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« Qatargate » : Ce que l’on Sait des Soupçons de Corruption au Parlement Européen

Plenary session week 43 2017 in Strasbourg - VOTES followed by explanations of votes

Quatre personnes, dont une vice-présidente du Parlement européen, Eva Kaili, ont été écrouées à Bruxelles dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de corruption au profit du Qatar.

Des bureaux du Parlement européen placés sous scellés, plus de 1 million d’euros saisis en liquide, pour partie aux domiciles d’une eurodéputée et d’un ancien eurodéputé… L’incarcération de quatre personnes, à la mi-décembre, dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de corruption au profit du Qatar ébranle les institutions européennes. Voici ce que l’on sait de cette affaire.

Les termes de l’enquête

Vendredi 9 décembre, après des révélations du quotidien belge Le Soir et de l’hebdomadaire Knack, le parquet fédéral belge a confirmé que l’office central pour la répression de la corruption (OCRC) enquêtait, depuis la mi-juillet, sur « des faits présumés d’organisation criminelle, de corruption et de blanchiment ». Sans désigner nommément le Qatar, il soupçonne « un pays du Golfe d’influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen, cela en versant des sommes d’argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique significative au sein du Parlement européen ».

L’enquête est dirigée par le juge d’instruction Michel Claise, spécialiste des questions financières, de la corruption et du blanchiment.

Le ministère des affaires étrangères qatari a nié « catégoriquement toute tentative de l’associer avec des accusations de mauvaise conduite. (…) Toute association du gouvernement qatari avec les allégations rapportées est sans fondement et gravement mal informée ». L’Etat du Golfe assure agir « en total respect des lois et règlements internationaux » dans ses relations bilatérales.

Qui sont les protagonistes ?

  • Eva Kaili
L’eurodéputée grecque Eva Kaili, l’une des quatorze vice-présidents du Parlement européen, assiste à une session de l’institution, à Strasbourg, le 22 novembre 2022.

Inculpée pour « corruption, blanchiment et organisation criminelle » et écrouée

Au cœur de l’enquête, Eva Kaili, députée européenne de nationalité grecque, âgée de 44 ans, était vice-présidente du Parlement européen quand elle a été interpellée. Lors d’une perquisition à son domicile, les enquêteurs ont découvert des sacs de billets de banque, selon le quotidien belge L’Echo. Son père avait été interpellé, vendredi 9 décembre, à sa sortie de l’hôtel Sofitel, dans le quartier européen, en possession d’une valise de billets, ce qui constitue le flagrant délit qui a permis la levée de l’immunité parlementaire de l’élue et son arrestation.

La police n’a pas communiqué le montant des sommes découvertes. Selon des « sources concordantes » citées par L’Echo, il y avait environ 600 000 euros dans la valise de son père et au minimum 150 000 euros dans l’appartement d’Eva Kaili. Selon son avocat, l’élue « ne connaissait pas l’existence de cet argent ». Le juriste, qui s’est entretenu à plusieurs reprises avec Eva Kaili depuis son incarcération, a souligné que « seul son compagnon [l’Italien Francesco Giorgi, avec qui elle vivait] » pouvait fournir « des réponses sur l’existence de cet argent ».

Membre du groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) au Parlement et du Mouvement socialiste panhellénique (Pasok) en Grèce, cette ancienne journaliste a été élue en 2007 au Parlement grec. Elle siège au Parlement européen depuis 2014. Après son inculpation, elle a été exclue du Pasok et démise de ses fonctions européennes. Ses avoirs ont été gelés par l’autorité grecque de lutte contre le blanchiment d’argent. Son père a, quant à lui, été relâché après son interrogatoire, le 10 décembre.

  • Pier Antonio Panzeri
Pier Antonio Panzeri lors d’une session plénière du Parlement européen, à Strasbourg, le 26 mars 2019.

Inculpé pour « corruption, blanchiment et organisation criminelle » et écroué

Les enquêteurs belges présentent cet Italien comme le rouage principal de « l’organisation criminelle présumée » financée par le Qatar, qui aurait infiltré le Parlement européen. Selon Le Soir, 600 000 euros en liquide ont été retrouvés à sa résidence bruxelloise. A 67 ans, cet ancien eurodéputé S&D (2004-2019) est président de l’ONG Fight Impunity qui « lutte contre l’impunité en cas de violations graves des droits de l’homme et de crimes contre l’humanité ». Il est membre du mouvement démocrate et progressiste italien Articolo Uno, créé en 2017 à partir d’une scission du Parti démocrate. Il est également administrateur de l’association des anciens députés européens, dont l’objet est de « promouvoir les relations entre anciens députés et députés actuels au Parlement ».

