Des frappes russes, utilisant notamment des drones, ont fait au moins trois morts à Kiev ce lundi 17 octobre. Des installations énergétiques dans plusieurs régions ont aussi été ciblées.
► Drones kamikazes iraniens , de quoi parle t on ?
Deux modèles ont été identifiés avec des utilisations différentes.
« Le Shahed 136 est un drone suicide d’assez grande taille, de construction à bas coûts. Il atteint sa cible par coordonnées GPS, entrées avant son décollage. Il évolue ensuite en autonomie, volant assez bas et atteignant une cible qui est nécessairement fixe à quelques centaines de kilomètres« , explique Pierre Grasser, chercheur français associé au centre Sirice à Paris. C’est ce modèle que fait pleuvoir la Russie sur l’Ukraine. Pour Emmanuel Dupuy, président de l’Institut de prospective sécurité en Europe (IPSE) « le Shahed 136 est assez rustique, ressemblant simplement à une aile volante« . 3 mètres 50 de long, 2 mètres 50 d’envergure, il aurait une autonomie de 2500 kilomètres, ce qui permet à la Russie de le tirer depuis son sol. Sa rusticité n’ôte rien à son efficacité. En effet, précise Emmanuel Dupuy, « il vole à très basse altitude, ce qui rend les systèmes de défense anti-missiles peu appropriés. La meilleure parade semble être les systèmes de brouillage fournis, notamment, par les Israéliens. »
Autre drone aperçu en Ukraine, « le Mohajer-6, qui a une fonction et une taille similaire au Bayraktar TB-2 turc« , explique Vikram Mittal, professeur à l’académie militaire américaine de West Point. Les Mohajer-6 « sont la réponse russe aux TB-2 de l’Ukraine« , le célébrissime drone armé MALE (moyenne altitude, longue endurance) fourni par la Turquie et qui s’est aussi illustré entre les mains de l’Azerbaïdjan dans sa guerre contre l’Arménie en 2020, rappelle Jean-Christophe Noël, chercheur français à l’Institut français des relations internationales (Ifri)
► Quel est l’intérêt d’utiliser des drones ?
« Comme tous les drones armés ou les munitions rôdeuses, ils sont très efficaces quand l’adversaire ne dispose pas de moyens pour s’en protéger ou riposter« , souligne Jean-Christophe Noël, chercheur à l’IFRI. « Beaucoup de leur succès initial viendra du fait que c’est une arme nouvelle sur ce théâtre. Les Ukrainiens vont en capturer, les disséquer et développer des systèmes anti-drones. Avant cela, ils seront efficaces« , précise Vikram Mittal, professeur à l’académie militaire américaine de West Point. D’ici là, les Ukrainiens peuvent tenter de les abattre avec des systèmes antiaériens portables en journée, ou des batteries équipées de radar de nuit. Ils peuvent aussi tenter – mais la manœuvre n’est pas simple – de brouiller le signal GPS pour parasiter les Shahed 136. Les Ukrainiens revendiquent toutefois avoir déjà abattu des dizaines de drones iraniens ces dernières semaines.
Concernant ces drones suicides, « leur emploi est une mesure d’économie pour la Russie, car elle épargne de précieux missiles de croisière, qui coûtent de 1,5 à 2 millions » de dollars américains chacun, rappelle Pierre Grasser, chercheur français associé au centre Sirice à Paris.. Leur « principal défaut, c’est qu’ils ne peuvent frapper que des cibles fixes« , souligne-t-il. « Cela ne menace guère les troupes déployées. Cette arrivée de drones ne devrait donc pas changer le cours de la bataille« . Selon Emmanuel Dupuy, le drone revêt par ailleurs une dimension psychologique importante : « Il fait peur car on le voit voler à très basse altitude ».
► Comment analyser leur « entrée en scène » ?
Sur le site de l’Institut des relations internationales et stratégiques( IRIS), le chercheur Jean Pierre Maulny explique que « ce qui a changé la nature de la guerre c’est surtout que les Russes ont frappé le 10 octobre les plus grandes villes ukrainiennes après que le pont reliant la Crimée à la Russie ait été endommagé par l’explosion d’un camion piégé. La Russie a visé des civils dans un objectif de terreur, violant ainsi ouvertement les règles du droit de la guerre qui veut que les civils ne doivent pas être les cibles visées dans les conflits. À cette occasion, l’alimentation électrique de la centrale nucléaire de Zaporijjia a également été touchée, mettant donc en cause une nouvelle fois la sécurité de cette centrale nucléaire. Cela constitue donc une escalade dans ce conflit ».
