Ce jeudi 15 septembre 2022, Vladimir Poutine et Xi Jinping se sont rencontrés . Les deux hommes devraient se retrouver à Samarcande en Ouzbékistan à l’occasion du 22ème sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Quels sont les enjeux de cette rencontre ? La Chine est-elle un allié indéfectible de la Russie ? Eléments de réponses avec François Chimits analyste pour la Mercator Institute for China Studies.
La dernière rencontre entre Vladimir Poutine et Xi remonte au 4 février 2022, à l’occasion des jeux olympiques d’hiver. Les deux chefs d’État ne se sont pas revu depuis l’invasion de l’Ukraine deux semaines plus tard. Le Kremlin, fragilisé par les reculs de l’armée russe en Ukraine, a communiqué à plusieurs reprises sur cette rencontre.
Qu’attend Vladimir Poutine de sa rencontre avec Xi Jinping ?
François Chimits : Ce que cherche Vladimir Poutine en rencontrant Xi Jinping c’est d’abord une forme de « posture internationale« . La présence du président russe aux côtés de Xi Jinping peut contribuer à réaffirmer son autorité en interne en offrant l’image d’un front uni contre les pays de l’Occident. De son coté, Xi Jinping renforce ses partenariats avec les pays d’Asie centrales dans un contexte de fortes tensions avec les États-Unis.
Le président russe cherche également à obtenir de son homologue chinois des engagements supplémentaires de la Chine en matière d’importation d’énergie. Sur ce point, les limites sont nombreuses mais des signatures de contrats sur 10,15 ou 20 ans peuvent être annoncées. Cela permettrait aux deux pays d’afficher des montants impressionnants en milliards de dollars. Mais peu importe les sommes avancées, il conviendra de rester prudent sur leurs valeurs réelles.
La valeur réelle de ces contrats dépendra du « prix payé » par les Russes. Le « prix » financier, celui auquel le gaz sera vendu à la chine, mais également les concessions que devront faire les Russes pour obtenir ces augmentations d’importations. Ces informations sont sensibles, difficilement accessibles et ne seront délivrés que longtemps après l’annonce des chiffres officiels. Cependant, il est possible de supposer que parmi les concessions que devra faire la Russie figure une hausse des participations chinoises dans les champs d’hydrocarbures russes. Jusqu’à 2014, ces champs étaient interdits pour tous acteurs étrangers mais l’invasion de la Crimée a contraint la Russie à faire une exception pour la Chine dans un contexte ou le Kremlin avait besoin d’allier.
Depuis, les relations entre les deux Etats se sont renforcées jusqu’à l’accord historique signé en février dernier lors de la dernière rencontre entre Vladimir Poutine et Xi Jinping.
Que représente l’accord du 4 février entre Vladimir Poutine et Xi Jinping ?
François Chimits : Pékin et Moscou ont annoncé le 4 février 2022 un « nouveau partenariat approfondi » entre la Russie et la Chine. Ce partenariat repose sur deux volets, premièrement une entente géopolitique et diplomatique et secondement une alliance économique.
Sur ce premier volet, l’alliance diplomatique se manifeste par un premier gage donné par la Russie à la Chine lorsque le Kremlin décide d’attendre la fin des Jeux Olympiques d’Hiver pour débuter l’invasion de l’Ukraine de telle sorte à ne pas froisser le pays hôte.
Sur le second volet, le nouveau partenariat porte essentiellement sur les questions d’hydrocarbures. De nouvelles infrastructures (pipeline, port GNL…) doivent permettre d’assurer l’approvisionnement de gaz de la Russie à la Chine. Parallèlement, des participations chinoises dans les champs gaziers russes sont discutées. Enfin d’autres coopérations scientifiques et technologiques entre les universités des deux pays sont au programme de cette alliance.
François Chimits, spécialiste de l’économie chinoise pour MERICS
Ce nouveau « partenariat approfondi » représente une véritable révolution copernicienne pour les deux États. Aujourd’hui, l’ensemble des dignitaires chinois et russes actuellement en poste ont grandi dans les années 1980. À cette époque la propagande chinoise désignait la Russie comme l’ennemie absolue. Les Américains, à l’inverse, étaient présentés comme un excellent allié dans le combat contre la Russie.
