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JO de Paris 2024 : Les Questions Soulevées Par l’Autorisation des Tests Génétiques Pour Lutter Contre le dopage

Le projet de loi Jeux olympiques adopté cette semaine à l’Assemblée prévoit notamment l’autorisation, inédite en France, des analyses génétiques dans le cadre de la lutte antidopage

JO de Paris 2024 : Les questions soulevées par l'autorisation des tests génétiques pour lutter contre le dopage

  • Adopté en première lecture par le Sénat fin janvier, le projet de loi Jeux olympiques a été voté cette semaine à l’Assemblée Nationale.
  • Parmi la vingtaine d’articles qu’il comprend, ce projet de loi autorise le recours à des analyses génétiques pour détecter des cas de dopage.
  • Prévues par le code mondial antidopage, ces analyses étaient jusqu’à présent interdites en France, d’où « la nécessité de se mettre en conformité », comme l’a rappelé la ministre des Sports dans l’hémicycle. Non sans débats sur la nature de ces tests et le traitement des données sensibles qu’ils permettent de recueillir.

Le sujet valait sûrement un peu plus que la petite centaine de députés présents (sur 577) dans l’hémicycle, mais si on commence à s’arrêter au présentéisme de nos élus, on risque de ne pas parler de grand-chose. La semaine dernière était discuté à l’Assemblée Nationale l’article 4 du projet de loi jeux olympiques, visant à transposer les dispositions du code mondial antidopage dans le droit français.

Rien de bien folichon dit comme ça, mais il s’agit en fait de la possibilité de réaliser des analyses génétiques lors des contrôles antidopage, chose jusqu’à présent interdite en France. Ce le sera désormais, et pas seulement le temps des  JO comme le souhaitaient des élus de l’opposition, après l’adoption du projet de loi dans son ensemble mardi. Faut-il s’en inquiéter ? De quoi parle-t-on exactement ? On vous résume tout ce qu’il faut savoir sur la question.

Pourquoi le recours à des analyses génétiques ?

Dès le début des années 2000, l’Agence mondiale antidopage (AMA) a pointé du doigt les risques de manipulation de leur ADN par des athlètes en vue d’améliorer leurs performances. Elle a donc fait inscrire dans le code mondial antidopage le recours à des analyses génétiques pour compléter l’arsenal des contrôles. « C’est le seul moyen pour détecter le dopage génétique », assure Jérémy Roubin, le secrétaire général de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Mais ce n’est pas tout. Ces analyses permettent en outre trois choses :

Tout d’abord, « améliorer les techniques existantes par une méthode bien plus robuste, qui apporte une preuve parfaite du dopage », explique le spécialiste. Par exemple, dans le cas des transfusions de sang homologues (l’utilisation du sang d’une autre personne pour améliorer ses performances), la méthode de base qui reposait sur la comparaison des capteurs externes des globules rouges contenait « une marge d’erreur importante, de l’ordre de 1 sur quelques milliers, là où la comparaison d’empreintes génétiques a une marge d’erreur de l’ordre de 1 sur plusieurs milliards, autant dire quasiment infaillible », détaille-t-il.

Même esprit pour la substitution d’échantillons, c’est-à-dire quand un athlète tente de faire passer l’échantillon d’un tiers – propre – pour le sien. « L’analyse génétique est le seul moyen absolu d’assurer que l’échantillon 1 prélevé en mars et le 2 prélevé en juin soi-disant sur le même sportif sont en fait issus de deux personnes différentes. »

En quoi consistent ces analyses ?

Première chose à savoir, elles ne changent rien pour le sportif. Pas de coton-tige dans la bouche ou le nez, ce sont toujours de l’urine et du sang qui sont collectés. Les échantillons sont « simplement » soumis à une analyse supplémentaire. Ensuite, La technique de détection ne porte évidemment pas sur l’ensemble du génome humain. C’est explicitement interdit par la loi, et ça serait de toute façon pas une perte de temps. « La recherche se porte uniquement sur ce qu’on appelle les gènes d’intérêt, c’est-à-dire qui ont un intérêt pour la performance sportive : le gène de l’EPO ou celui de l’hormone de croissance par exemple », expose Jérémy Roubin.

Insuffisant pour ne pas s’en inquiéter, estiment des élus. « Le but est louable mais la technique est problématique, rappelait ainsi la socialiste Marietta Karamanli lors des débats à l’Assemblée. Les dispositions en vigueur dans notre pays n’autorisent l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique. Elles ont été consacrées par les lois bioéthiques après avoir fait l’objet d’une réelle expertise publique. Cet article revient sur ces principes. »

Le dopage génétique est-il un risque réel ? Et de quoi parle-t-on exactement ?

