Près de 60 ans après sa première participation à la CAN en 1965 en Tunisie, le Sénégal a enfin goûté au bonheur d’un titre continental en 2022 au Cameroun. Une consécration qui semble avoir libéré les énergies car depuis, les sélections sénégalaises ne s’arrêtent plus de gagner. En un peu plus d’un an, 5 titres de champion d’Afrique sont tombés dans l’escarcelle du pays de la Téranga. Une domination sans partage qui s’explique par la conjugaison de plusieurs facteurs laissant à penser qu’elle n’est pas près de s’arrêter de sitôt.
Yaoundé en février 2022, Maputo en octobre 2022, Alger en février 2023 et donc Le Caire le 11 mars dernier. En à peine 13 mois, ces 4 villes ont vu le Sénégal triompher respectivement à la CAN seniors, la CAN de Beach soccer, le CHAN et la CAN U20. Les sélections du Sénégal sur la plus haute marche au terme de ces compétitions continentales de la CAF, une issue des plus inattendues lorsqu’on connaît l’histoire dramatique de ce pays dans le domaine du football. Le pays de la Téranga a en effet enchaîné désillusion sur désillusion pendant plus d’un demi-siècle et sa première participation à la CAN en 1965 en Tunisie.
Des académies performantes en fondations
Quelque chose a changé chez le footballeur sénégalais. Cela se voit dans son approche à l’aune de débuter une compétition. Depuis un an et le sacre historique des Lions à la CAN seniors au Cameroun, les sélections sénégalaises ne font plus de complexes à l’approche d’une compétition. Les attitudes et les discours ont radicalement évolué. La confiance est contagieuse et ce football sénégalais n’avait besoin que d’un déclic pour se mettre à gagner. En un an, on assiste à une razzia dans quasiment toutes les compétitions continentales.
Interrogé sur les clés de cette Success Story, Malick Daf, coach de l’équipe du Sénégal U20 la met sur le compte d’une prise de conscience « des petits détails jadis négligés ». « Aujourd’hui avec le travail, les Sénégalais ont compris que dans le football, il y a des paramètres importants, la concentration, l’état d’esprit, le mental, l’intensité, les efforts physiques. Les trophées arrivent maintenant qu’on a compris cela, on souhaite remporter bien d’autres trophées. L’équipe A l’a fait avec Aliou Cissé au Cameroun, l’équipe locale au CHAN avec Pape Thiaw en Algérie et Mamadou Diallo avec l’équipe de Beach soccer. Et donc, nous avec l’équipe U20 », a-t-il noté auprès du journaliste Yoro Mangara pour Afrik-Foot.com.
Cette domination sans partage est d’abord et avant tout le fruit de plus de deux décennies de travail des académies. Aspire, Diambars, Génération Foot, Dakar Sacré-Cœur, OSLO FA, AF Darou Salam, entre autres structures qui ont cultivé des pépites année après année. Une structuration dans l’excellence et dans des installations de plus en plus modernisées qui ont offert de belles générations au Sénégal, même si les résultats n’ont pas été tout de suite probants. En 2012, aux JO de Londres, une génération dorée avait hissé le Sénégal aux portes du dernier carré du tournoi Olympique (éliminé par le Mexique en prolongations).
Il a fallu de la patience et de la sueur pour voir cette génération enfin triompher. Sadio Mané, Idrissa Gana Guèye, Cheikhou Kouyaté, Saliou Ciss, sont les seuls rescapés d’une équipe emmenée par une ossature de produits de Diambars. Le tout, aux côtés d’Aliou Cissé, à l’époque entraîneur adjoint de cette sélection U23. Dix ans plus tard, ces hommes se sont mués en piliers pour conduire le Sénégal à son premier sacre. Parmi les 26 Lions, champions d’Afrique, on retrouve une dizaine formée par Génération Foot (Sadio Mané, Pape Matar Sarr, Ismaïla Sarr, Habib Diallo), Diambars (Gana Guèye, Saliou Ciss, Bamba Dieng, Joseph Lopy) et Dakar Sacré-Cœur (Moustapha Name).
Participation régulière des sélections depuis 2012
Si de 2000 à 2008, le Sénégal s’est qualifié à 5 CAN de suite, le pays de la Téranga a réédité pareille prouesse depuis 2012, mais avec quasiment toutes ses équipes nationales. Les U17, les U20, les U23, la sélection féminine et l’équipe nationale A masculine. Une constance qui permet la progression de ces différentes sélections. « Les résultats des sélections nationales ne devaient pas surprendre les gens. Ils le voyaient venir. Quand on prend l’équipe A aujourd’hui, elle progresse depuis 2017. Elle a une progression tendancieuse. C’est la même chose pour la sélection nationale U20 qui a joué 3 fois de suite une finale de CAN », nous rappelle le Directeur technique national Mayacine Mar.
