté depuis mai 2004 et de l’espace euro depuis 2014.
Kaliningrad s’est donc retrouvé entouré de pays membres de l’Union européenne (Pologne et Lituanie) soulignait un rapport du Sénat français.
« La reprise de l’acquis de Schengen par la Lituanie a créé un différend important avec la Russie. En effet, elle mettait un terme au régime qui permettait le transit des citoyens russes entre la Fédération de Russie et l’enclave de Kaliningrad à travers le territoire lituanien, sans autre formalité que la présentation d’un document d’identité par l’introduction d’une obligation de visa pour les ressortissants russes. Après de difficiles négociations, un accord a été trouvé fin 2002 sur la mise en place d’un régime de transit facilité pour les citoyens russes ainsi que pour les marchandises qui a commencé à s’appliquer le 1er juillet 2003. »
Un avant-poste militaire
C’est là que mouille la flotte russe de la Baltique. Même si la Russie y a réduit drastiquement ses effectifs militaires en 1991 (qui passent de 100 000 à 9 000 hommes selon Franck Tétart) c’est un avant-poste militaire important surtout depuis que les États baltes ont rejoint l’OTAN.
En 1999, Moscou organise à partir de Kaliningrad des manœuvres militaires de grande ampleur sur un scénario d’une hypothétique attaque de l’enclave par l’OTAN
Après 2004, date d’une collaboration avec l’OTAN lors d’un exercice conjoint pour contrer la menace terroriste, la zone se militarise.
En 2009 le président Medvedev se déplace à Kaliningrad pour assister à des exercices militaires. En 2010, c’est au tour de la Pologne de déployer des missiles Patriot près de la frontière avec l’enclave de Kaliningrad. En novembre 2011, le président Medvedev visite le tout nouveau radar militaire.
S’en suivent en 2013 des exercices de grande ampleur avec le Bélarusse.
En avril 2016, deux Sukhoi Russes menacent d’attaquer un destroyer américain en mer baltique jugé naviguer trop près de Kalinigrad.
En 2018, Moscou y déploie des missiles Iskander, malgré les protestations de la Lituanie.
Très récemment, le 9 juin, plusieurs dizaines de navires russes prenaient part à des exercices militaires. Ces exercices interviennent alors que l’Otan mène depuis le 12 juin des manœuvres navales annuelles d’envergure en mer Baltique, baptisées « Baltops 22 », qui doivent durer jusqu’au 17 juin.
Suite aux demandes de la Finlande et de la Suède d’adhérer à l’OTAN, demandes bloquées par la Turquie, la zone de la mer baltique est au centre de toutes les attentions. Le chef d’état-major américain, le général Mark Milley, s’est rendu le 11 juin à Stockholm à bord de l’USS Kearsarge, un puissant porte-hélicoptères conçu pour déployer des forces sur des rivages ennemis.
Le couloir de Suwalki
Les efforts de l’OTAN se concentrent également sur une étroite bande de terrain, surnommée le couloir de Suwalki. Il s’agit 65 kilomètres de frontière polono-lituanienne, mais, coincés entre l’enclave russe de Kaliningrad et le Belarus.
« Il semble raisonnable de penser que la Russie viserait l’étroit passage de Suwalki dans tout conflit avec l’Otan impliquant les pays baltes », en le fermant par une opération terrestre depuis Kalinigrad ou le Belarus, ou en détruisant routes et rails avec des attaques aériennes ou l’artillerie, disait à l’AFP le professeur John R.Deni, de l’Institut d’études stratégiques de l’US Army War College.
Les dirigeants des pays membres de l’OTAN qui se réunissent les 8 et 9 juillet à Varsovie, ont l’intention de réduire ce risque.