  • Francesco Giorgi
Francesco Giorgi en compagnie d’Eva Kaili, à Athènes.

Inculpé pour « corruption, blanchiment et organisation criminelle » et écroué

Agé de 33 ans, cet assistant parlementaire est le compagnon d’Eva Kaili. L’eurodéputé pour lequel il travaille, l’Italien Andrea Cozzolino, membre du groupe S&D, préside la délégation pour les relations avec les pays du Maghreb et l’Union du Maghreb arabe, et siège aussi à la sous-commission des droits de l’homme. Francesco Giorgi a été, auparavant, l’assistant de Pier Antonio Panzeri, avec lequel il a fondé Fight Impunity.

  • Niccolo Figa-Talamanca

Inculpé pour « corruption, blanchiment et organisation criminelle » et écroué

Il est le secrétaire général de No Peace Without Justice (NPWJ), installée à la même adresse que Fight Impunity. L’ONG œuvre à la protection et à la promotion des droits humains, de la démocratie, de l’Etat de droit et de la justice internationale. Selon la biographie publiée sur le site de NPWJ, avant de devenir secrétaire général de l’organisation, Niccolo Figa-Talamanca « a conseillé de nombreux gouvernements et institutions sur la mise en place et la méthodologie de fonctionnement des institutions de justice pénale internationale et d’autres processus de responsabilisation ».

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Luca Visentini, 53 ans, mis en examen mais libéré sous conditions, est secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI), qui regroupe 332 organisations et revendique 200 millions de membres dans 163 pays. L’Australienne Sharan Burrow, à laquelle il a succédé, a d’abord été une adversaire acharnée du Qatar, avant de changer radicalement de ton lorsque Doha a signé, en 2017, avec l’Organisation internationale du travail (OIT) un accord de coopération technique. A la fin d’octobre, M. Visentini a rencontré le ministre du travail qatari, Ali Bin Samikh Al Marri.

Les enquêteurs ont également perquisitionné les bureaux des assistants parlementaires et le domicile de l’eurodéputé belge (S&D) Marc Tarabella, coprésident d’un groupe dont le but est de mettre les thématiques liées au sport au centre de l’agenda politique européen et vice-président de la délégation pour les relations avec la péninsule Arabique. Il est, comme Pier Antonio Panzeri, membre du parti italien Articolo Uno.

L’eurodéputée belge (S&D) Marie Arena, 55 ans, a également vu son bureau perquisitionné et placé sous scellés. Selon Le Soir, elle a partagé avec M. Tarabella les services d’un assistant parlementaire et lui a succédé à la présidence de la sous-commission des droits de l’homme au Parlement européen. L’une de ses assistantes a en outre travaillé pour Fight Impunity. Marie Arena dit n’avoir « aucune relation particulière » avec l’ONG.

Les enquêteurs ont mené une perquisition vendredi chez un membre de l’équipe de l’eurodéputée italienne (S&D) Alessandra Moretti, 49 ans, présidente de délégation à la commission parlementaire de stabilisation et d’association UE-Serbie. L’élue nie tout lien avec ce scandale. Elle s’est rendue au Qatar au moins une fois en compagnie de M. Tarabella.

                             Ce qu’ils ont dit sur le Qatar

Les personnes mises en cause sont soupçonnées d’avoir perçu d’importantes sommes d’argent et des cadeaux de la part du Qatar, qui aurait ainsi cherché à influencer des décisions du Parlement européen. La plupart ont tenu des propos élogieux au sujet de l’émirat, alors que beaucoup d’observateurs lui reprochent de multiples atteintes aux droits humains et des conditions de travail indignes sur les chantiers de la Coupe du monde de football.

