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«Premier combat spatial» : Israël aurait Intercepté un Missile Yéménite au-delà de l’Atmosphère Terrestre

Un missile balistique Qader tiré par les rebelles houthis a été abattu par un intercepteur Arrow 2 israélien, selon le quotidien Haaretz. C’est la première fois qu’une interception exo-atmosphérique est réalisée sur le champ de bataille.

Il y a une semaine, les rebelles houthis au Yémen, soutenus par l’Iran, ont tiré une salve de drones et de missiles contre la ville israélienne d’Eilat . La chose était d’ores et déjà connue puisque les rebelles ont revendiqué dès lundi 30 octobre cette attaque, sur les réseaux sociaux. Ce qui l’était moins, c’est que, lors de ce raid à longue distance – environ 2200 kilomètres séparent Israël du Yémen -, l’État hébreu serait parvenu à abattre un missile balistique Qader, dérivé du système iranien Shahab 3, en dehors de l’atmosphère grâce à un intercepteur Arrow 2 block 4, un système israélien de pointe entré en service en 2000.

Et c’est une première dans l’histoire militaire mondiale : jamais un combat n’avait eu lieu au-delà du plafond d’environ 100 km – appelé ligne de Kármán – qui délimite l’atmosphère terrestre de l’espace. «Le Yémen est entré dans l’histoire comme le premier pays ayant été à l’origine d’un combat spatial», a réagi sur X (anciennement Twitter) le chercheur de l’Eurasia Group, Gregory Brew. «L’interception aurait eu lieu en dehors de l’atmosphère terrestre», a en effet écrit dimanche le quotidien de référence israélien Haaretz. Dans un communiqué, l’armée israélienne s’est bornée à annoncer que les systèmes de l’armée de l’air avaient suivi la trajectoire du missile et l’avaient intercepté «au moment et à l’endroit opérationnels les plus appropriés».

Trajectoire balistique et vitesse hypersonique

Understatement tout militaire dans la mesure où le «meilleur moment» et le «meilleur endroit» pour intercepter un missile balistique sont sa phase de vol dans l’espace, qui est alors absolument prévisible. Encore faut-il pouvoir atteindre le missile à plusieurs dizaines de kilomètres et à des vitesses particulièrement élevées, ce qui n’est pas une tâche aisée. Les intercepteurs doivent atteindre des vitesses hypersoniques (convention établie à cinq fois la vitesse du son, Mach 5, soit plus de 6000 km/h) pour aller aussi vite que les missiles balistiques qu’ils chassent.

Pour comprendre les enjeux de telles interceptions, il faut en revenir au fonctionnement même d’un missile balistique, baptisé ainsi du fait de sa trajectoire dite «balistique», c’est-à-dire qu’elle n’est soumise à aucune autre force que la seule gravitation. Ce n’est bien sûr pas le cas au départ, où il faut que l’arme acquière une vitesse suffisante. Mais une fois cette phase ascendante de propulsion achevée, l’arme décrit une sorte de courbe en cloche, n’obéissant qu’à la loi de Newton sur la gravitation universelle. Selon la force donnée au départ, elle ira plus ou moins loin et haut.

Les premiers missiles balistiques Scud soviétiques à courte portée ne pouvaient pas aller au-delà de 50 à 100 km d’altitude pour des portées inférieures à 500 kilomètres, restant donc dans les couches hautes de l’atmosphère. Mais l’apogée des missiles intercontinentaux (plus de 5500 kilomètres de portée) dépasse quant à elle largement les 1000 kilomètres, c’est-à-dire bien au-delà du toit du monde.