Les Lions ont franchi progressivement les étapes depuis 2015. Après une élimination au 1er tour sous Alain Giresse, Aliou Cissé ramène le Sénégal en quarts finale en 2017 avant de le hisser jusqu’en finale deux ans plus tard face à l’Algérie (défaite 0-1). La 4ème tentative sera la bonne avec ce sacre le 6 février 2022. L’équipe nationale U20 a appris des expériences douloureuses de trois finales de suite perdues. Pour elle aussi, la 4e fût la bonne. Rien de surprenant tant le Sénégal est devenu une référence dans cette catégorie ces dernières années avec trois participations à la Coupe du monde.
La sélection locale est restée 12 ans sur le carreau après sa dernière participation au CHAN en 2011. Son retour fracassant en 2023 avec le titre est une belle surprise. Pour l’équipe de Beach soccer, elle reste sur 10 participations de rang depuis sa première en 2007, avec a minima un podium au bout. Avec 9 finales en 10 participations et 7 titres, le Sénégal est l’ogre de cette discipline sur le continent. C’est désormais le monde que les Lions de la plage tentent de conquérir. En fin d’année 2023, le Sénégal prendra part à Dubaï à sa 9ème phase finale de Coupe du monde. Demi-finaliste en Russie en 2021, il tentera d’accrocher sa première finale mondiale.
Toubab Dialao et Guéréo en pépinière
Pour cultiver ses graines de champion, le Sénégal avait besoin de disposer d’un cadre afin d’organiser des stages pour ses sélections de jeunes et féminines. Ouvert en 2014, le centre de développement technique Jules François Bocandé de Toubab Dialao a accueilli les différentes équipes nationales depuis 9 ans excepté l’équipe A masculine. « On était sur la bonne pente. Les centres de Guéréo et Toubab Dialaw ont aussi contribué à ces performances. Ces centres nous permettent de travailler dans la durée », a estimé Mayacine Mar.
Depuis 2019, le centre d’excellence Youssoupha Ndiaye de Guéréo vient en appoint au centre fédéral de Toubab Dialao. Ces cadres de vie et de haute performance offrent des opportunités inestimables de travail aux équipes nationales féminines et de jeunes catégories. Une aubaine pour les techniciens. « Toubab Dialao et de Guéréo nous offrent la possibilité d’avoir des regroupements périodiques, de disputer des matchs de préparation. Mais il ne faut pas qu’on dorme sur nos lauriers. Il faut continuer à travailler parce qu’il nous reste du chemin à parcourir », a reconnu Malick Daf, récent vainqueur de la CAN U20.
Dans le cadre de la préparation de son équipe en direction de cette CAN de moins de 20 ans, Daf a pu organiser plus d’une vingtaine de stages ces dernières années. Des regroupements réguliers qui expliquent en grande partie le succès des Lionceaux en Égypte. Une équipe dominante avec des automatismes qui sautent aux yeux. Meilleure attaque (14 buts) et meilleure défense du tournoi, le tout, saupoudré d’un fond de jeu cohérent et efficace. Ces deux infrastructures permettent de répéter les gammes pour les différents sélectionneurs sénégalais. Pour anticiper l’avenir, le Sénégal prépare une sélection U15 avec l’académie fédérale. 40 jeunes joueurs cultivés dans le modèle de Clairefontaine en France.
Maîtrise de la logistique, stabilité et choix judicieux d’hommes
Depuis quelques années, les dirigeants du football sénégalais sont devenus maîtres dans la préparation des compétitions et des matchs internationaux. Les fédéraux ont développé une expertise avérée dans la logistique en organisant des missions avancées, des voyages de prospection des semaines et mois à l’avance. Prendre les devants, booker les hôtels et sites d’entraînement pour les différentes sélections sont devenus des exercices maîtrisés par la FSF. « La Fédération prend en charge presque toute la préparation et la participation des sélections jeunes. A cela, il faut ajouter le paiement des primes. Elle a mis la main à la poche pour faciliter ces résultats », insiste le DTN, Mayacine Mar.
