Finalement, le sauvetage du béluga égaré dans la Seine n’aura pas réussi. Les vétérinaires ont été contraints d’euthanasier le cétacé, trop affaibli. Mais comment expliquer qu’il se soit retrouvé là ? Éléments de réponse.
Malgré les efforts déployés, le béluga n’a pas survécu. Observé dans la Seine pour la première fois le 2 août dernier, le béluga était retenu depuis le 5 août dans une écluse, située à 70km au nord-ouest de Paris. Il avait été extrait du fleuve le 10 août au petit matin, lors d’une opération « hors normes. » Le cétacé devait être transporté à Ouistreham dans le Calvados, avant d’être rapatrié en pleine mer. « L’état du cétacé s’est malheureusement dégradé lors du voyage », annonce la préfecture du Calvados dans un communiqué. « La décision a donc été prise collégialement, avec les vétérinaires, de l’euthanasier. »
Au-delà de l’émotion provoqué par l’événement dans le monde entier, il est important de rappeler que ce béluga se trouvait loin de son environnement naturel. Selon l’observatoire Pelagis, le béluga « a une distribution arctique et subarctique. Bien que la population la plus connue se trouve dans l’estuaire du Saint-Laurent (Québec), la plus proche de nos côtes se trouve au Svalbard », un archipel situé au nord de la Norvège, à 3000 kilomètres de la Seine. Comment le cétacé s’est-il retrouvé dans un fleuve français ?
Pourquoi le béluga était-il dans la Seine ?
Selon Élodie Lafitte, ingénieure-docteure en océanographie physique à l’Institut Méditerranéen d’Océanologie (MIO), il y a deux hypothèses pour expliquer la présence du cétacé dans la Seine. « Il y a le changement de température des eaux et des courants, et une possible perturbation liée au bruit d’un chantier sous-marin », décrit-elle. Au mois de mai, une orque avait également été observée dans la Seine, entre Rouen et Le Havre. Elle avait été retrouvée morte et l’autopsie avait privilégié un décès par inaction. Les mêmes hypothèses étaient avancées sur les circonstances de sa présence dans le fleuve.
Comme les cétacés se repèrent avec l’acoustique sous-marine, est-ce que ça les a perturbés ?Élodie Lafitte, ingénieure-docteure au MIO
Pour l’hypothèse du chantier sous-marin, l’ingénieure-docteure précise qu’il y a « un chantier d’éoliennes offshore qui se situe à l’embouchure du Havre. » Ces travaux génèrent beaucoup de bruit. « Comme les cétacés se repèrent avec l’acoustique sous-marine, est-ce que ça les a perturbés ? », s’interroge-t-elle. Cependant, si le bruit du chantier perturbait les cétacés, comment expliquer que le béluga, et l’orque quelques mois plus tôt, se soient retrouvés seuls ? « Certains disent que comme c’était des individus déjà affaiblis, ils sont isolés du groupe et se perdent plus facilement », analyse Élodie Lafitte. Elle précise aussi que « souvent, des études sont faites dans ces chantiers sont faites pour vérifier à quel point ils perturbent les écosystèmes. »
Si ces courants s’arrêtent du jour au lendemain, ça chamboule l’ensemble du climat de façon radicale. Élodie Lafitte, ingénieure-docteure au MIO
Comment le réchauffement climatique influence les courants marins ?