Il existe dès lors deux moyens d’intercepter un missile balistique. Le premier système d’interception est dit «endo-atmosphérique» (à l’intérieur de l’atmosphère, NDLR) : il consiste à abattre le missile au départ lors de la phase de propulsion (ce qui est impossible en termes de délai) ou plutôt lors de sa phase de rentrée dans l’atmosphère. Les systèmes anti-missiles traditionnels, dérivés des systèmes anti-aériens incapables d’atteindre de hautes altitudes, fonctionnent ainsi. La difficulté est néanmoins que les missiles balistiques modernes, une fois rentrés dans l’atmosphère, sont de nouveau propulsés pour décrire des trajectoires plus complexes qu’une simple trajectoire balistique, afin d’échapper, justement, aux systèmes d’interception. Les intercepteurs doivent donc acquérir une célérité et une agilité toujours plus grandes. C’est tout l’enjeu pour les systèmes d’interception Patriot (États-Unis), S-300 et S-400 (Russie), Aster 30 (France, Italie, Royaume-Uni).

L’autre système d’interception est dit «exo-atmosphérique» (en dehors de l’atmosphère, NDLR) : ces armes sont formées d’un missile balistique dont la tête a été remplacée par l’intercepteur proprement dit, qui se détache en fin de course pour atteindre sa cible. Selon l’altitude atteinte hors de l’espace, elles pourront abattre des missiles balistiques à courte portée, à moyenne portée, à portée intermédiaire voire à longue portée, et s’approcher plus ou moins de l’apogée de leur cible. Parmi les systèmes connus capables de ce «combat dans l’espace», figurent certains missiles SM3 (États-Unis), certains missiles THAAD (États-Unis), le système GBI – «Ground Based Interceptor» – contre les missiles intercontinentaux (États-Unis), l’A-135 qui a la même fonction (Russie), certains missiles du futur S-500 (Russie) et, justement, le système Arrow utilisé lundi dernier par les Israéliens.

Un autre record, houthis cette fois

Cet intercepteur a été conçu spécifiquement dans les années 1990 pour contrer les missiles balistiques dont se dotaient les puissances adverses régionales, dont l’Irak ou l’Iran. Ce projet est né après le tir de Scud contre l’État hébreu par le régime de Saddam Hussein lors de la Guerre du Golfe en 1991. Les systèmes anti-aériens Patriot que les Américains avaient livrés aux Israéliens ont alors démontré leurs limites face aux armes balistiques.

Israël a alors lancé sa propre organisation «Homa» (fortification en hébreu) pour concevoir un nouveau système capable de répondre à cette menace, qui s’est cristallisée autour de l’Iran après la chute de Saddam Hussein en 2003. Téhéran dispose en effet de missiles balistiques à portée intermédiaire capables de frapper tout le territoire israélien. La possibilité que ces vecteurs emportent des armes de destruction massive pousse à les intercepter au plus tôt, lors de leur phase de vol dans l’espace et non lors de la phase finale de rentrée dans l’atmosphère.

Finalement, c’est lors de la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza que l’État hébreu aura pour la première fois testé en conditions réelles cette arme dans l’espace. Le 17 mars 2017, un missile Arrow israélien avait déjà été utilisé contre un S-200 syrien, mais cette arme anti-aérienne, qui avait manqué sa cible et risquait d’atteindre le territoire israélien en retombant, n’est qu’«endo-atmosphérique». Son interception n’avait donc pas donné lieu à une «bataille spatiale». Si l’information de Hareetz venait à se confirmer à l’indicatif, l’année 2023 sera donc celle d’une rupture dans l’histoire militaire, même s’il faut la nuancer puisque la technologie utilisée n’est pas en soi révolutionnaire. Les systèmes exo-atmosphériques font depuis longtemps l’objet d’essais des grandes puissances qui les développent et les détiennent. La différence est qu’ils n’avaient encore jamais servi comme tel jusqu’ici.

La menace est venue bien loin du lieu des combats terrestres dans la bande de Gaza, sur fond d’escalade régionale – pour l’instant maîtrisée – entre Israël et les différents proxys iraniens. Au passage, les rebelles houthis ont eux aussi réalisé un record, celui du tir de missile balistique le plus lointain de l’histoire. Seuls des missiles de croisière tirés depuis des navires ont atteint des portées équivalentes voire légèrement supérieures à 2000 kilomètres, que l’on pense aux lancements de Kalibr russes en Syrie ou de Tomahawk américains en ex-Yougoslavie.