Ces différents succès du Sénégal sont aussi la conséquence d’une option pour la continuité à la Fédération sénégalaise de football (FSF). Après les remous au sein de l’instance entre 2004 et 2009, la FSF a réussi à se stabiliser pour construire. « Je pense que c’est le fruit d’un travail acharné. On a commencé depuis 2009 avec l’équipe fédérale qui a pu poser des jalons. Il faut oser le dire : s’il y avait une instabilité dans la gestion du football, on n’aurait pas ces résultats. Donc, on peut dire que c’est la patience qui nous a permis d’en arriver là », nous explique Djibril Wade, Président de la Ligue sénégalaise de football professionnel (LSFP) et 1er vice-président de la FSF.
Même son de cloche chez Mayacine Mar, qui parle de cette stabilité au-delà de la FSF. « On a vécu beaucoup d’années où on a été très instable au niveau de la Fédération, des entraîneurs et des joueurs, rappelle-t-il. Aujourd’hui, on a gagné en stabilité et c’est ce qui nous a permis d’apprendre de nos erreurs, de pouvoir planifier et d’avoir une feuille de route pour arriver à ces résultats. C’est extrêmement important », a-t-il ajouté. Alors qu’on était habitué à débarquer les entraîneurs après chaque échec de résultats, la DTN a changé de paradigme pour construire sur la durée. De feu Joseph Koto, à Aliou Cissé, en passant par Mame Moussa, Malick Daff, Demba Mbaye, Serigne Saliou Dia et récemment Pape Thiaw… Autant de techniciens qui s’inscrivent sur le long terme.
Et maintenant, booster le foot local
Malgré 4 trophées sur les 13 derniers mois, le Sénégal ne semble pas rassasié. Le travail de fond entrepris par la FSF devrait permettre d’installer les différentes sélections au plus haut niveau. « C’est la rançon de la patience. On a été très patient et cela a porté ses fruits. Le processus a été long mais aujourd’hui tous les efforts sont récompensés. Le Sénégal a de quoi surfer pendant des années sur le toit de l’Afrique. On a tout le potentiel (joueurs, entraîneurs, administratifs) pour rester sur cette dynamique victorieuse dans les années à venir », assure Mayacine Mar.
Maintenant que les sélections sont désormais installées sur la voie du succès, place aux clubs locaux. Même sans les moyens colossaux d’autres championnats, même dépourvue des droits télé de la Tanzanian Super League, encore moins des internationaux de l’Egyptian Premier League, la Ligue 1 sénégalaise n’a pas grand chose à envier à ces différentes ligues en termes de talents. Le championnat sénégalais est un de ceux qui exporte le plus en Europe. La maîtrise du calendrier malgré l’absence de moyens est un acquis pour la LSFP. Attaquer le CHAN en janvier avec des joueurs ayant 11 journées dans les jambes a été l’élément le plus déterminant du sacre des Lions de Pape Thiaw en Algérie.
Pour se hisser dans le gratin des compétitions de clubs de la CAF, la L1 sénégalaise a besoin d’un véritable lifting. Des moyens financiers et plus d’attractivité pour attirer le public et les télé. « C’est la bonne politique fédérale qui a dopé tous les acteurs. Toutefois, il faut aider les clubs et je pense que l’État doit mettre la main à la pâte (…) Aujourd’hui, on doit avoir de grands clubs qui ont des infrastructures comme Diambars, Génération Foot, Dakar Sacré-Cœur. On ne doit pas dormir sur nos lauriers comme nos aînés. Si on aide les clubs locaux, ils pourront produire les mêmes résultats que nos sélections nationales », a invité Djibril Wade.
Le sélectionneur des moins de 20 ans abonde dans le même sillage. « Le président de la république a promis d’aider le football local. C’est une bonne nouvelle car les clubs sénégalais peuvent se hisser parmi les meilleurs en Afrique, avoue-t-il. Il y a deux ans, Jaraaf avait été en quart finale de la Coupe de la CAF, Teungueth FC jusqu’en phases de poule de la Ligue des champions de la CAF. Je pense qu’avec des moyens, ça peut le faire. Le championnat du Sénégal est attrayant et d’un bon niveau. Il faut que les sponsors aident les clubs. Maintenant qu’on gagne en sélection, il faut passer le cap en club. Pour cela il faut garder nos meilleurs joueurs», a ajouté Malick Daf. C’est aussi l’ambition de la Confédération africaine de football (CAF), avec le lancement de la Super League, compétition à laquelle des clubs sénégalais espèrent certainement s’inviter à l’avenir…
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