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Application des conclusions du dialogue national : le Chef de l’Etat, Macky Sall, au défi du Conseil Constitutionnel

Après deux jours de conclave, le dialogue national initié par le chef de l’État Macky Sall pour échanger sur le processus électoral de l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février dernier et la nouvelle date issue des conclusions est loin de créer l’unanimité. Le contenu de certaines propositions de ces conclusions qui remettent en question les décisions déjà rendues par le Conseil constitutionnel concernant cette élection peinent à passer.

Les conclusions du dialogue national initié par le chef de l’État Macky Sall pour échanger sur le processus électoral de l’élection présidentielle initialement prévue le 25 février dernier et la nouvelle date de cette élection peuvent-elles prévaloir sur les décisions rendues par le Conseil constitutionnel dans le cadre cette élection ? La question mérite bien d’être posée au regard du tapage médiatique autour des principales propositions formulées par la commission en charge des questions politiques et dirigée par l’actuel ministre de l’Intérieur, Me Sidiki Kaba. En effet, cette commission semble tout simplement vouloir remettre en question le pouvoir régalien des «7 Sages» dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours. Et ce, en préconisant entre autres la poursuite du processus électoral en cours avec les 19 candidats retenus par le Conseil constitutionnel, la réouverture des candidatures des candidats dits spoliés avec la possibilité de leur réintégration dans la course, la date du 2 juin prochain pour la tenue de la présidentielle et  le maintien au pouvoir de l’actuel chef de l’Etat.

Candidature de Karim Wade et celles des spoliés frappées par l’autorité de la chose jugée

Une des principales propositions de la commission en charge des questions politiques et dirigée par le ministre de l’Intérieur, Me Sidiki Kaba, la révision des dossiers de candidatures du fils de l’ancien chef de l’Etat, Abdoulaye Wade et celles des candidats dits spoliés est quasiment impossible.

Et pour cause, le Conseil constitutionnel qui est le seul juge compétent à «recevoir les candidatures» et à «établir la liste des candidats après avoir vérifié la recevabilité des candidatures» a déjà rendu sa décision concernant ces cas. Et au regard  de l’article 92 alinéa 3 qui précise que les «décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles», les dossiers de candidature de Karim Wade et ceux des candidats dits spoliés sont donc frappés par l’autorité de la chose jugée. Autrement dit, elles ne peuvent plus être réintégrées dans le cadre de cette élection présidentielle.

La preuve, interpellé sur cette question de la réintégration de ces candidats déjà éliminés de le Conseil constitutionnel par nos confrères du quotidien l’Observateur dans leur publication d’hier, le Pr Amath Ndiaye, maître de conférences titulaire en droit public à l’UCAD, n’est pas allé par quatre chemins : «Je vois mal, par rapport à quelle démarche et par rapport à quelle procédure, ils vont pouvoir retenir des critères pour décider parmi les «spoliés» qui va rejoindre le groupe des partants. Finalement, on va créer une quatrième catégorie, c’est-à-dire des recalés doublement spoliés. Cela va encore nous installer dans une situation inexplicable». Poursuivant son éclairage, l’enseignant chercheur en droit à l’université de Dakar a indiqué au sujet de la procédure de réintégration des candidats que l’article 34 de la Constitution n’évoque que le cas de décès, d’empêchement définitif ou de retrait d’un candidat entre l’arrêt de publication de la liste des candidats et le premier tour.  «Juridiquement, il n’y a aucune possibilité pour le Conseil de revenir sur sa liste parce qu’on n’est pas dans les hypothèses qui sont énumérées par la Constitution, même si c’est un dialogue», a-t-il ajouté.

Pourquoi le Conseil constitutionnel a invalidé la candidature de Karim Wade

Contrairement aux membres du collectif dits des candidats spoliés, Karim Wade qui avait été écarté de la course lors de la présidentielle de 2019 du fait de sa condamnation à 5 ans de prison ferme pour enrichissement illicite assorti d’une amande de 138 milliards de francs CFA était bien parti pour être au rendez-vous de cette élection. Pour rappel, son dossier de candidature qui a été déposé, dans la nuit du vendredi 22 décembre 2023 dernier a été même validé dans un premier temps par le Conseil constitutionnel. Seulement, dans la journée  du 16 janvier dernier suite à un débat dans les réseaux sociaux sur l’effectivité de la renonciation à sa nationalité française du fait que son nom figurait toujours dans les listes électorales de la commune Versailles 78, lui-même est monté au créneau pour publier un décret portant sur sa renonciation à sa nationalité française signé ce même jour du 16 janvier 2024 par le nouveau Premier ministre français, Gabriel Attal nommé par le président Emmanuel Macron le 9 janvier 2024.