L’autre hypothèse pour expliquer la présence de cétacé dans la Seine est liée aux courants marins. « À l’échelle de la planète, il y a d’immenses courants appelés courants géostrophiques », explique Élodie Lafitte. Ils font le tour des océans selon un parcours circulaire bien précis et ils sont maîtres du climat autour de la planète. « Selon s’ils sont en profondeur ou en surface, les courants changent la température de la surface de l’eau, de l’humidité et de l’atmosphère », poursuit l’ingénieure-docteure. « Si ces courants s’arrêtent du jour au lendemain, ça chambouler l’ensemble du climat de façon radicale », résume-t-elle. Ils sont responsables des tempêtes, des changements de pression, des zones de mousson. « C’est toute une dynamique d’atmosphère et d’océans qui sont couplés. »
Les courants marins jouent aussi un rôle primordial dans les migrations. « Lorsque les animaux migrent, ils suivent ces courants », explique Élodie Lafitte. En effet, dans les courants chauds, ils ont plus de facilités pour trouver de la nourriture. « Toute la chaîne alimentaire se cale sur ces courants », résume-t-elle. Cependant, « avec les changements climatiques, les grands courants marins sont en train de changer, de s’inverser », précise-t-elle. Donc si les courants sont perturbés, le sens de l’orientation des animaux qui en dépendent pour se nourrir va être perturbé. « Si le courant s’inverse et qu’il n’y a plus de réserve de nourriture à l’endroit où elle est censée être, les animaux vont mourir de faim ou vont migrer ailleurs. »
Vu que le changement climatique perturbe les températures de l’eau et les directions des courants, le béluga s’est perdu.Élodie Lafitte, ingénieure-docteure au MIO
« Vu que le changement climatique perturbe les températures de l’eau et les directions des courants, le béluga s’est perdu », détaille Élodie Lafitte. C’est de cette manière qu’il serait rentré dans l’estuaire parce « qu’il n’aurait plus trouvé les courants ou les zones d’eau actuelles dans lesquelles il nage. »
Selon François Sarano, interrogé par l’AFP, océanographe et spécialiste des cachalots et des grands animaux marins, une fois que les animaux marins ont « embarqué dans une direction, (ils) reviennent très difficilement en arrière. » Toutefois, « ils essayent toujours de trouver une solution mais vers l’avant », ajoute-t-il, ce qui pourrait expliquer ce cas d’errance loin de son habitat primaire dans les régions arctiques et subarctiques.
Des perturbations de migration à l’échelle globale ?
Ces événements montrent-ils que les migrations des cétacés sont perturbées ? Impossible de le confirmer dans le cas du béluga, ou de l’orque, car un seul spécimen est concerné. « Mais est-ce que c’est les premiers signes d’une perturbation globale ? », s’interroge Élodie Lafitte. « Pour l’instant, peut-être que ça touche uniquement les individus faibles et isolés mais qu’à terme, cela va s’étendre », poursuit-elle. Par exemple, « on voit de plus en plus de cétacés venir s’échouer sur les plages. »
Les cétacés ne sont pas les seuls animaux touchés. « Il y a beaucoup de perturbations de migrations d’oiseaux à cause du réchauffement climatique », constate Élodie Lafitte. « Les zones de climat changent, donc ils migrent différemment. » Mais ce n’est pas le seul facteur qui les perturbent : « Il y en a même qui se perdent à cause de tous les satellites qu’il y a dans le ciel parce qu’ils se repèrent aussi grâce aux positions des étoiles. »
Mais ce que je constate, dans d’autres cétacés, c’est qu’au contraire, il n’y a que des singularités, des individualités.François Sarano, océanographe, interrogé par l’AFP
En ce qui concerne le béluga, de nombreuses inconnues demeurent pour le moment. Déjà, comment expliquer son état de santé affaibli ? « Si on se dit qu’il était déjà malade, affaibli, affamé et que c’est ça qui a a fait qu’il était perdu, pourquoi il était affamé ? », s’interroge l’ingénieure-docteure Élodie Lafitte. « La modification du changement climatique modifie les ressources et raréfie les courants ce qui fait qu’il n’arrivait plus à se nourrir ? ».
Selon François Sarano, aucun élément ne peut déterminer la raison exacte de la présence du béluga dans la Seine pour le moment. « On essaye de comprendre pourquoi un individu, un cas particulier, pourrait traduire une généralité », analyse-t-il. « Mais ce que je constate, dans d’autres cétacés, c’est qu’au contraire, il n’y a que des singularités, des individualités. » Par ailleurs, « ce n’est pas parce qu’il est isolé que cet individu est obligatoirement mal en point », poursuit l’océanographe. « On voit des dauphins et des cachalots qui sont de vrais explorateurs et qui partent loin de leur clan et qui se débrouillent bien tout seul ! »