L’ONU publie un rapport ce 31 août sur les violations présumées des droits humains dans la région chinoise du Xinjiang. Pékin dénonce ce rapport et fustige un “outil politique” à son encontre. Pourquoi le Xinjiang est au cœur des préoccupations de l’ONU ? Que contient ce rapport ? Décryptage.
Contre l’avis de Pékin, les Nations Unies publient un rapport très attendu sur les supposées violations des droits humains au Xinjiang. Cette région du nord-ouest de la Chine est en partie peuplée par des membres d’une minorité musulmane, les Ouïghours. Des études occidentales, fondées sur des interprétations de documents officiels, des témoignages de victimes présumées et des extrapolations statistiques accusent Pékin d’avoir interné dans des “camps” au moins un million de personnes, majoritairement ouïghoures.
“L’ampleur de la détention arbitraire et discriminatoire de membres des Ouïghours et d’autres groupes à prédominance musulmane (…) peut constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité”, conclut le rapport de l’ONU, constitué d’un mélange d’entretiens et d’informations directes ou de seconde main. De son côté, Pékin se défend et dénonce un rapport “créé de toutes pièces.”
S’il ne semble pas comporter de révélations par rapport à ce qui était déjà connu de la situation dans le Xinjiang, ce document apporte le sceau de l’ONU aux accusations portées de longue date aux autorités chinoises. Que dénonce ce rapport ? Pourquoi la Chine voulait-elle éviter sa publication ?
Pourquoi le Xinjiang est-il source de tensions ?
Pendant plusieurs décennies, le Xinjiang et d’autres régions chinoises ont été frappées par des attentats, en particulier de 2009 à 2014. Ceux-ci ont été attribués à des islamistes ou des séparatistes ouïghours. En 2013, une attaque-suicide avec un véhicule piégé, imputée à des Ouïghours, avait visé la place Tiananmen à Pékin. Depuis, le Xinjiang fait l’objet d’une intense surveillance. Au nom de la lutte antiterroriste et pour combattre l’extrémisme religieux, les autorités découragent voire interdisent certaines pratiques liées à l’islam.
Les dates importantes de la répression des Ouïghours
- Juillet 2009 : émeutes entre Ouïghours et Hans dans la province du Xinjiang faisant suite à un conflit au sein d’une usine dans la province du Guangong, où travaillent des ouvriers des deux ethnies.
- 2013 : Xi Jinping devient président de la République populaire de Chine.
- 2016 : Chen Quango devient secrétaire du Parti communiste au Xinjiang, la répression des Ouïghours s’intensifie à partir de là avec le développement des camps dits de “rééducation”.
- 12 juin 2020 : la Belgique demande l’ouverture de l’enquête des Nations Unies sur le trafic d’organes dans le Xinjiang
- 20 janvier 2022 : l’Assemblée nationale française reconnaît le génocide et les crimes contre l’humanité que subissent les Ouïghours.
Pékin est accusé d’interner les Chinois appartenant à l’ethnie ouïghoure dans des “camps.” Des études occidentales évoquent également du “travail forcé” au Xinjiang et un “génocide” en raison des stérilisations et d’avortements présentés comme “forcés.” La Chine dément ses accusations et dénonce ce qu’elle appelle le “mensonge du siècle.” Pour elle, ces “camps” sont des “centres de formation professionnelle” destinés à combattre l’extrémisme religieux et à former les habitants à un métier, afin d’assurer la stabilité sociale. Les autorités concèdent appliquer au Xinjiang, comme partout ailleurs dans le pays, sa politique de limitation des naissances, pendant longtemps mise en œuvre avec laxisme dans la région.
Que montre le rapport de l’ONU ?
Dans son rapport, l’ONU décrit un “schéma de détention arbitraire à grande échelle” au Xinjiang “au moins de 2017 à 2019” dans des établissements sécurisés. Il cite des documents, présentés comme émanant des autorités chinoises et listant une série de raisons pour justifier un internement pour “extrémisme” : avoir trop d’enfants, porter un voile ou encore avoir été condamné par le passé. Avec la fermeture présumée de ces centres de formation, l’ONU estime par ailleurs “qu’il y a eu une évolution vers des incarcérations formelles” afin de maintenir en détention un certain nombre de personnes.
Ces témoignages de première main, bien que limités en nombre, sont considérés comme crédibles.Rapport de l’ONU
Par ailleurs, sans les confirmer, le rapport juge “crédible” les accusations de torture et de violence sexuelles dans les établissements d’internement du Xinjiang. Des personnes interviewées par l’ONU disent avoir été battues et immobilisées. Certaines affirment avoir été violées ou avoir subi des “examens gynécologiques invasifs.” “Il n’est pas possible de tirer des conclusions plus larges quant à savoir s’il y a eu des schémas plus larges de violences sexuelles et sexistes” dans les centres de formation professionnelle, note le rapport. Les Nations Unies ont également interrogé des femmes ayant déclaré “avoir été contraintes d’avorter ou de se faire poser un stérilet après avoir atteint le nombre d’enfants autorisé” par la politique nationale de limitation des naissances. “Ces témoignages de première main, bien que limités en nombre, sont considérés comme crédibles” estime l’ONU, qui prend note du repli du taux de natalité au Xinjiang depuis 2017.
Selon le rapport, certains éléments des programmes d’emploi au Xinjiang “semblent” présenter des “éléments de coercition” et nécessitent des “clarifications” de la part de Pékin. Il cite des documents officiels chinois mentionnant le transfert de personnes des “centres de formation professionnelle” vers des usines. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme (HCDH) s’interroge ainsi si de tels programmes “peuvent être considérés comme s’effectuant entièrement sur la base du volontariat.” Enfin, le rapport de l’ONU estime que la Chine a une interprétation “extrêmement large” du terme “d’extrémisme”, ce qui a pour conséquence de criminaliser les activités “liées à la jouissance d’une vie culturelle et religieuse.”
Que répond Pékin face à ses accusations ?
Pour le gouvernement chinois, “ce rapport est un ramassis de désinformation et un outil politique au service de la stratégie des États-Unis et de l’Occident, qui vise à utiliser le Xinjiang pour entraver (le développement) de la Chine.” Wang Wenbin, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a tenu ses propos lors d’un point presse.
Cela prouve une fois de plus que le HCDH est devenu le sbire et le complice des États-Unis et de l’Occident pour punir un grand nombre de pays en développement.Wang Wenbin, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères
Il affirme que “le HCDH a créé de toutes pièces ce rapport” en “s’appuyant sur la conspiration politique de certaines forces anti-chinoises à l’étranger.” Pour Wang Wenbin, “cela prouve une fois de plus que le HCDH est devenu le sbire et le complice des États-Unis et de l’Occident pour punir un grand nombre de pays en développement.”
Par ailleurs, Pékin avait tenté d’empêcher la publication du rapport des Nations Unies. Le 25 août, Michelle Bachelet, qui vient d’achever son mandat de Haute-Commissaire de l’ONU aux droits humains, déclarait subir “d’énormes pressions” de tous les côtés. Elle assurait aussi qu’aucune de ces pressions n’influerait sur la décision de la publication de ce rapport. Le jour de la publication du rapport, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères espérait “que la Haute-Commissaire prendra la bonne décision.”