Face à cette situation, le candidat Thierno Alassane Sall a donc décidé de saisir d’un recours le Conseil constitutionnel pour faire constater à Wade fils de la violation des dispositions de l’article 28 de la constitution qui dit : «Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise… ». Or, Karim Wade était encore français à la date du vendredi 22 décembre 2023 au moment où il déposait sa candidature. Dans sa liste définitive des candidats pour la présidentielle du 25 février publiée le 20 janvier, le Conseil constitutionnel a retiré le nom de Karim Wade en estimant que la déclaration sur l’honneur attestant qu’il n’avait plus sa double nationalité et qu’il a fournie dans son dossier déposé en décembre est «inexacte».

Ce que le Conseil constitutionnel a déjà dit sur la durée du mandat du président de la République

Tout comme pour les candidatures de Karim Wade et celles des autres candidats dits «spoliés», le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur la question de la durée du mandat du président de la République dans sa décision du 15 février dernier. En effet, le 8 février les députés Mouhamed Ayib Salim DAFFÉ et Samba DANG, agissant en leur nom et au nom de 38 autres députés et leurs collègue député́ Babacar MBAYE, agissant en son nom et au nom de 16 autres députés, avaient saisi d’un recours le Conseil constitutionnel d’un recours. Dans cette requête, ces parlementaires demandaient au Conseil constitutionnel de  «déclarer contraire à la Constitution la loi n° 4/2024 adoptée par l’Assemblée nationale en sa séance du 5 février 2024 portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution» d’ordonner la poursuite du processus électoral et  «d’ajuster, si besoin, la date de l’élection présidentielle pour tenir compte des jours de campagne perdus».

Dans le même temps, des candidats retenus par le Conseil constitutionnel dont El Hadji Mamadou Diao, Thierno Alassane Sall et Daouda Ndiaye et Bassirou Diomaye Faye l’avaient également saisi pour la légalité́ du décret no 2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l’élection présidentielle du 25 février 2024. Dans son considérant 14, le Conseil constitutionnel a clairement rappelé qu’il «a déjà̀ décidé́, d’une part, que la durée du mandat du président de la République ne peut être réduite ou allongée au gré́ des circonstances politiques, quel que soit l’objectif poursuivi ; que le mandat du président la République ne peut être prorogé en vertu des dispositions de l’article 103 précité́ ; que la date de l’élection ne peut être reportée au-delà̀ de la durée du mandat ; que d’autre part, la loi attaquée introduit dans la constitution des dispositions dont le caractère temporaire et personnel est incompatible avec le caractère permanent et général d’une disposition constitutionnelle».

Ce que le président de la République disait aux candidats «spoliés» par rapport aux décisions du Conseil constitutionnel

Le 25 janvier dernier, en marge d’une audience qu’il avait accordée à une délégation de ces candidats dits «spoliés», le chef de l’État avait profité de cette tribune pour rappeler «l’impossibilité pour lui de faire réexaminer par le Conseil constitutionnel les dossiers de candidature à l’élection présidentielle déjà rejetés par cette institution, dont les décisions» insiste-t-il «ne sont susceptibles d’aucune voie de recours». «En réponse à la requête qui lui a été adressée, le 15 janvier 2024, le Président de la République, a reçu, ce mercredi 24 janvier 2024, une délégation représentant le Collectif dit de la quarantaine de candidats aux dossiers de parrainage invalidés. Le Chef de l’Etat a salué la démarche républicaine des requérants et recueilli les préoccupations des représentants du Collectif, tout en rappelant notamment que le Conseil Constitutionnel, par sa décision n° 2/E/2024 du 20 janvier 2024, a déjà proclamé la liste définitive des candidats admis à se présenter à l’élection présidentielle du 25 février 2024. Le Président de la République, garant du fonctionnement normal des institutions, a également précisé aux participants que, c’est la Constitution, en son article 92, qui dispose que «les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles», a rappelé le chef de l’État, selon un communiqué signé par le ministre, porte-parole et coordonnateur de la communication de la présidence de la République, Yoro Dia.

