L’Afrique s’organise pour revendiquer sa place au Conseil de sécurité, la plus haute instance de la gouvernance mondiale. Quels sont ses arguments, ses moyens et ses chances d’obtenir gain de cause ?
Plus que jamais, la question de la représentation de l’Afrique dans les instances mondiales se pose aujourd’hui. Le contexte est celui d’un ordre international fragmenté, avec l’émergence d’un « Sud global » non aligné, qui s’est montré peu disposé à soutenir l’Occident dans les votes des Nations unies contre la guerre menée par la Russie en Ukraine.
L’Afrique, qui compte avec 54 États 28 % des 193 pays membres des Nations unies, revendique depuis maintenant 25 ans – une première déclaration ayant été faite à Harare en 1997 – deux sièges permanents au Conseil de sécurité, et cinq de membres non permanents. En juillet 2005, les dirigeants africains ont soumis à l’Assemblée générale une proposition commune africaine pour la réforme des Nations unies intitulée « le Consensus d’Ezulwini ».
Comme l’Inde, qui fait partie, avec le Brésil, le Japon et l’Allemagne, des pays officiellement candidats à un siège permanent au Conseil de sécurité, l’Afrique plaide pour un rééquilibrage démographique, dans la mesure où sa population, 1,4 milliard d’habitants, équivaut à 18 % du total mondial.
Le Conseil de sécurité comprend cinq sièges permanents depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, occupés par les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et la Grande-Bretagne. En outre, il compte depuis une réforme adoptée en 1963 par résolution, après les Indépendances, non plus 6, mais 10 membres non permanents élus pour un mandat de deux ans. Parmi ces non permanents figurent régulièrement trois pays africains : Gabon et Ghana sur 2022-23 et Mozambique sur 2023-24 – leur présence par rotation donnant lieu à des joutes diplomatiques en Afrique comme aux Nations unies.
Les plus grandes missions de maintien de la paix
« La moitié des questions à l’ordre du jour du Conseil de sécurité et 70 % de celles inscrites au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies concernent l’Afrique », plaidait fin 2020 Mohammadou Issoufou, alors président du Niger, dans une réunion du Conseil de sécurité. Pire encore, s’est-il désolé, « les voix des États africains et de l’UA ne sont pas toujours écoutées et prises en compte, comme en témoigne le cas de la Libye, où l’intervention militaire lancée en 2011 avait suscité une levée de boucliers ». Les conséquences pour les pays voisins, dont le sien, sont désormais connues. Signal important : l’actuel secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a déclaré en février 2020 à Addis-Abeba : « En Libye, alors que l’Union africaine tentait de convaincre Kadhafi de quitter le pouvoir, le Conseil de sécurité a choisi l’option des bombardements (…). Je comprends parfaitement pourquoi, depuis 2011, les pays africains se sentent maintenus à l’écart ».
Le continent ne représente pas seulement le théâtre d’opération des plus importantes missions de maintien de la paix déployées dans le monde, avec des effectifs déployés de 17 954 personnes au Soudan du Sud, 17 885 en Centrafrique, 17 753 en République démocratique du Congo (RDC), 15 778 au Mali, et 2 602 dans la région d’Abiyé au Soudan. « La contribution de l’Afrique aux Casques bleus est absolument importante », notait fin mars lors d’une conférence en ligne Alain Le Roy, ambassadeur de France et ancien secrétaire général adjoint de l’ONU en charge des opérations de maintien de la paix sur la période 2008-11 : « On ne trouve pas moins de 18 pays africains dans les 30 premiers contributeurs aux effectifs de Casques bleus, souligne-t-il. Le Rwanda se classe 4e après l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh qui ont des armées très nombreuses, l’Égypte arrive 7e, le Sénégal 11e, le Maroc 12e, la Tanzanie 14e, etc ».