Des deux côtés, les appareils d’États ont donc évolué durant vingt à trente ans dans ce schéma mental. Établir un « nouveau partenariat approfondi » à l’encontre de cette inertie a nécessité des efforts considérables dans les deux camps. Systématiquement la relation bilatérale sino-russe a été portée quasiment exclusivement par les rencontres entre les deux chefs d’État.
Côté chinois, fait inhabituel dans la culture diplomatique du pays, se met en place une « hyperpersonnalisation » de la relation bilatérale entre les deux puissances. Xi Jinping en personne facilite le rapprochement. Côté russe, on insiste non pas sur un accord avec la Russie mais sur une amitié profonde avec Xi Jinping.
est-ce que l’invasion de l’Ukraine par la Russie fragilise l’accord sino-russe ? [NDLR : en mars 2022, des voix se seraient élevées au sein du Parti Communiste chinois pour que le pays abandonne son soutien à Vladimir Poutine selon le quotidien japonais Nikkei Asia.]
François Chimits : Diplomatiquement, les dignitaires chinois ont tous reçu une ligne extrêmement claire de la part du pouvoir central : « l’invasion ne remet en rien en cause notre partenariat approfondi historique avec les Russes« .
En revanche, sur le plan économique, les Russes réalisent progressivement que les deux pays n’ont pas nécessairement la même définition de la notion de « partenariat historique« . Pour la Chine, la Russie n’est pas « un allié » mais « un partenaire » et la différence entre ces deux notions peut s’avérer cruciale face aux enjeux économiques.
En février 2022, selon toutes vraisemblances, les autorités chinoises ont étés surprises par l’ampleur de l’invasion. Elles ont étés surprises de l’échec de la Russie à conduire une invasion rapide, par la durée des combats mais surtout par l’ampleur inédite des sanctions économiques prises à l’initiative des pays du G7. Face à ces sanctions, il semblerait qu’il y ait eu une réaction très « averse aux risques » des entités chinoises privés et publiques.
De manière général il y a eu, immédiatement après l’invasion, une volonté à la fois de Pékin et des acteurs privés chinois de minimiser leurs expositions aux risques économiques et juridiques liés aux sanctions à l’encontre de la Russie. Des grandes entreprises chinoises comme Huawei ou le producteur de drone DJI se sont ainsi retirés du marché russe. Le géant des télécoms a déplacé ses équipes russes au Kazakhstan et en Ouzbékistan.
Parallèlement, les investissements publics chinois se sont également taris. On assiste à une quasi-disparition des investissements directs chinois en Russie (IDE). Il n’existe pas de comptes officiels chinois des IDE, mais des études réalisées par des tiers notamment des universités, révèlent la disparition d’investissements liés par exemple aux infrastructures des routes de la soie. De la même manière, on observe une disparition des investissements bancaires chinois vers la Russie.
Que risque une entreprise chinoise qui exporte vers la Russie ?
Les sanctions ont deux dimensions pour être efficaces, une dimension « en droit » et une dimension « en fait« .
En droit, le cadre réglementaire permet d’établir les sanctions et les peines prévues à l’encontre des entreprises qui fournissent à la Russie des produits soumis à restrictions. Le cadre juridique américain est très clair et établit des sanctions ayant de fort effets dissuasifs.
Mais la vraie question qui se pose dans le cas des sanctions prises à l’encontre de la Russie, réside dans l’application des sanctions « de fait« . Pour appliquer des sanctions, il est nécessaire que les entreprises qui contreviennent aux restrictions établies aient une exposition au marché américain. La nature de cette exposition peut être large. Les entreprises ayant des financements en Dollars, celles dépendantes de technologies ou de savoir-faire américains ou tout simplement celles ayant des parts de marchés dans les pays signataires des sanctions sont donc exposées.
Les retraits chinois, aussi bien publics que privés, répondent donc à une dynamique de marché. L’économie russe apparaît soumise à de fortes difficultés économiques et juridiques pour plusieurs années et les acteurs économiques chinois comptent bien s’en prémunir autant que possible. Aujourd’hui les entreprises chinoises qui ont une exposition aux marchés occidentaux préfèrent maintenir cette exposition et sacrifier leurs ventes effectives ou hypothétiques en Russie.
Cela signifie-t-il qu’aucun produit chinois n’est exporté vers la Russie ?