Le dopage génétique consiste à modifier son patrimoine génétique pour stimuler la production endogène (et donc indétectable) d’une substance interdite, comme l’EPO ou l’hormone de croissance. Depuis une dizaine d’années, les alertes des scientifiques se multiplient. En 2013, le Sénat avait mis en place une commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage. Dans son rapport, il évoquait « un risque de dopage génétique avéré ». « Et depuis, il n’a cessé de se renforcer, estime le dirigeant de l’AFLD. Les thérapies génétiques [un procédé utilisé en médecine qui repose sur l’introduction d’un matériel génétique dans des cellules pour soigner une maladie] s’améliorent, et comme dans toute l’histoire du dopage, plus on fait des progrès dans un domaine plus il y a un risque de détournement de la technique pour améliorer la performance sportive. »

Les techniques de détection étant historiquement en retard sur celles des tricheurs, les agences antidopage du monde entier travaillent actuellement pour trouver de nouvelles méthodes ou améliorer celles qui existent déjà. L’AMA lance régulièrement des appels à projet ces dernières années, et l’AFLD a constitué un groupe de travail interne sur la question. « Aujourd’hui, le dopage génétique n’est sans doute pas à la portée du quidam, mais c’est possible », soutient Jérémy Roubin. Aucun test positif n’a été remonté à ce jour.

Pourquoi cela pose problème en France ?

Jusqu’à présent, ces tests n’étaient pas autorisés en France, sauf exception prévue par la loi. Et la détection du dopage n’en faisait pas partie. Or, ils sont prévus dans le Code antidopage mondial, et quand un pays accueille les Jeux olympiques, il est contraint de le respecter. « C’est une obligation pour les Jeux, on doit se mettre en conformité et ceci de manière pérenne », a d’ailleurs souligné la ministre des Sports Amélie Ouséa-Castera devant l’Assemblée, plaidant par la même occasion pour que la France reste « à l’avant-garde de cette lutte ».

Car c’est là un autre enjeu. Le laboratoire antidopage français (LADF), historiquement l’un des plus en pointe au monde (c’est à Châtenay-Malabry qu’a été mis au point le test de détection de l’EPO en 2000), a perdu en réputation ces dernières années, notamment du fait de l’interdiction de travailler sur ces tests. Il était le seul dans ce cas, selon l’AFLD, parmi les 30 laboratoires accrédités dans le monde par l’AMA.

La loi JO va lui permettre de lever cette entrave, et de mettre fin à certaines incongruités, rappelle Jérémy Roubin. Par exemple, les tests pratiqués à Roland-Garros sont envoyés – sur choix de la Fédération internationale de tennis – au laboratoire de Montréal, qui a lui la possibilité de pratiquer des analyses génétiques. De manière générale, ce sont les fédés internationales qui gèrent les contrôles antidopage des meilleurs mondiaux dans leur discipline. « On a donc des sportifs contrôlés, y compris à leur domicile en France, dont les échantillons peuvent être envoyés dans un laboratoire à l’étranger où des analyses génétiques seront pratiquées », illustre notre expert.

Le dernier symposium en date de l'Agence mondiale antidopage, à Lausanne, a eu lieu le 14 mars 2023.
Le dernier symposium en date de l’Agence mondiale antidopage, à Lausanne, a eu lieu le 14 mars 2023. – AFP

Quels sont les garde-fous ?

« Le laboratoire n’a pas accès à l’identité du sportif, et l’agence qui commande le test n’a pas accès à ses données biologiques, et encore moins génétiques, traduit Jérémy Roubin. Il y a une sorte de muraille de Chine entre les deux opérateurs. » Le second garde-fou, encore plus important, est qu’il n’y a aucun fichier constitué à partir des données recueillies. « Elles ne sortent pas de la machine, ne sont interconnectées avec aucun fichier, ne sont pas conservées et ne peuvent pas être interrogées », détaille l’expert. Contrairement par exemple au Fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), une base de données d’empreintes génétiques utilisée en matière de police-justice pour identifier les auteurs de certaines infractions et des personnes disparues.

Quant au consentement, il est prévu par la loi et de toute façon induit. Lorsqu’un sportif prend une licence, il accepte de se conformer aux règles antidopage prévues par sa Fédération. Même chose quand il s’inscrit à une compétition. C’est un accord en bloc.

Le CCNE fait figure d’autorité en matière de problèmes éthiques et de questions de société soulevées par les progrès de la science. Sollicité par nos soins, il estime que « ce projet ne déroge pas aux lois sur la bioéthique ». Plusieurs raisons à ça : il y a consentement de la personne avec information préalable, il s’agit d’analyses ciblées sur une question posée, et il n’y a pas de conservation d’échantillons pour une utilisation ultérieure ni de discrimination-sélection à partir des données génétiques obtenues.

Le CCNE s’interroge simplement sur la rapidité avec laquelle l’implémentation de ces tests doit être réalisée dans la perspective des JO 2024, tout en reconnaissant qu’il n’y a pas vraiment le choix au regard de « la littérature scientifique qui depuis plusieurs années questionne ces pratiques de dopage génétique » et du code mondial antidopage.

Une réserve, toutefois, soulevée par « un problème inverse, lorsque les anomalies constatées ne sont pas artificiellement obtenues mais qu’elles résultent de caractéristiques naturelles ». Le cas bien connu par exemple de Caster Semenya, la coureuse Sud-Africaine de demi-fond qui écrase la concurrence grâce à un taux de testostérone (l’hormone masculine) très anormalement élevé. La bataille scientifique et juridique autour de son cas pour déterminer si elle a le droit ou non de participer à des compétitions internationales n’est pas près de s’éteindre, et pourrait même proliférer, estime cet expert. « On peut craindre que les tests génétiques antidopage ne fassent naître des polémiques où les parties en présence s’affronteront à grand renfort d’expertises contradictoires », conclut-il.