Un point de blocage : le droit de veto
L’Union africaine (UA) est montée au créneau en 2005, en demandant deux sièges permanents avec droit de veto, lors de l’ouverture vers une réforme faite par l’Allemagne, le Japon, l’Inde et le Brésil. Kofi Annan, alors secrétaire général, y était favorable. L’objectif : faire passer le Conseil de sécurité de 15 à 25 membres avec six nouveaux membres permanents dont 2 pays pour l’Asie, 2 pour l’Afrique, 1 pour l’Amérique latine et les Caraïbes et 1 pour l’Europe occidentale, en plus de 4 nouveaux sièges de non permanents. Le bât blesse essentiellement sur la demande formulée par les Africains et les autres pays candidats de garantir le droit de veto pour tous les nouveaux membres permanents. « La demande est légitime, mais elle est refusée dès le départ par les États-Unis, la Chine et la Russie, explique Alain Le Roy. D’où le blocage de la situation actuelle ».
Mohammed Loulichki, ancien représentant permanent du Maroc auprès des Nations unies, rappelle que le continent ne peut pas être représenté par l’UA, mais seulement par des États souverains, pour des raisons juridiques. Celles-ci tiennent au fait que la qualité de membre est conférée par la Charte exclusivement aux États souverains alors que les organisations internationales ne peuvent prétendre qu’au statut d’observateur. Le diplomate estime qu’un verrouillage institutionnel pèse sur la réforme en raison de la Charte des Nations unies, qu’il faudrait modifier. « Pour ce faire, il faudra l’aval de ceux qui ont déjà le privilège du droit de veto… Ils seront les derniers à le partager. Faudra-t-il une autre guerre mondiale pour réformer l’ONU ? J’espère que non. L’Ukraine a certainement créé un momentum pour la relance de la négociation sur l’élargissement du Conseil de sécurité ».
Dix pays mandatés par l’Union africaine
En attendant, la stratégie de l’Afrique paraît encore confuse : l’UA s’active pour obtenir deux sièges, qui ne pourront pas être occupés en son nom. Elle a monté un groupe dénommé « C10 », qui rassemble dix pays mandatés pour négocier la réforme du Conseil de sécurité, alors que l’Égypte et l’Afrique du Sud se sont déjà positionnées pour obtenir un siège permanent.
Ce groupe, un savant dosage des équilibres sous-régionaux, est-il en soi un aveu de faiblesse ? Il évite d’impliquer les principales puissances africaines et n’inclut pas non plus les nations les plus redoutées pour leur armée, et qui n’hésitent pas à déployer des contingents sur des théâtres de conflit – comme l’Angola l’a décidé le 17 mars dernier en RDC ou le Rwanda depuis 2021 au Mozambique. On trouve curieusement dans le « C10 » l’Algérie et la Libye, un pays en crise, qui représentent l’Afrique du Nord, le Sénégal et la Sierra Leone pour l’Afrique de l’Ouest, et de façon plus logique en raison de leurs poids économiques et militaires respectifs, le Kenya et l’Ouganda pour l’Afrique de l’Est. La Guinée équatoriale et le Congo sont de leur côté à la manœuvre pour l’Afrique centrale, aux côtés de la Zambie et la Namibie pour l’Afrique australe. « Cette configuration n’a pas changé depuis la création de ce groupe, alors qu’une rotation aurait pu introduire une dynamique bénéfique », note Mohammed Loulichki.
Le C10, qui en était à sa dixième réunion le 12 janvier 2023 à Brazzaville, semble patiner. L’Afrique ne compte guère de soutiens de poids, en dehors de l’Allemagne et du Japon, depuis 2022. De leur côté, certains des membres permanents du Conseil de sécurité se montrent toujours réticents à une réforme, et rappellent que l’Afrique contribue faiblement au budget des Nations unies (à hauteur de 0,01 % en 2021, contre 22 % pour les États-Unis). Au final, l’argent reste roi : l’Afrique, si elle veut peser dans les affaires du monde, doit aussi gagner en force économique. Pour l’instant, et en dépit de son plaidoyer, elle ne représente que 4 % du PIB mondial.