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Guerre en Ukraine : boycotter la Russie ? Le dilemme des multinationales

Partir ? Rester ? Deux semaines après l’invasion de l’Ukraine, les grandes entreprises internationales sont confrontées à la question du boycott de la Russie. Alors que les grandes capitales occidentales ont annoncé des sanctions économiques, des  multinationales, notamment françaises, ne veulent pas perdre toutes leurs positions dans le pays de Vladimir Poutine.

« Je vais arrêter de regarder mes films préférés sur Netflix, arrêter d’acheter mes marques préférées car elles sont toutes fermées maintenant”. Rencontrée par l’AFP à Moscou ce lundi 7 mars, Anastassia, 19 ans, est dépitée. L’étudiante en journalisme, inquiète également pour son avenir professionnel, ne peut que constater le chamboulement que l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué dans son quotidien.

Russie : les grandes marques étrangères ferment boutique

Dès les premières heures du conflit, le 24 février, de nombreuses entreprises internationales annoncent qu’elles quittent le pays de Vladimir Poutine.
Difficile d’en dresser une liste exhaustive mais certaines de ces firmes attirent tout particulièrement l’attention. Les images des Moscovites se ruant dans un magasin Ikea le 3 mars dernier ont fait le tour du monde et des réseaux sociaux.

Les consommateurs ne seront pas les seuls touchés par la suspension des activités d’Ikea. La décision de la marque jaune et bleue (comme le drapeau ukrainien, et surtout comme le drapeau suédois, son pays d’origine) devrait affecter, en Russie et en Biélorussie également sanctionnée, près de 15.000 employés. 17 magasins et trois sites de production sont ainsi à l’arrêt depuis le 4 mars. Dans un premier temps, le géant du mobilier avait souhaité laisser ses enseignes ouvertes, avant de céder sous une avalanche de critiques.

Partir, mais pour quelles raisons ?

D’autres entreprises tout aussi célèbres ont pris la même décision. Dès le 27 février, trois jours après le début de la guerre, le pétrolier britannique BP annonce son départ de Russie, rapidement suivi par son homologue et compatriote Shell. Que signifie “partir” dans le cas des deux pétroliers britanniques ? Pour BP, il s’agit de solder une participation de 20% dans Rosneft, une société pétrolière d’Etat russe. Quant à Shell, elle se retire des projets avec Gazprom dans le pays.

Les entreprises se justifient parfois par des raisons morales, comme Microsoft ou encore H&M, mais aussi par des raisons nettement plus prosaïques. “Les obstacles à la poursuite de l’activité peuvent résulter des restrictions affectant le système bancaire et financier, l’espace aérien et les difficultés à anticiper du transport maritime”, explique une analyste dans les colonnes du quotidien français Le Parisien.`Le constructeur automobile français Renault se trouve dans cette situation. Son usine moscovite s’est retrouvée à l’arrêt pour cause de problèmes d’approvisionnements. Sa filiale AvtoVAZ, qui fabrique les Lada, a fermé ses usines pour la même raison.

Dès l'invasion de l'Ukraine, le pétrolier britannique BP a annoncé qu'il abandonnait ses parts dans le groupe russe Rosneft.

Dès l’invasion de l’Ukraine, le pétrolier britannique BP a annoncé qu’il abandonnait ses parts dans le groupe russe Rosneft.
© AP Photo/Mikhail Metzel

Les Français ne se précipitent pas pour partir

Contrairement à un certain nombre de leurs homologues étrangères, les marques françaises ne se bousculent pas quand il s’agit de tourner le dos à la Russie.

A l’image du ministre de l’économie Bruno Le Maire se rétractant la semaine dernière après avoir promis contre la Russie “une guerre économique et financière totale”, les grandes enseignes tricolores se contentent d’un minimum. Hermès, LVMH, Chanel et Kering ont, certes, annoncé fermer provisoirement leurs boutiques en Russie, mais pour les enseignes françaises du luxe, pas question pour l’heure de stopper production. Dernier exemple, ce mardi 8 mars, L’Oréal a annoncé la fermeture de ses magasins en Russie, mais le maintien en activité de son usine située près de Moscou.