  • Eva Kaili faisait partie de la délégation chargée de développer les relations de l’Union européenne (UE) avec la péninsule Arabique. Dans ce cadre, elle s’est rendue au Qatar peu avant le Mondial de football. Mme Kaili avait alors salué, en présence du ministre du travail qatari, les réformes de l’émirat dans ce secteur. « Le Qatar est un chef de file en matière de droit du travail », a-t-elle affirmé lors de cette visite. « Aujourd’hui, la Coupe du monde de football au Qatar est une preuve concrète de la façon dont la diplomatie sportive peut aboutir à une transformation historique d’un pays dont les réformes ont inspiré le monde arabe », a-t-elle déclaré à la tribune du Parlement européen, le 22 novembre. Les Européens « n’ont aucun droit moral de lui faire la leçon », avait-elle alors ajouté, à la surprise de nombreux élus. Le 1er décembre, elle a assisté au vote de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures sur le texte concernant la libéralisation des visas entre le Qatar et l’UE. Selon un témoin, elle a voté en faveur du texte alors qu’elle n’était pas membre de la commission et n’avait pas annoncé sa venue, condition sine qua non pour prendre part à un scrutin en commission.
  • Président de la sous-commission des droits de l’homme du Parlement entre janvier 2017 et juillet 2019, Pier Antonio Panzeri s’est félicité, lorsque l’Arabie saoudite imposait un blocus au Qatar, que l’émirat noue des relations plus étroites avec l’UE. En avril 2019, il déclarait à Doha, lors d’une conférence sur l’impunité, dont le Gulf Times a rendu compte, que le Qatar pouvait désormais être considéré comme « une référence en matière de droits humains ».
  • Marc Tarabella fait partie des premières personnalités politiques à avoir déploré l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Il dénonçait notamment les conditions de travail des ouvriers étrangers ainsi que les soupçons de corruption. Le 9 décembre 2014, dans un entretien accordé au Monde, M. Tarabella plaidait pour que l’on retire l’organisation de la Coupe du monde au Qatar, avant de faire volte-face pour s’indigner d’un « Qatarbashing ridicule et hypocrite ». En octobre, interrogé par  L’Avenir Huv-Wremme, il confiait : « En quelques années, le Qatar a fait des progrès énormes en termes de droit du travail et de l’homme, en grande partie induit par la Coupe du monde. »
  • Lucas Visentini a estimé que le Qatar devait « être considéré comme une réussite », bien qu’il reste « encore du travail ». « La Coupe du monde de football a sans aucun doute été l’occasion d’accélérer le changement et ces réformes peuvent constituer un bon exemple à suivre pour tous les autres pays qui accueilleront à l’avenir de grands événements sportifs », a-t-il ajouté.
  • Le ministère du travail qatari a dressé un inventaire des commentaires positifs concernant les réformes entreprises dans l’émirat où figurent plusieurs de ces acteurs.

Quelles conséquences au Parlement européen ?

Sur le sujet lié au Qatar, les eurodéputés devaient approuver, lundi, l’ouverture de pourparlers entre le Parlement européen et les Etats membres de l’UE, en vue de finaliser un texte qui prévoit de dispenser de visa les ressortissants du Qatar et du Koweït se rendant dans le bloc européen pour une durée maximale de quatre-vingt-dix jours, sous réserve d’un accord de réciprocité. Le sujet a été retiré de l’ordre du jour. Le groupe S&D a par ailleurs réclamé « la suspension des travaux sur tous les dossiers et votes concernant les Etats du Golfe ».

La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a promis de lancer « un processus de réforme pour voir qui a accès [aux] locaux [du Parlement], comment ces organisations, ONG et personnes sont financées, quels liens elles ont avec les pays tiers ». « Nous demanderons plus de transparence sur les rencontres avec les acteurs étrangers et ceux qui leur sont liés », a-t-elle ajouté.

L’ONG Transparency International exhorte, pour sa part, les institutions européennes à « prendre des mesures urgentes pour entreprendre une réforme en profondeur de leurs systèmes d’éthique et d’intégrité » : « S’il s’agit peut-être du cas le plus flagrant de corruption présumée que le Parlement européen ait connu depuis de nombreuses années, il ne s’agit pas d’un incident isolé. Pendant plusieurs décennies, le Parlement a laissé se développer une culture de l’impunité, combinant des règles et des contrôles financiers laxistes et une absence totale de contrôle éthique indépendant (voire inexistant) », écrit l’ONG au sujet du « Qatargate».