Non. Tout d’abord il faut rappeler que les sanctions économiques à l’encontre de la Russie ne concernent pas tous les produits. De plus, dépasser le choc initial des sanctions, il est possible que deux à trois mois après l’invasion de l’Ukraine des « petits producteurs chinois » se soient tournés vers le marché russe. Ces « petits producteurs« , loin d’avoir l’envergure des géants chinois comme Huawei, sont également moins exposés aux sanctions internationales.
Leurs capitaux ne sont pas en dollars, ils ne sont pas directement dépendant de productions étrangères en provenance des alliés de l’Ukraine et n’ont pas de grandes parts de marché dans ces pays. En accroissant leurs exportations vers la Russie, ces « petits producteurs chinois » bénéficient donc d’un effet d’aubaine sur un marché déserté par les grandes firmes transnationales et face à un client russe dépendants.
On observe par exemple une explosion des dynamiques d’exportations des semi-conducteurs de la Chine vers la Russie sur la période allant de mars à juillet 2022. Les clients russes se fournissent directement sur des sites internet chinois à des prix beaucoup plus important que sur le reste du marché mondial. Cette hausse des prix peut avoir deux explications : Soit les clients russes sont contraints d’acheter des produits haut de gamme auprès des seules entreprises qui acceptent de leur vendre, soit les vendeurs profitent de l’effet d’aubaine pour vendre plus cher des produits de moindre qualité.
Il est aussi possible que les grandes entreprises chinoises passent par ces « petits producteurs », hermétiques aux sanctions, pour fournir la Russie. Mais à ce jour, aucune information ne permet d’étayer cette théorie. La Chine et la Russie étant deux pays « fermés« , il convient de rester prudent sur ces informations.
quelles peuvent-être les conséquences des retraits d’investissements chinois en Russie ?
Il est possible que certains domaines de l’économie russe connaissent des pénuries. Le principal domaine concerné est l’industrie aéronautique. C’est un point essentiel, dans la mesure où pour un État de la taille de la Russie l’existence d’une offre commerciale de transport aérien est vitale pour l’unité du pays. Il y’a donc de fortes demandes de la part de la Russie pour obtenir des intrants dans cette industrie.
Or, il s’avère que l’industrie aéronautique chinoise reste très dépendante des produits américains, notamment pour les pièces de rechange. Les entreprises du domaine sont donc exposées aux sanctions et peu enclines à vouloir fournir la Russie.
Il y’a déjà eu des échos dans la presse russe de plaintes de patron face aux retraits d’entreprises chinoises en raison des sanctions. Cela reflète encore l’aversion aux risques des entreprises chinoises et démontre une fois encore que la Chine n’est pas « un allié » de la Russie « au sens stricto sensu » mais « un partenaire« .
Pourtant depuis le début de la guerre en Ukraine, les exportations russes de matières premières en direction de la Chine ont bondi. Est-ce que cela signifie que la Chine peut remplacer le marché européen ?
La valeur des exportations d’hydrocarbures russes a effectivement significativement augmenté dans tous les pays hors pays signataires des sanctions, pas seulement la Chine. Cela s’explique en partie par la forte hausse des prix de l’énergie depuis la guerre en Ukraine.
Mais dans l’ensemble, il faut avoir en tête que la Chine n’est pas en capacité, soit pour des raisons d’infrastructure soit pour des raisons de demande agrégée, de se substituer intégralement à l’union européenne comme marché numéro un des hydrocarbures russes. [NDLR : L’Union européenne représente encore 54% des exportations russes de Gaz].
Premièrement parce que si l’intégralité des productions russes envoyées vers l’Union européenne était envoyée vers la Chine, cela dépasserait largement la demande effective chinoise en hydrocarbure. En effet, la demande de l’économie chinoise en matières premières risque d’être beaucoup moins importantes dans les années à venir. Cela s’explique en partie par la volonté des autorités chinoises de tempérer la construction immobilière, secteur extrêmement gourmant en matière première en générale, et en hydrocarbure en particulier.
De plus, il existe toujours des limites résultantes du manque d’infrastructures. Un second « pipeline » pourrait relier les champs gaziers de l’Ouest de la Russie à la Chine. Mais ce type d’infrastructures connait souvent des retards et pourrait n’être opérationnel qu’à l’horizon 2025.
Enfin, on peut observer une règle tacite en Chine qui consiste à assurer une diversification des approvisionnements en hydrocarbures. Cette règle n’est pas officielle, mais on observe que tous les fournisseurs dont la part s’est approché des 25% ont vu progressivement leurs importations baisser.