Les drones de plus en plus utilisés
Sur le site de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), le chercheur Jean-Pierre Maulny détaille l’utilisation des drones dans les conflits actuels, en expliquant qu’ils sont de plus en plus utilisés. Il évoque notamment le Haut-Karabakh où les Azerbaïdjanais ont utilisé des drones turcs Bayraktar TB2. Ankara a fourni ces mêmes appareils à l’Ukraine qui les utilise actuellement.
Jean-Piere Maulny pointe également « le développement de l’usage de ce que l’on appelle les ‘munitions rôdeuses’ qui sont de tous petits drones équipés de charges militaires« . L’entreprise américaine Aerovironment en conçoit notamment un baptisé Switchblade. « Ces drones, explique le chercheur, comme leur nom l’indique, rodent sur le champ de bataille et vont frapper des cibles d’opportunité qui auront été identifiées. Ces cibles sont en général faiblement protégées, ce qui veut dire que ces munitions rôdeuses ne remplacent pas les munitions de gros calibre« .
► « Un signal de faiblesse » pour la Russie ?
Les mots « signal de faiblesse » sont de Jens Stoltenberg, le patron de l’OTAN.
Pourquoi la Russie, un des principaux producteurs d’armes au monde, se fournirait-elle auprès de l’Iran ? « Le ministère de la Défense (russe) a élaboré des exigences tactiques et techniques appropriées pour les drones. Et la plupart des fabricants (russes), malheureusement, ne sont pas en mesure de les respecter« , a déclaré récemment le colonel russe Igor Ichtchouk, cité par l’agence TASS.
Pierre Grasser évoque pour sa part une faiblesse de la structure industrielle russe. « La STC, qui fabrique des drones Orlan (de reconnaissance), a annoncé passer en 3-8 pour tourner 24h sur 24. Ils n’arrivent pas à constituer les équipes. Comme sur la ligne de front, le problème de la Russie, c’est la ressource humaine« , explique-t-il.
Au-delà de cette difficulté, la Russie n’avait pas prévu dans son arsenal de drones suicides longue portée comme le Shahed 136, mais avait « des modèles à autonomie réduite (40 km maximum)« , ajoute-t-il.
Quant aux drones armés MALE (moyenne altitude, longue endurance, fournis par la Turquie), « le fait de recevoir des Mohajer-6 iraniens est aussi un aveu d’échec industriel« , précise le chercheur. « Ils sont supposés avoir des matériels dans cette gamme (…). Cela signifie que (l’industrie russe) ne peut pas tenir le rythme« . « Les sanctions occidentales ont causé des problèmes, comme le Covid, qui a perturbé les chaînes d’approvisionnement mondial« , souligne M. Mittal.
Les Russes « n’ont plus accès aux composantes technologiques occidentales et leurs essais pour développer en série ce type d’engins ont été infructueux« , explique M. Noël.
Même s’ils mettent en place des moyens de contournement. Par exemple faire acheter par un diplomate russe n’importe où dans le monde des systèmes de navigation dans un magasin d’aéromodélisme. « Les pièces seront ensuite envoyées en Russie par la valise diplomatique« , explique M. Grasser.
L’Iran, un acteur de plus en plus présent
« Il y a sans doute une forme de course entre l’Iran et la Turquie sur le segment des drones bon marché pour étendre leur sphère d’influence« , estime Vikram Mittal, professeur à l’académie militaire américaine de West Point, interrogé par l’Agence France-Presse. « Le sommet du marché est occupé par les États-Unis et Israël« , rappelle Mariane Renaux, experte aéronautique et drones. « Les drones turcs sont en dessous, mais sont plus fiables que les drones iraniens qui semblent ne pas avoir une grande précision« . « L’Iran dispose déjà de clients pour ces drones au Moyen-Orient » auprès de ses alliés, du Yémen au Liban en passant par l’Irak, rappelle Jean-Christophe Noël, chercheur français à l’Institut français des relations internationales (Ifri), qui précisue néanmoins que « les sanctions américaines contre d’éventuels clients limitent très fortement le nombre de candidats qui souhaiteraient s’équiper de tels matériels« .