Ces actes du président Macky Sall qui sèment les germes du chaos au Sénégal après la fin de son mandat le 2 avril prochain

Dire que la situation que traverse actuellement le Sénégal fait craindre le pire est un secret de polichinelle,. En effet, la persistance du chef de l’État à ne pas se conformer aux décisions du Conseil constitutionnel et à passer outre les limites de ses prérogatives constitutionnelles font planer le chaos dans le pays. Alors qu’il avait hérité d’un pays quoique tendu par la crise de la troisième candidature de son prédécesseur mais gouvernable, Macky Sall semble aujourd’hui tout faire pour plonger le Sénégal dans une crise institutionnelle à travers des actes qu’il pose ces derniers jours.

En témoigne, quand les députés l’avaient saisi d’une proposition de loi modifiant l’article 31 de la Constitution, le président Macky Sall tout en sachant qu’en touchant que la modification de cet article allait également avoir des incidents sur les articles 27 et 103 de la Constitution qu’il avait lui-même fait inscrit dans les clauses d’éternité, autrement dit, qu’on ne peut plus modifier, n’a rien dit sinon à prendre acte. Auparavant, c’est lui-même qui est monté au créneau pour annoncer à dix heures du démarrage de la campagne électorale, avoir pris un décret abrogeant celui convoquant le corps électoral alors qu’il n’a pas le droit de poser cet acte au risque de violer les dispositions de ces articles 27 et 103 de la Constitution et plongé le Sénégal dans une crise institutionnelle.

Le Professeur agrégé en droit, Kader Boye avait alerté sur le choas que Macky Sall veut semer

Interpellé par Sud quotidien le 23 février sur l’hypothèse du maintien au pouvoir de Macky Sall au-delà du 2 avril prochain évoquée par certains de ses camarades qui convoquent l’article 36 de la constitution, le Professeur agrégé en droit, Kader Boye par ailleurs, ancien Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) avait alerté sur ce risque du chaos qui guette le Sénégal. En effet, précisant d’emblée que «l’article 36 vise un cas très simple qui est la normalité. C’est au cas où il y a eu élection présidentielle et qu’il y a eu un candidat qui a été élu prête serment. Après avoir pris le serment, il y a un jour de plus et puis le président sortant lui transmet les pouvoirs et s’en va».

L’ancien doyen de la fac  droit de l’Ucad avait prévenu que le refus du président de la République de respecter la décision du Conseil allait non seulement créé les conditions «d’un conflit ouvert» mais aussi «installer le chaos» au Sénégal. «C’est ça le chaos qu’il veut faire. Ou il (le président de la République, Ndlr) démissionne, ou bien il va dire, on reste là et on va dissoudre le Conseil constitutionnel. Et le conseil va lui rétorquer que vous n’êtes plus président ! Le cas échéant, il y aura un conflit ouvert. S’il ne tient pas l’élection présidentielle avant le 2 avril, il va installer le chaos».

Caroline Roussy, Directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) qualifie Macky Sall d’un «roi qui sait qu’il va mourir et veut précipiter son pays dans sa chute» 

Toutefois, l’ancien Recteur de l’Université Cheikh Anta Diop et Président de la plateforme «Le Sursaut citoyen», Groupe de réflexion et d’action, n’est pas le seul observateur de la scène politique sénégalaise, a déploré ce double jeu dangereux auquel s’adonne l’actuel chef de l’Etat en cette fin de son mandat. Invitée de l’émission « Le Débat » sur la chaine de télévision d’information continue française : France 24, Caroline Roussy, Directrice de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et responsable du programme Afrique n’avait pas hésité de qualifier le dialogue initié par le chef de l’Etat le 26 et 27 février «d’une mascarade». «Ce qui se passe au Sénégal est une mascarade. De toute façon, les 19 candidats sont la liste officielle du Conseil Constitutionnel et la plupart ont choisi de ne pas participer. Donc, un dialogue national pour faire quoi ?. Si les implications n’étaient pas assez dramatiques pour les Sénégalais, je vous dirais qu’on est en plein dans une pièce de théâtre où le Roi va mourir, il sait qu’il va mourir et il précipite son pays dans sa chute».

source;sudQuotidien