D’une phase défensive, les unités ukrainiennes semblent être passées à une phase offensive. Au nord-est du pays, elles ont progressé par endroits sur une profondeur « de 70 km » et ont repris en cinq jours « plus de territoires que les Russes n’en ont conquis dans toutes leurs opérations depuis avril« , selon l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW), basé à Washington. Comment s’explique ce regain de dynamisme ukrainien ?
Le général Jérôme Pellistrandi est rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale
Comment expliquer cette remontée militaire ukrainienne ?
Jérôme Pellistrandi : Nous sommes aujourd’hui au 200e jour de la guerre mais en réalité, les forces ukrainiennes sont en guerre contre la Russie depuis 2014. Les méthodes de commandement, de fonctionnement ukrainiennes ont eu le temps d’évoluer et de s’adapter à cette nouvelle conflictualité. Lors des 100 premiers jours du conflit, les Ukrainiens étaient sur la défensive face à la puissance de l’attaque russe. Mais ils bénéficient désormais de matériel occidental et ils savent l’utiliser. Ils ont des forces qui sont très motivées et tous ces facteurs expliquent que l’armée ukrainienne est aujourd’hui en train d’infliger une défaite à l’armée russe.
Nous entrons vraiment dans une nouvelle phase. Une phase dynamique.Général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale
Ce retournement de la situation n’est donc pas une surprise ?
Jérôme Pellistrandi : C’est une surprise quand même, dans la mesure où, même si l’on voyait bien que les Ukrainiens étaient capables de résister de manière spectaculaire, ici, nous entrons vraiment dans une nouvelle phase. Une phase dynamique, alors que l’on s’attendait à ce que la ligne de front reste figée, jusqu’à l’arrivée de l’hiver. Ici, ce sont les Ukrainiens qui ont pris l’initiative de l’offensive, en particulier dans le nord. Cela va bouleverser la situation. Les Russes vont devoir réagir.
De quelle manière pourrait évoluer la situation ?
Jérôme Pellistrandi : Il faut souligner la situation particulièrement difficile dans laquelle se trouve la Russie. L’opération spéciale, qui devait durer quelques semaines, a totalement échoué. Nous sommes entrés dans une guerre longue. La Russie est très isolée du reste du monde, même si elle conserve des appuis et des alliés. Nous voyons bien que la guerre froide a été en quelque sorte « ressuscitée » par l’attitude de Moscou. Que faire, pour Moscou ? C’est une question compliquée parce que la Russie n’a pas suffisamment de soldats, paradoxalement. Ils en manquent. Il va falloir que Vladimir Poutine trouve des solutions militaires mais aussi politiques pour sortir du piège dans lequel il s’est lui-même enfermé.
Les efforts de recrutement vont même jusqu’à aller chercher des prisonniers en l’échange de remise de peines. Cela ne suffit pas à la Russie.Général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale
Comment le président russe s’y prendrait-il ?
Jérôme Pellistrandi : C’est toute la difficulté. Vladimir Poutine n’a pas décrété la mobilisation générale. C’est une « opération spéciale » militaire, pas la « guerre ». Or il a besoin de forces supplémentaires. Déclarera-t-il la mobilisation générale ? Jusqu’à présent, les efforts de recrutement vont même jusqu’à aller chercher des prisonniers en l’échange de remise de peines. Cela ne suffit pas. La situation est extrêmement délicate et pourrait poser un problème politique à Vladimir Poutine dans les semaines et mois à venir.
Les Ukrainiens, sur leur dynamique, vont poursuivre leur offensive et les Russes, qui sont sur la défensive, ne vont surtout pas chercher à négocier. Général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale
Quel est l’effet d’une telle percée du côté Ukrainien ?
Jérôme Pellistrandi : Les victoires tactiques dans le nord peuvent doper le moral de la population ukrainienne. Maintenant, il faut que Kiev reste prudente, ce n’est pas parce qu’elle a obtenu un succès tactique dans le nord, que pour autant, la guerre est gagnée. Quels sont les objectifs vers lesquels les forces ukrainiennes sont capables d’aller ? S’agit-il d’aller jusqu’à la frontière, ou s’agit-il de trouver une ligne de défense différente pour préparer l’hiver ? C’est l’un des enjeux majeurs pour l’État-major ukrainien et il faut qu’il garde son sang froid face au succès actuel, entre l’exploitation, le plus loin possible et la consolidation des positions obtenues par les unités ukrainiennes sur le terrain.
Cette phase dynamique du côté ukrainien signifie-t-elle que la guerre pourrait se terminer plus rapidement qu’on ne le pensait jusqu’à présent ?
Jérôme Pellistrandi : Il faut rester prudent. 20% du territoire ukrainien reste contrôlé par les Russes. Nous nous orientons de toute évidence vers un conflit qui sera long. D’ici un mois et demi, l’hiver sera là, avec sa météo peu propice aux grandes offensives. C’est d’ailleurs pour cela que les forces ukrainiennes sont offensives en ce moment. Les Ukrainiens, sur leur dynamique, vont poursuivre leur attaque et les Russes, qui sont sur la défensive, ne vont surtout pas chercher à négocier.