Au moins 59 migrants sont décédés ce dimanche 26 février 2023 au large des côtes calabraises. Une tragédie qui survient seulement quelques jours après le vote d’une loi restreignant l’action de sauvetage des ONG en Méditerranée. Mais aussi après plusieurs annonces européennes renforçant avant tout la surveillance des frontières.
C’est quelque chose que vous ne voudriez jamais voir. La mer ne cesse de rejeter des corps. Parmi les victimes, il y a des femmes et des enfants. Les migrants étaient déjà arrivés, mais il n’y avait jamais eu de drame de cette ampleur.
Antonio Ceraso, maire de Cutro, est effondré. À Steccato di Cutro, sur une des plages de sa commune de la région de Calabre au sud de l’Italie, 59 corps, portés par les vagues après avoir fait naufrage sur les rochers de la côte dans la nuit de samedi à dimanche, se sont échoués hier matin. Des secouristes et des pompiers les ont glissés, un à un, dans de longs sacs blancs. Une vingtaine d’enfants seraient parmi les décédés, dont un nouveau-né.
Rescapés sous des couvertures
Au bord de l’eau, les débris du bateau de pêche en bois sur lequel plus de 150 personnes étaient entassées, sont disséminés sur près d’une centaine de mètres. Des rescapés emmitouflés dans des couvertures, attendent, assis, en attendant d’être pris en charge. Dans une vidéo partagée par les pompiers, deux secouristes se débattent contre une mer déchaînée pour ramener un nouveau corps. Dans les airs, un hélicoptère tente de localiser d’autres victimes, et surtout sauver ceux qui peuvent encore l’être, avec l’aide des plongeurs déployés en mer.
Puis les corps sont déplacés, alignés en retrait de la plage dans un champ. Longue ligne macabre blanche.
Quatre-vingts personnes ont pu être sauvées. Une partie des survivants a été transportée dans l’hôpital le plus proche. Les autres ont été placés dans un centre d’accueil pour migrants.
L’alerte aurait été donnée peu avant 5 h du matin, ont raconté les garde-côtes italiens. Le bateau surchargé – transportant entre 180 et 250 personnes, selon les survivants, s’est brisé en heurtant des rochers près de la côte.
Partis de Turquie
L’embarcation était partie quatre jours plus tôt de Turquie. Elle transportait des personnes venant selon les témoignages d’Irak, Iran, Afghanistan ou encore de Syrie. Le bateau en détresse aurait été repéré la veille par l’agence européenne Frontex, mais les conditions météo auraient empêché l’intervention de secours, ont affirmé les services douaniers italiens.
Une fois de plus, nous nous retrouvons à pleurer la mort injuste de ceux qui cherchent un avenir meilleur en fuyant la guerre et la pauvreté. Alors que la politique, en Italie et en Europe, pense à résoudre ces questions avec des murs et des restrictions pour les ONG
, a dénoncé sur Twitter l’ONG Save The Children.
Cette nouvelle tragédie de la crise migratoire survient quelques jours seulement après l’adoption, le 23 février par le Parlement italien, de règles restreignant les sauvetages de migrants en Méditerranée. La loi, très controversée, oblige les ONG à ne sauver qu’une embarcation à la fois et à se rendre immédiatement au port assigné par les autorités, souvent éloigné de la zone de sauvetage. Le lendemain du vote, l’organisation française Médecins sans frontière faisait déjà l’objet de sanctions.
Politique de réduction des flux migratoires
Le gouvernement dirigé par Giorgia Meloni, leader du parti d’extrême droite Frères d’Italie, estime que la présence des ONG fait augmenter les traversées par la Méditerranée. Les chiffres prouvent pourtant qu’en 2022, 90 % des migrants sont arrivés en Europe sans intervention des ONG. Peu importe pour le gouvernement Meloni, qui entend médiatiser son action contre les ONG pour valoriser ses promesses électorales de réduction des flux migratoires.
Quelques heures après le drame, la Première ministre qui a fait part de sa profonde douleur pour les vies écourtées par les trafiquants d’êtres humains »,
a aussi insisté sur l’exigence d’une collaboration maximale des États de départ et d’origine
pour empêcher les départs de migrants. Cette tragédie met en porte à faux tous ceux qui aujourd’hui spéculent sur ces morts après avoir alimenté l’illusion d’une immigration sans règle
, a-t-elle ajouté.
Appel à une réponse européenne
Les grandes forces politiques du pays, jusqu’au président de la République Sergio Mattarella, ont appelé à une réponse européenne. L’Italie, première porte d’entrée en Europe par la voie maritime, reproche depuis des années à ses partenaires de l’Union européenne un manque de solidarité dans la répartition des migrants. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a déclaré qu’il fallait redoubler d’efforts concernant le Pacte sur les migrations et le droit d’asile, et sur le Plan d’action pour la Méditerranée centrale.
Mais depuis début 2023, l’essentiel des mesures annoncées par les Vingt-sept ont concerné les moyens destinés à renforcer la surveillance de ses frontières. Toujours aucune réelle répartition des arrivants ou renforcement des moyens de secours pour éviter de nouvelles morts.
On ne peut pas laisser mourir des personnes au large de nos côtes. Nous devons permettre à tous ceux qui le peuvent d’arrêter les massacres en mer, des pouvoirs publics aux ONG. Cette tragédie ne peut rester sans réponse au niveau politique et institutionnel »
, a souligné le leader sortant du parti démocrate Enrico Letta. Carlo Calenda, leader du parti centriste Azione, a réagi sur Twitter : Les personnes qui sont en mer doivent être sauvées à tout prix, sans pénaliser ceux qui y contribuent. Cependant, les routes de l’immigration clandestine doivent être fermées, sinon nous continuerons d’assister à ce massacre quotidien.
En 2022, plus de 144 802 personnes sont arrivées par la Méditerranée (presque 30 % de plus qu’en 2021). Et au moins 2 406 y ont perdu la vie, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM). Depuis le début de l’année, on comptait déjà 225 décès.