Le dirigeant de l’un de ces groupes explique dans Le Figaro que « ce serait pénaliser nos milliers de salariés russes et leur famille, qui n’ont rien à voir avec les autorités russes« . Pas davantage de mesures prises côté Auchan, Engie, Lactalis, ou Air Liquide.

Seul l’armateur CMA-CGM a annoncé mardi 1er mars suspendre toutes ses livraisons vers les ports russes “dans un souci de sécurité« .

Le groupe le plus scruté dans ces cas-là, TotalEnergies, qui réalise en Russie 3 à 5% de ses revenus totaux, a pour sa part annoncé qu’il « n’apportera plus de capital à de nouveaux projets » dans le pays, sans toutefois évoquer de retrait. Une position qui a valu au géant énergétique une accusation de “complicité avec Poutine” de la part du candidat écologiste à la présidentielle, Yannick Jadot. TotalEnergies explique simplement avoir l’assentiment des autorités françaises.

Les entreprises françaises en haut du podium

Autre grand groupe français, Bonduelle est fréquemment cité dans plusieurs articles de presse. Bonduelle possède deux sites de production de conserves près de Krasnodar et une usine de surgelés dans les environs de Belgorod, non loin de l’Ukraine. Pour le géant de l’agro-alimentaire, pas question de quitter la Russie. Bonduelle, présent sur le sol russe depuis vingt ans, met en avant les liens de ses salariés avec le pays ou encore “sa responsabilité d’assurer l’alimentation des populations locales”.

Le premier restaurant McDonald's de Russie inauguré en janvier 1990. En 2014, en pleine crise de la Crimée, il avait été fermé quatre mois, officiellement pour raisons sanitaires.

Le premier restaurant McDonald’s de Russie inauguré en janvier 1990. En 2014, en pleine crise de la Crimée, il avait été fermé quatre mois, officiellement pour raisons sanitaires.
© AP Photo/Alexander Zemlianichenko

Mais ni Bonduelle, ni aucune entreprise ne met en avant un risque pourtant bien réel : celui de laisser la place à un concurrent en cas de retrait du sol russe.,Les entreprises françaises sont le premier employeur étranger en Russie avec 160 000 salariés et elles comptent bien garder leur place.

Le gouvernement français ne les incite d’ailleurs pas à partir. Selon Le Figaro, les patrons de grandes entreprises ont été reçus en fin de semaine dernière à l’Elysée. Le président Macron et ses ministres en charge de l’économie leur ont très clairement  rappelé “que chaque société était évidemment libre de réfléchir à sa situation et de prendre ses responsabilités sur sa stratégie en Russie (…) Mais Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie a indiqué qu’il paraissait plus raisonnable de mettre ses activités sur pause le temps de la crise, plutôt que de quitter précipitamment le pays, de façon unilatérale et sans prévenir personne« , explique l’un des dirigeants d’entreprise invité à la présidence française.

Des marques sous pression

Du côté de la Russie, les autorités annoncent elles aussi des mesures pour, cette fois, tenter de retenir les entreprises tentées par un départ. Pour les entreprises qui resteront en Russie, le Kremlin serait prêt à faciliter l’approvisionnement en matières premières et matériaux.

Il y a trente ans, le déferlement de marques occidentales dans les pays de l’ex-bloc soviétique illustrait chaque jour la chronique de la chute d’un empire. La plus emblématique, McDonald’s, doit aujourd’hui à la Russie 9% de son chiffre d’affaires. Pour le géant américain de la restauration rapide, qui avait fait les frais de la crise de diplomatique de 2014 (plusieurs sites fermés officiellement pour raisons sanitaires), la décision de fermer temporairement ses 850 restaurants est survenu le mardi 8 mars au soir.

La pression est énorme. L’Agence France-Presse rapporte ce mardi qu’une équipe de l’université américaine de Yale tient à jour une liste des entreprises ayant encore une présence significative en Russie. Et met en avant le rôle qu’avait eu, dans les années 1980, le départ volontaire de 200 grands groupes dans la chute de l’apartheid en Afrique du Sud.